Roman de François Mauriac.
Au sortir du procès pour tentative d’assassinat sur son époux, pour lequel elle a obtenu un non-lieu grâce au témoignage de la victime, Thérèse Desqueyroux rentre chez elle. « Le cauchemar dissipé, de quoi parleront-ils ce soir, Bernard et Thérèse ? » (p. 29) Dans le train qui la ramène chez elle, à Argelouse, elle se remémore les conditions et raisons de son geste, ses errances et ses dégoûts. Ce voyage à rebours des souvenirs l’entraîne dans des passés plus ou moins proches et dans un présent imminent, aux allures de sentence, celle que la justice n’a pas rendue. Thérèse, désormais, ne connaîtra que sa chambre et les bois de pins. Le reste de la maison lui est interdit.
Si Bernard Desqueyroux n’a pas voulu accabler son épouse, c’est avant tout pour sauver les apparences et préserver leur enfant, Marie. Cette enfant, Thérèse n’en voulait pas. « Elle avait compté les mois jusqu’à cette naissance ; elle aurait voulu connaître un Dieu pour obtenir de lui que cette créature inconnue, toute mêlée encore à ses entrailles, ne se manifestât jamais. » (p. 70) Dure et froide, Thérèse peut sembler sans cœur, mais elle bout en fait de passion contenue, passion qui ne peut pas s’exprimer à Argelouse. « Argelouse est réellement une extrémité de la terre, un de ces lieux au-delà desquels il est impossible d’avancer. » (p. 39)
Et puis il y a Anne, la petite-sœur de Bernard et l’amie d’enfance de Thérèse. La jeune fille se toque de Jean Azévédo, un homme dont les Desqueyroux ne veulent pas. De voir cette jeune femme, presqu’une enfant, connaître l’amour qu’elle n’a jamais approché, Thérèse mesure toute la vacuité de son mariage et tout l’ennui que lui cause son époux. Se débarrasser de lui semble si facile : « elle s’est engouffrée dans le crime béant ; elle a été aspirée par le crime. » (p. 99) La fin de l’histoire de Thérèse Desqueyroux n’en est pas vraiment une, c’est plutôt la banale continuité d’une existence morne.
François Mauriac s’est inspiré d’un fait divers pour créer le personnage de Thérèse. Cette femme à l’étroit dans un mariage sans saveur, plus passionnée pour la sœur de son époux que pour l’époux lui-même, est de la trempe des nouvelles héroïnes, celles qui puisent leur courage dans les bas-fonds. Contrairement à une Thérèse Raquin que sa victime venait hanter, Thérèse Desqueyroux n’a pas de remords. Elle trouve la justification de son geste dans le grand désarroi qu’est sa vie et dans le fossé où sont tombées ses aspirations.
Sous la plume de Mauriac, on croit lire un long article judiciaire. Dans un exposé tissé de souvenirs et de réflexions, il décortique le vrai crime de cette épouse provinciale. Elle n’est pas coupable d’avoir attenté à la vie de son mari, elle est coupable de ne pas s’accommoder d’une existence convoitée par beaucoup. Elle est coupable d’avoir osé ce que tant ne savent pas accomplir.
Si j’ai eu de la sympathie pour cette meurtrière inachevée ? Beaucoup ! Se débattre dans une vie étriquée comme elle l’ose, c’est méritant et courageux. Son geste, certes extrême, témoigne d’une passion dont manquent tant d’héroïnes modernes.