Roman de Britta Böhler. À paraître le 20 août.
Réfugié en Suisse avec sa famille, Thomas Mann se languit de l’Allemagne, patrie qu’il aime et pour laquelle il souffre alors qu’elle sombre dans l’horreur nazie. Tout son entourage le presse de prendre la plume, de dénoncer ce qui se passe à Berlin. Un écrivain de sa trempe et de sa renommée ne peut pas se permettre le silence. On pourrait croire qu’il cautionne, qu’il est lâche. Thomas Mann rédige alors une lettre qui doit paraître dans un grand journal allemand. « Il a laissé parlé sa conscience et sa conviction profonde, ainsi dit la lettre, que de l’actuel gouvernement allemand il ne peut rien sortir de bon, ni pour l’Allemagne ni pour le monde. » (p. 13)
Durant les trois jours qui précèdent la parution de sa lettre, l’écrivain doute : a-t-il eu raison d’écrire ce texte ? « Ce n’est pas son genre de se consumer de haine. » (p. 78) À n’en pas douter, sa lettre fera grand bruit en Allemagne. Presque aussi certainement, ses livres seront interdits dans sa propre patrie. « Qu’un écrivain persécuté par le Reich y rencontre le succès, n’est-ce pas un coup porté au régime ? » (p. 97) Le retour lui sera interdit puisque l’Allemagne nazie l’accuse déjà de fuite et de trahison. « L’image de sa patrie se fait de plus en plus et imprécise. Il est devenu un outsider, un spectateur qui ne connaît plus la vie en Allemagne que de seconde main. » (p. 61) Enfin, cette lettre peut mettre en danger toute sa famille : accomplir son devoir de citoyen vaut-il vraiment de courir ce risque ? L’auteur peut-il encore retenir sa lettre ? Publier cette accusation, est-ce perdre l’Allemagne pour de bon ou en préserver la meilleure part, celle qui ne se plie pas devant un régime qui aboie ?
Ce premier roman est une réussite. L’auteure révèle avec talent les doutes et les peurs d’un homme vieillissant qui est fatigué de mener des batailles et de fuir. Mais tel un chevalier éternellement loyal, il revêt une dernière fois son armure de papier et porte une féroce estocade à l’ennemi immonde qui menace son pays. L’Histoire le sait déjà, la lettre de Thomas Mann a bien été publiée, mais il était tout à fait intéressant d’interroger les jours qui ont précédé sa publication : il faut se souvenir que l’Histoire accouche parfois de ses héros dans la douleur et qu’un acte de bravoure peut cacher des abysses d’incertitude.