En 1946, 655 Australiennes embarquent sur le Victoria, un porte-avion de la marine britannique, pour rejoindre leurs époux en Angleterre. Mariées à des militaires britanniques pendant la guerre, elles sont prises en charge par l’armée. Avant elles, des milliers d’Australiennes ont déjà traversé la moitié de la planète pour retrouver leurs maris, dans des conditions plus ou moins confortables. « Ils n’ont plus un seul navire décent. Ils vont nous coller sur n’importe quel rafiot pour nous emmener là-bas. Ils doivent se dire que les filles qui veulent vraiment partir se contenteront du bateau qu’on leur fournira. » (p. 71)
À bord du Victoria, l’histoire s’attache particulièrement à l’histoire de quatre femmes qui partagent la même cabine. Maggie quitte ses frères et son père pour retrouver son Joe : enceinte jusqu’aux yeux, elle est une force tranquille et généreuse. Jean a 16 ans, elle est blonde et jolie, mais totalement écervelée. Frances est une beauté grave, silencieuse et solitaire qui semble dissimuler un passé encombrant. Avice est une fille superficielle obsédée par les bonnes manières et les apparences. Au cours des six semaines de traversée, les quatre femmes – et un chien – cohabitent plus ou moins facilement dans l’espace étroit de la cabine. Les premiers jours sont difficiles : le porte-avion est un labyrinthe gigantesque et mouvant et de nombreuses épouses souffrent violemment du mal de mer. En outre, les femmes doivent se soumettre à la rigueur militaire. « La vie à bord sera soumise au règlement aux us et coutumes militaires. » (p. 124) Mais, aussi gigantesque que puisse être le navire, il n’empêche pas certains rapprochements entre les femmes et les marins, peu habitués à transporter ce genre de cargaison. « Elles n’étaient décidément qu’une marchandise qu’il fallait éviter d’endommager, un lot de femmes à trimballer d’un point du globe à un autre, de leur père à leur mari, d’un groupe d’hommes à un autre en quelque sorte. » (p. 230)
Embarquées dans ce qui était un véritable périple à l’époque, les épouses ne savent pas ce qui les attend en Angleterre. Si elles savent toutes ce qu’elles laissent – une famille, un passé honteux, une vie laborieuse –, elles ne savent pas ce qu’elles trouveront ou ce qu’elles ne trouveront pas. « Je ne pense pas que ces petites Australiennes soient très difficiles, tout ce qu’elles cherchent, c’est un type qui les emmène loin de leur bon vieil élevage de moutons fermiers. » (p. 245) Certaines ne débarqueront pas sur les côtes de sa gracieuse majesté, ayant reçu un télégramme sur le bateau leur apprenant qu’elles étaient désormais non grata en Angleterre. Pour ces femmes qui se sont arrachées à leur terre natale, le mariage est un engagement complet, un plongeon dans l’inconnu. « Nous n’avons pas fait cette satanée traversée pour rien, tu ne crois pas ? Nous devons tout faire pour réussir cette nouvelle vie. » (p. 568) Au fil de la traversée, on découvre peu à peu les histoires de ces filles et, pour certaines, les véritables raisons qui les ont poussés à quitter l’Australie.
Avant d’ouvrir le roman, j’étais un peu sceptique : comment faire tout un roman d’une traversée en mer ? Après quelques pages, j’ai rangé mes vilains a priori et je me suis laissée prendre à ce récit très réussi. La vie à bord, entre routine et scandales, réserve bien des surprises, qu’il s’agisse des rencontres clandestines dans les cales du navire ou de l’organisation de l’élection de Miss Victoria. Le roman parle beaucoup des épouses australiennes, mais il ne faut pas oublier que le voyage de Sydney à Plymouth marque aussi la vraie fin de la guerre pour les marins britanniques et le retour au pays. Les extraits qui ouvrent chaque chapitre sont tirés de la presse de l’époque, de journaux intimes, de journaux de bord, de correspondances ou de témoignages recueillis par l’auteure. Ces mises en exergue contrastent très souvent avec une ironie mordante sur le contenu du chapitre. Les extraits de journaux montrent une presse encore marquée par le journalisme de guerre et la propagande. Au contraire, les témoignages se chargent de remettre les choses au clair.
L’auteure s’est fondée sur le témoignage de sa grand-mère qui fut l’une de ces Australiennes qui, ayant épousé un soldat britannique pendant la guerre, est partie le rejoindre à la fin du conflit. J’ai ressenti toute la tendresse et l’admiration de l’auteure pour ces femmes, même les plus agaçantes, qui ont courageusement quitté leur patrie pour fonder un foyer en terre inconnue. J’ai trouvé le personnage de Frances particulièrement attachant, probablement parce qu’il est le plus complexe et le plus travaillé. Le titre français est trompeur : les femmes de cette histoire sont des épouses et non des fiancées. Il n’aurait pas été honteux de suivre le titre original, The ship of Brides. Mais laissons de côté ce problème de traduction. Le roman de Jojo Moyes est une excellente lecture estivale, à la fois simple et passionnante, voire émouvante. N’hésitez pas et embarquez avec ces épouses australiennes sur le Victoria !