Texte de Philippe Claudel.
Il y a longtemps que je t’aime raconte le retour de Juliette dans sa famille, après plusieurs années de prison. Elle retrouve sa jeune sœur et doit réapprendre à vivre auprès des siens et en dépit du remords et des absents. Écrit et réalisé par Philippe Claudel, ce film est porté par la toujours sublime Kristin Scott Thomas et la très délicate Elsa Zilberstein.
Petite fabrique des rêves et des réalités est une réflexion sur le film, composée à la manière d’un glossaire, Philippe Claudel détaillant les mots ou les noms qui comptent pour comprendre l’œuvre cinématographique. J’ai déjà beaucoup apprécié cette forme sous la plume de Philippe Claudel, avec son très beau Parfums.
Philippe Claudel revient donc sur le tournage et partage ses réflexions sur le film, le cinéma, ses choix d’auteur/réalisateur et la vie en général. Il partage avec le lecteur les livres, les films et les musiques qu’il aime, révélant un peu de la matière dont ses rêves sont faits. Cet auteur m’émeut toujours : son style à je ne sais quoi de subtilement poétique et d’incroyablement charnel, sensuel. De plus, je le trouve véritablement lucide et clairvoyant sur ce qui compose son monde. Philippe Claudel est un sage qui s’ignore, un maître à penser. Voici quelques morceaux choisis de ce très bel ouvrage qu’est Petite fabrique des rêves et des réalités.
« On raconte tellement de choses à propos de la relation d’un metteur en scène et de ses comédiennes. Et puis le cinéma, qui est aussi une formidable mécanique à fabriquer des histoires, enfante ses propres mythologies qui mélangent le vrai et le faux, les fantasmes et les suppositions. » (p. 18)
« Le cinéma est un art qui se fabrique à plusieurs et qui se regarde à plusieurs, contrairement à la littérature qui s’élabore dans la solitude et se lit dans la solitude. » (p. 35)
« Je ne sais pas comment naissent les histoires. Je ne veux d’ailleurs pas le savoir, de peur de détruire un processus qui s’apparente pour moi à une opération magique. » (p. 59)
« Émotion : créature fragile. » (p. 63)
« Pathos : le pas de trop. » (p. 93)
La deuxième partie de ce livre est le scénario du film Il y a longtemps que je t’aime. J’ai choisi de ne pas le lire, voulant garder les images du film telles que je les ai vues – même si je les ai un peu oubliées – et non pas les imaginer comme si ma lecture du scénario était ma première rencontre avec l’œuvre. Pour une fois, j’ai voulu que les images priment le texte. Puisque Philippe Claudel nous a offert un film, pour une fois – pour une seule fois –, je ne veux pas de son texte.
Un passage a fait manquer un battement à mon cœur épris de cet auteur. « J’ai terminé l’écriture du Rapport de Brodeck juste avant de commencer la préparation du film. Durant le tournage, il a fallu que je relise les épreuves du livre. Ce fut très fastidieux, et complètement exotique. Je ne sais pas pourquoi j’ai eu alors le sentiment que c’était mon dernier roman, sentiment que j’ai encore. Est-ce parce que j’étais engagé dans une entreprise tellement différente et qui me comblait ? Étais-je en train d’abandonner un genre, comme un quitte une femme qu’on a longtemps aimée pour en suivre une autre ? » (p. 107) Si je n’avais pas lu L’enquête, publié trois ans après Le rapport de Brodeck, voilà une réflexion qui m’aurait bien attristée.
Je continuerai à voir et revoir les films de Philippe Claudel. J’ai récemment beaucoup apprécié Tous les soleils et Avant l’hiver. Mais j’attends avec une impatience non dissimulée son prochain texte.