Nouvelles d’Albert Camus.
La femme adultère – Janine et son époux Marcel voyagent vers les plateaux du sud de l’Algérie. Dans le bus qui les emmènent loin de leur appartement, Janine découvre le désert et sa rugosité minérale. Elle s’interroge sur son mariage, ces vingt ans qui l’unissent à un homme qu’elle n’aime pas mais dont elle ne peut se passer. « Elle suivait Marcel, voilà tout, contente de sentir que quelqu’un avait besoin d’elle. Il ne lui donnait pas d’autre joie que de se savoir nécessaire. […] Elle savait que Marcel avait besoin d’elle et qu’elle avait besoin de ce besoin. » (p. 36) Si Janine est infidèle, elle ne l’est pas auprès d’autres hommes. Elle trompe son époux avec elle-même, heureuse de se retrouver unique et vivante.
Les muets – Yvars, à quarante ans, est usé par son travail. Sa jambe infirme n’est qu’une des manifestations de la vieillesse en marche. Avec ses collègues de la tonnellerie, il a tenté une grève que le patron a facilement réprimée sans répondre aux demandes de ses ouvriers. De retour à l’atelier, les tonnelliers opposent au patron un silence lourd de reproches. « Ils ne boudaient pas, […] on leur avait fermé la bouche, […] la colère et l’impuissance font parfois si mal qu’on ne peut même pas crier. » (p. 65) Mais quand un vrai malheur survient, le silence peut devenir une sentence injustifiée.
Dans ces nouvelles, j’ai retrouvé l’amour de Camus pour l’Algérie, si présent dans ses autres textes. Avec le désert, le soleil et la mer omniprésents, comme des personnages à part entière, le texte semble monter de la terre elle-même, être moins la voix des hommes que la voix d’un pays.
Les deux nouvelles sont aussi l’expression du déchirement. Janine est déchiré entre son mariage et un besoin irrépressible de liberté. Yvars est déchiré entre la loyauté envers ses camarades et la compassion envers son patron. Derrière les déchirements de ses personnages, c’est l’auteur qu’on entend, avec son attachement viscéral à la terre algérienne qui s’oppose à la sympathie qu’il témoigne au peuple algérien épris d’indépendance.
Il était temps que je me remette à lire Camus. Depuis L’Étranger et La peste, j’ai laissé passer trop de temps sans ouvrir les pages d’un texte de cet auteur que j’apprécie tant.