Thad Beaumont est un mari et un père heureux. Il est aussi un auteur reconnu, mais il doit sa renommée aux romans qu’il a publiés sous le pseudonyme de George Stark. Ce jumeau de papier a fini par lui faire de l’ombre et il a organisé sa mort sous l’œil des médias. Parfait coup marketing, cette opération n’est pas du goût du principal intéressé : George Stark n’est pas disposé à se laisser supprimer et il vient réclamer sa place dans le monde des vivants. « Il était mort, on l’avait enterré publiquement et en sus il n’avait jamais eu d’existence réelle, mais c’était sans importance ; réel ou pas, il n’en était pas moins de retour. » (p. 93) Il s’en prend à tous ceux qui sont responsables de sa disparition et remonte inexorablement vers son créateur. Thad Beaumont et sa petite famille sont dans sa ligne de mire. « Il veut exactement ce que vous ou moins voudrions si nous nous trouvions dans la même situation. Il ne veut plus être mort. Je suis le seul qui soit capable de faire cela pour lui, et si je n’y arrive pas, ou si je ne veux pas… eh bien… il peut au moins faire en sorte de ne pas être le seul. » (p. 215)
Stephen King aime écrire sur les écrivains et leurs tourments. Quant au danger du pseudonyme, nul doute que le roi de l’épouvante sait de quoi il parle, lui qui a publié des romans sous le nom de Richard Bachman. Quand il publie La part des ténèbres en 1989, pensait-il à faire disparaître Richard Bachman ? Rien n’est moins sûr puisque son alias de papier est crédité de romans jusqu’en 2007, avec la sortie de Blaze. La question de l’auteur et de son double est ici creusée autant que possible : jumeau disparu et maléfique, némésis, mauvais génie, George Stark est tout ce que Thad Beaumont refoule depuis l’enfance. « Les pseudonymes ne sont qu’une forme plus haute de personnages de fiction. » (p. 169) Reste à savoir si un auteur peut vraiment maîtriser ses créations et jusqu’où elles acceptent de se soumettre. Pas loin, à ce qu’il semblerait.
La part des ténèbres est un très bon opus du King : des scènes gores à souhait, de l’angoisse bien dosée et ce qu’il faut de fantastique pour rendre le récit parfaitement divertissant. Et pour ce que ça vaut, méfiez-vous des moineaux.