Idriss, jeune berbère, garde son troupeau dans le désert autour de l’oasis de Tabelbala. Passe une belle femme blonde dans une Land Rover. Elle photographie Idriss et lui promet de lui envoyer le cliché. Mais l’image n’arrive jamais. « Les vieux n’aiment pas trop les photos. Ils croient qu’une photo, ça porte malheur. Ils sont superstitieux, les vieux… » (p. 43) Le jeune garçon décide de partir en France, à Paris, pour retrouver son portrait et pouvoir le clouer sur un mur. De Tabelbala en passant par Oran et Marseille jusqu’à la capitale française, il est saturé d’images qu’il ne comprend pas. Elles représentent le désert et les oasis, mais ne ressemblent pas à ce qu’il a toujours connu. « Petit migrateur venu du sud, embarqué dans une aventure incertaine que rien ne devait retarder, Idriss s’était posé là comme un oiseau de passage. » (p. 61) Pour toute richesse, Idriss n’a que la goutte d’or abandonnée par une danseuse : la breloque autour du cou, il ne sait pas qu’il va perdre plus que son innocence en France, mais aussi ses illusions. Image photographiée, image filmée, image moulée, Idriss n’en finit pas de servir de modèle et de perdre son identité. « Idriss se lève pour tenter de secouer la fantasmagorie qui une fois de plus menace de l’emprisonner, comme dans un filet d’images. » (p. 120) Son salut, il le trouvera dans le signe, auprès d’un maître calligraphe. Loin de la fascination et du danger des images, traîtres idoles, Idriss trouve la paix dans le mot.
Le parcours initiatique du jeune Idriss est semé d’embûches. Les récits enchâssés qui ponctuent son histoire illustrent à l’envi le danger des représentations picturales. Il y a quelque chose de maléfique dans le fait de saisir l’image d’un être vivant. Cette action le dépossède d’une partie de lui-même, de sa force. Il ne faut pas se fier aux images qui peuvent être trompeuses, menteuses. Seul le signe écrit, grâce à sa force abstraite, peut rendre compte du monde. Michel Tournier a produit un texte magnifique sur l’éternel affrontement entre texte et image. Laquelle est la servante de l’autre ? Faut-il les opposer ou tenter de les réconcilier pour parvenir à la compréhension ultime ? Loin de répondre à la question, l’auteur a offert un conte qui aurait toute sa place parmi ceux des Mille et une nuits. « Il y a un signe infaillible auquel on reconnaît que l’on aime quelqu’un d’amour. C’est lorsque son visage vous inspire plus de désir physique qu’aucune autre partie de son corps. » (p. 178)
De Michel Tournier, dans le registre oriental, lisez Gaspard, Melchior et Balthazar. Et sinon, lisez aussi Le roi des Aulnes, Éléazar ou la source et le buisson, Vendredi ou les limbes du Pacifique et tous les autres textes de cet immense auteur.