Une jeune auteure est invitée à présenter ses livres lors d’un festival littéraire dans le sud de la France. « Je comprends que je ne suis qu’une curiosité supplémentaire sur un lieu de vacances où les gens prennent du bon temps. » (p. 16) Sa rencontre avec le maire de Marnas bouleverse le tranquille programme de son été. L’édile est fasciné par l’aurochs et pour le célébrer, il demande à l’écrivain d’écrire une biographie de cette bête préhistorique disparue. Loin de la grande ville où elle a ses repères, l’auteure se découvre une nature violente et carnassière. À son tour fascinée par l’aurochs, elle s’investit pleinement dans l’écriture d’un panégyrique de cette créature aux allures de divinité. Au fil de sa plume renaît l’animal qui court fièrement sur les murs des grottes. S’abandonnant totalement à son projet d’écriture, elle se découvre une nouvelle vitalité créatrice. Mais tout cela s’accompagne d’un retrait du réel : sans s’en rendre compte, l’écrivain met les pieds sur un terrain dangereux où elle est davantage proie que chasseur.
Incarnation moderne du Minotaure, le maire de Marnas est un être puissant et inquiétant : son apparition dans le récit fait basculer l’intrigue dans l’irréel, voire dans l’inconscient. Ce qui se joue dans son musée des espèces est un retour à la terreur primitive. Aurochs de Heck, corps plastinés et animaux empaillés constituent une sombre galerie des horreurs. « Il fallait coincer l’auteur. Si ce n’est avec de l’argent, du moins avec un sentiment qui annihilerait ses réactions de défense : l’effroi. » (p. 119) L’atmosphère légère du début du roman vire rapidement à l’angoisse. On n’est pas très loin de Délivrance, mais si l’air devient pesant, le récit n’en reste pas moins follement onirique ! L’aurochs est de ces créatures qui habitent les rêves et l’imagination : l’en faire sortir pour lui faire prendre pied dans la réalité n’est certainement pas une bonne idée. « Même si on ne la voit pas, la bête vit alentour, cachée dans les sous-bois où elle mène sa vie indomptée ; ainsi dissimulée, elle demeure pour l’homme un mystère. Pour certains, l’animal doit être visible, accessible tel un objet. » (p. 52) Et comme Icare s’est brûlé les ailes en voulant échapper au labyrinthe et au Minotaure, la jeune auteure peut bien courir, elle a raté le départ de course. Les sabots du bovin mythique sont déjà sur ses talons !
Une fois encore, Stéphanie Hochet interroge avec intelligence et talent la relation entre l’homme et l’animal. Lisez son Éloge du chat pour vous en convaincre. « Nous sommes réunis ici pour évoquer par le biais de la littérature notre parenté avec l’animal. » (p. 91) L’animal et son biographe flirte avec le réalisme magique et l’épouvante. C’est un récit cosmogonique et une fable écologique. Je l’ai dévoré en quelques heures et je le recommande sans aucune réserve !