Roman et album lus en parallèle pour le Challenge Monsieur et Madame.
Roman de Muriel Barbery.
Renée Michel est concierge d’un hôtel particulier dans un beau quartier parisien. Pour tous les résidents, Madame Michel est le stéréotype de la gardienne d’immeuble, revêche et inculte. Or Madame Michel dissimule sous des dehors austères une richesse d’esprit hors du commun. Grande admiratrice des auteurs russes, tout particulièrement de Tolstoï, elle cultive son image de veuve acariâtre et bornée pour mieux jouir en secret des merveilles artistiques et intellectuelles qu’elle consomme en fin gourmet. Littérature russe, peinture anglaise, cinéma japonais, philosophie phénoménologique, tout y passe. Alors, quand Madame Michel se trahit, elle ne sait plus vraiment à qui parler, ni de quoi. La petite Paloma aux penchants suicidaires, du quatrième étage, perce à jour la concierge érudite. Le nouveau résident du cinquième, Kakuro Ozu, esthète et humaniste, ne se laisse pas non plus duper par l’apparente bêtise de la gardienne. Entre ces trois êtres se nouent des relations d’amitié et d’émulation intellectuelle. Ils se livrent, avec jubilation, à une analyse fine, insolente et ironique de leur époque et de leur entourage. Tout le monde est crucifié sur l’autel de leur verve assassine, de la bourgeoise névrosée aux chiens permanentés.
J’ai été plus que séduite, enchantée dirais-je, par la qualité de la narration. On touche vraiment avec ce texte à ce que j’appelle, dans le jargon hérité de deux ans de khâgne, l’art du récit. Pas de temps morts inutiles, pas d’effets superfétatoires. J’ai particulièrement apprécié la construction du récit, avec les deux voix narratrices, celle de Madame Michel et celle de Paloma. Ce sont deux points de vue sur l’existence, l’une du haut de l’expérience, l’autre riche de bon sens élémentaire.
Ma sensibilité grammaticale de khâgneuse a été touchée par les déclarations d’amour à la langue française. En voici un morceau choisi : « Moi, je crois que la grammaire, c’est une voie d’accès à la beauté. Quand on parle, quand on lit ou quand on écrit, on sent bien si on a fait une belle phrase ou si on est en train d’en lire une. On est capable de reconnaître une belle tournure ou un beau style. Mais quand on fait de la grammaire, on a accès à une autre dimension de la beauté de la langue. Faire de la grammaire, c’est la décortiquer, regarder comment elle est faite, la voir toute nue, en quelque sorte. » (dixit Paloma, p. 168)
Ce livre est comme une sucrerie qu’on garde longtemps dans la bouche: délicieux et qui finit hélas trop vite.
Album de Roger Hargreaves.
Madame Géniale ne se mouche pas du coude. Elle nourrit une haute opinion d’elle-même, de ses qualités et de ses capacités. Tout ce qu’elle fait, c’est génial. Génial, non ? Voilà une Madame bien horripilante. Elle est imbue d’elle-même et a toujours réponse à tout, même quand elle a tort. Je ne la connaissais pas. En voilà une dont je ne retiendrai pas le nom.
Lecture comparée – Le seul point commun entre Madame Michel et Madame Géniale, c’est la coupe de cheveux : moche et démodée. Madame Michel est aussi modeste et discrète que Madame Géniale est exubérante et vantarde. Le génie, ça ne s’auto-attribue pas ! Si on en a, ce sont les autres qui le reconnaissent. Madame Michel dissimule des trésors de culture et de raffinement derrière la porte close d’un appartement défraîchi. Il faut l’intrusion de Paloma et la délicatesse de Monsieur Ozu pour révéler la grandeur de la concierge. Madame Géniale étale à grand bruit son ingéniosité et sa supériorité, et tient bien davantage de la concierge que Madame Michel. Madame Géniale, c’est la pipelette des Mystères de Paris. Madame Michel, c’est une gouvernante anglaise, le tea-time en moins.
La comparaison n’est pas flatteuse pour l’album d’Hargreaves. Il ne peut pas gagner à tous les coups… Mais je me suis encore bien amusée avec ce petit travail de mise en regard et de miroirs déformants !