Album de Jean-Sébastien Blanck, illustré par Fernando Falcone.
Au début des temps, la Terre n’était que gaz et fumée. En ces temps-là, la Terre était le monde des Oiseaux. Ils étaient immenses, minuscules, transparents, ronds comme des bulles, fins comme des pétales. Ils vivaient en essaim, et chaque essaim avait son ballet, immuable et majestueux. Chaque espèce occupait une altitude précise, dans l’atmosphère la plus propice: opaque, éthérée, dense ou humide. Un jour de malchance, un oiseau nommé Alzabane est séparé de son essaim et poussé par des vents inconnus vers des cieux inexplorés. Seul et sans espoir, il ne sait pas comment rejoindre les siens. Ses projets changent subitement une nuit où le ciel se dégage. Lumineuse, blanche et lisse, la Lune semble appeler Alzabane. L’oiseau fait alors le vœu d’aller là où aucun autre de son espèce n’a jamais fait battre ses ailes. Il veut rejoindre la Lune. Il traverse toutes les couches de l’atmosphère de la Terre, il rencontre les oiseaux des hauteurs, les oiseaux des altitudes inconnues. Alzabane rejoint enfin le froid glacial du cosmos infini. Ses ailes le rapprochent opiniâtrement de la Lune. Mais il y a des règles dans l’univers. Un petit oiseau blanc, même lumineux, ne peut pas franchir les barrières. Pour devenir une légende, celle de l’éternel oiseau de la Lune, Alzabane doit sacrifier encore un peu de sa liberté.
Poétique et délicat, ce conte féérique et spatial a des accents orientaux, comme s’il avait été inventé par Shéhérazade. Mais avec la boule rouge au bout de son bec, Alzabane est aussi un Rudolphe ailé, un petit animal entêté qui croit en sa singularité et qui va au bout de son rêve. Récit initiatique, le texte présente la trajectoire singulière, entre des milliers d’étoiles, d’un petit personnage touchant qui, pour devenir sidérant, choisit d’être sidéral.
Alzabane aurait pu être peint par Dali. Ses grandes nageoires ramifiées, son nez pointu agrémenté d’une boule écarlate, ses grands yeux mouillés, son voyage interstellaire au milieu de créatures aussi étranges et biscornues que lui, sa fascination pour la Lune, tout cela forme un tableau surréaliste des plus convaincants. Le site de l’illustrateur (en espagnol uniquement) vaut la visite. C’est une galerie douce-amère de portraits d’animaux un peu démoniaques, un peu étranges, pas vraiment rassurants, mais parfaitement fascinants. Ce bestiaire fabuleux et inquiétant n’est pas sans me rappeler les personnages grotesques et menaçants de Jérôme Bosch. Au début de l’album, les techniques graphiques de Fernando Falcone sont décrites ainsi: « [il] a combiné dessin, traitement numérique de l’image et la numérisation de matières comme le coton et le papier. » Il y a aussi un peu des papiers collés de Picasso, un peu de bricolage et de bidouillage pour obtenir l’image définitive.
Malgré tout ce substrat iconographique, les illustrations restent à la portée des jeunes lecteurs, avec des couleurs pastels très douces et des figures simples. Le ciel et les astres, en image de fond, sont simplifiés pour laisser toute la place à l’oiseau qui semble déployer ses ailes blanches et son bec pointu dans l’univers tout entier.
Je ne suis pas du tout spécialiste en littérature de jeunesse. J’ai des vieux souvenirs poussiéreux de mes lectures d’enfance. Et je n’ai peut-être plus la fraîcheur nécessaire pour en parler avec simplicité et pour l’apprécier tout simplement. Néanmoins, ce texte m’a charmée. Je le conseille aux parents qui veulent partager une belle histoire, qui fait un peu peur quand même, avec leurs bambins. Ni vraiment délire d’imagination, ni tout à fait rêve d’enfant, ce texte se lit avec plaisir et frissons, doucement, le soir, à la lumière d’une lampe de chevet tamisée par un voile bleu.