Esther Greenwood est une jeune fille talentueuse, invitée à New York pendant un mois après avoir remporté un concours d’écriture. Au fil des nuits, elle expérimente les débauches les plus diverses. Mais cet abus d’exubérances la laisse froide, rien ne lui semble ressembler à la vie. Peu à peu, l’obsession de la mort s’empare d’elle. « Je ne pouvais m’empêcher de me demander quel effet cela fait de brûler vivant tout le long de ses nerfs. » (p. 13) Lassée des soirées et des mondanités, elle redoute toutefois le retour chez elle et attend une réponse positive pour assister à un cours d’été en littérature.
Hélas, sa candidature n’est pas retenue et un été morne et vide se profile. Esther se laisse gagner par un lent découragement et une douloureuse prise de conscience. « Le problème était que cela faisait longtemps que je ne servais à rien, et le pire, que ce n’était que maintenant que je m’en rendais compte. » (p. 89) Esther ne peut plus dormir, ni lire, ni écrire ou manger. Rongée de fatigue et désespoir, elle glisse dans une dépression nerveuse et cherche à mourir plusieurs fois, en vain. « C’est alors que j’ai compris que mon corps possédait plus d’un tour dans son sac ; du genre rendre mes mains molles au moment crucial, ce qui lui sauvait la vie à chaque fois, alors que si j’avais pu les maîtriser parfaitement, je serais morte en un clin d’œil. » (p. 176) Esther se détache de la vie, des siens, de son avenir et même de son corps. La voilà « prisonnière de cette cloche de verre » (p. 202) qui pèse de plus en plus et l’isole du monde et d’elle-même.
Esther est admise dans diverses cliniques et subit une électrothérapie. Reprendre pied dans le monde semble inaccessible, même si le retour au collège reste un lointain espoir. Avant toute chose, elle doit se libérer de sa dépression, briser la cloche qui l’emprisonne. « Pour celui qui se trouve sous la cloche de verre, vide et figé comme un bébé mort, le monde lui-même n’était qu’un mauvais rêve. » (p. 260) Esther n’est pas seule dans la clinique, elle retrouve Joan, une ancienne camarade. Entre les deux jeunes filles, un lien étrange se crée. Quand l’une progresse, l’autre va plus mal et vice-versa, comme des Castor et Pollux sous tranquillisants. S’échapper de la cloche de verre, de cette cloche où résonne la détresse comme un écho interminable et assourdissant, c’est plus qu’un combat, c’est un pari sur la vie à la fois hasardeux et nécessaire.
Ce récit à la première personne montre la dépression et la folie comme deux voisines qui se fréquentent de trop près. D’inspiration largement autobiographique, La cloche de détresse est un roman dérangeant et fascinant. Je me suis sentie étrangement proche d’Esther : la jeune fille bouillonne d’inspiration et de génie, mais est incapable de transformer la poussée créatrice en œuvre, au pont d’en venir à se détruire pour finalement produire quelque chose et avoir prise sur un aspect de son existence. La rédemption finale est annoncée dès le début puisque le récit est rétrospectif, mais l’histoire n’en reste pas moins haletante. On voudrait tellement aider Esther, même on se heurte indéfiniment à la même cloche de verre. Voici le roman qui ouvre mon année livresque 2013. Certes, le sujet n’est pas des plus réjouissants, mais la plume est éblouissante, à la fois torturée et vibrante.