Roman de Joanne Harris. Se place après Le rocher de Montmartre, première suite de Chocolat.
Il y a huit ans, nous avions laissé Vianne enceinte à Lansquenet-sous-Tannes. La voici à Paris, sur une péniche, avec Anouck, Roux et Rosette, leur fille. Un matin, elle reçoit une lettre d’Armande, sa vieille amie de Lansquenet, morte quelque temps avant son départ. Voilà, le vent a tourné et Vianne retourne à Lansquenet. Francis Reynaud, le prêtre, est toujours là, mais il a changé. Il semble plus souple, mais également sur le qui-vive. Depuis plusieurs mois, le père Henri Lemaître semble vouloir prendre l’ascendant sur la petite communauté, avec l’aide de Caro Clairmont et des autres hypocrites bigotes du village. Mais il n’y a pas que ça : depuis peu, il y a des tensions entre la communauté catholique et la nouvelle communauté musulmane, récemment installée aux Marauds, à la place des gens du voyage. « Le quartier des Maraud qui ressemblait jadis à une simple page en couleurs exotiques s’est transformé en un chapitre entier en langue étrangère. » (p. 63)
Le ramadan vient de commencer. On chuchote que le vieil imam Mahjoubi n’est plus capable de gérer les siens, que Reynaud a incendié l’école musulmane pour filles installée dans l’ancienne chocolaterie, qu’Inès Bencharki, sous son niqab, est une sorcière. Et Vianne se crée ses propres rumeurs et elles lui transpercent le cœur : le fils de Joséphine serait-il le fils de Roux ? Sa maison est-elle vraiment sur cette péniche amarrée sur les quais de Seine ou plutôt dans l’ancienne chocolaterie ? Avec le vent qui n’en finit pas de tourner, de souffler et de retourner les esprits, l’atmosphère s’électrise à Lansquenet et il plane une menace, un danger grandissant, comme l’inquiétante promesse d’une guerre entre deux communautés, entre des cœurs qui pourraient s’accorder.
Encore une fois, le cœur généreux de Vianne la pousse à aider son prochain, à chercher l’apaisement. Elle regarde les couleurs des âmes et elle refuse de juger ou de prendre parti pour le plus fort, le plus nombreux ou le plus évident. Avec la gourmandise et le plaisir de donner en armes pacifiques, elle espère apaiser les cœurs. « Offrir de la nourriture revenait à tendre une main amicale. L’accepter, c’était être adopté par la plus recluse des communautés. » (p. 105) Hélas, cela ne suffit pas toujours et Vianne doit réapprendre que la dissimulation n’est pas toujours menace ou mensonge et que l’ombre qui se cache est parfois celle d’un bienfaiteur.
Comme pour Chocolat, le texte se décline à deux voix : celle de Vianne et celle de Reynaud. Ce dernier a d’ailleurs perdu de sa superbe depuis le premier opus. Il n’est plus maître en sa paroisse et découvre ce que c’est d’être exclu d’une communauté, voire de plusieurs. Pour lui et pour Vianne, l’apprentissage du rejet est douloureux et c’est avec humilité qu’ils devront comprendre que la différence ne s’abolit pas et qu’elle ne s’assimile pas, surtout si on veut l’obliger à entrer dans le moule. Finalement, la différence, c’est comme un morceau de chocolat brut : si on veut le forcer à entrer dans l’emporte-pièce, il va se briser et abîmer l’ustensile. Mais si on prend le temps de l’assouplir, de comprendre sa subtilité, on peut en faire le plus doux des délices.
J’ai lu Des pêches pour monsieur le curé comme j’aurais détaché le dernier fruit d’un arbre à la fin de l’été. J’ai éprouvé le même plaisir reconnaissant pour le livre que pour le fruit qui, morceau de sucre et de soleil, rappelle que tout passe et que tout doit être savouré quand c’est possible.