Le jeune Adolphe est un être sensible, taciturne et doté d’une nature sombre. Ouvertement indépendant, il entend mener sa vie à sa guise et nourrir son orgueil par toutes les considérations que les autres pourront lui accorder. Le jour où il décide d’être aimé, il jette son dévolu sur la belle Ellénore. Plus âgée que lui, elle est la maîtresse du comte de P***. « Je ne croyais point aimer Ellénore ; mais déjà je n’aurais pu me résoudre à ne pas lui plaire. » (p. 45) Obtenir l’attention et les sentiments d’Ellénore est donc une conquête d’amour-propre. Passées les premières exaltations et les premières preuves véhémentes d’amour, Adolphe s’agace d’une relation qui entrave son quotidien et le prive d’une liberté à laquelle il est furieusement attaché. « Ellénore était sans doute un vif plaisir dans mon existence, mais elle n’était plus un but : elle était devenue un lien. » (p. 69) Il faut peu de temps pour que le jeune homme cesse d’aimer, mais il ne se résout pas à quitter Ellénore puisque tout le monde le presse d’y parvenir. Son indépendance est mêlée d’orgueil et il refuse qu’on décide pour lui une chose qui est pourtant évidente. Certes, la société et son père s’offusquent de cette liaison qui entrave sa carrière et les ambitions qu’il peut nourrir, mais Adolphe entend décider seul de la rupture. Le problème est qu’il ne se résout jamais à cette issue.
Adolphe fait preuve d’une grande lâcheté et ses tentatives de rupture échouent devant les larmes d’Ellénore. Il se fait un devoir de la protéger et de la soustraire au jugement de la société, mais ce devoir lui pèse et il l’accomplit sans noblesse. Ellénore elle-même ne s’y trompe pas : « Vous vous dévouez à moi parce que je suis persécutée, vous croyez avoir de l’amour, et vous n’avez que de la pitié. » (p. 95) Sous couvert d’indépendance, Adolphe est en fait un capricieux qui s’entête dans une folie de jeunesse en voulant la parer des vertus de la sagesse et de la passion. Son amour pour Ellénore a disparu et sa tiède affection tient plus de l’habitude que du sentiment. « Nous vivions, pour ainsi dire, d’une espèce de mémoire du cœur, assez puissante pour que l’idée de nous séparer nous fût douloureuse, trop faible pour que nous trouvassions du bonheur à être unis. » (p. 108) Ce n’est que tragiquement que cette histoire pourra s’achever et Adolphe comprendra enfin qu’il était le seul obstacle au repos tant espéré par Ellénore.
Ce roman est l’expression littéraire la plus archétypale du romantisme : le héros est jeune, tourmenté par on ne sait quoi, fréquemment saisi par l’idée de la mort et vaguement décidé à contrer la société. Finalement, sa médiocre révolte avorte et il n’y a rien gagné. Adolphe est un personnage résolument insupportable, voire odieux : ce jeune homme capricieux est faussement amoureux, faussement fidèle, faussement noble, etc. Si j’ai eu peu de sympathie pour lui, je n’en ai eu pour Ellénore qu’à la fin, à la lecture de son ultime lettre : c’est évidement la volonté de l’auteur de ne dévoiler la vraie et pure nature de la malheureuse que lorsque l’irréparable est accompli. Adolphe est intéressant d’un point de vue littéraire et dans une étude du mouvement romantique, mais cette intrigue ne m’a pas plu : les jeunes godelureaux infatués n’obtiennent jamais mes faveurs.