Bande dessinée de Joann Sfar. À paraître le 20 avril.
Seaberstein est peintre et dessinateur. Il est juif. Il est fou amoureux de son amante, qu’il appelle Mireille Darc. « Je le sais que ta vie est précieuse. Si tu me confies ta vie, j’en prendrais soin. Moi aussi, tu sais, j’y tiens beaucoup. À ma vie. Ça ne m’arrive pas tous les matins, de dire : “Voilà, voici ma vie, tout est à toi.” Un jour, je te le dirai même quand tu seras réveillée. » (p. 16) Elle écrit une thèse sur l’épigraphe latine. Elle est belle. Elle aime être regardée. Elle s’en défend. Seaberstein ne sait pas arrêter de la regarder. De la désirer. « J’aime bien regarder quand il m’attend. Je le fais m’attendre tout le temps. Je ne sais pas pourquoi il n’y a qu’avec lui que je suis tout le temps en retard. » (p. 14) Elle accepte de devenir son modèle pour une série de peintures que lui a commandé le musée d’Orsay. Mais comment peindre la femme que l’on adore ? Comment sublimer l’amante au travers du modèle pour en faire un sujet universel ?
Quand Joann Sfar parle du couple, il parle de l’impossibilité de vraiment unir deux êtres qui se trouvent des points communs. « Parfois, je suis perdue. Je ne le reconnais plus, car il a des blessures. Je ne me suis jamais endormie longtemps contre lui. Maintenant, nous vivons ensemble. Il va falloir apprendre. » (p. 19) Le couple se crée et ne cesse de s’apprivoiser. Mais les grandes déclarations dureront moins longtemps que les tableaux. Seaberstein, artiste priapique, est touchant parce qu’il est amoureux, et tellement épris que ses pinceaux se taisent : pourquoi peindre pour d’autres quand il a séduit celle qu’il aime ? Mon personnage favori est Protéine, la meilleure et seule amie de Mireille Darc. Cette juive flamboyante se pose beaucoup de questions et comble la vacuité du monde en achetant des chaussures. Elle renvoie sans cesse son amie à son égoïsme et tente de trouver un sens à son existence.
Surprenant de constater combien le dessin pointu de Sfar est étonnamment sensuel. La page se compose le plus souvent de petites vignettes qui s’enchaînent à une allure folle, mais parfois le dessin prend le temps et s’étale sur la surface, comme un arrêt sur image, une pose travaillée par le modèle. On se perd alors dans l’abîme de la contemplation et on n’en ressort qu’avec la certitude qu’il y a d’autres merveilles à découvrir sur les pages suivantes.
Du même auteur : Le chat du rabbin