Roman de Stephen et Owen King.
Partout dans le monde, les femmes s’endorment et ne se réveillent plus. Elles ne meurent pas, mais sont entourées d’un cocon, comme des chrysalides, dont il est bien dangereux de vouloir les délivrer. Les médias appellent cette terrifiante épidémie de sommeil Aurora. Seule Evie s’endort et se réveille à sa guise. Cette jeune femme sortie de nulle part parle en outre aux animaux et semble venir de plus loin que le temps. Où vont les femmes qui s’endorment ? Que va-t-il advenir des hommes, du monde ? Il semble en tout cas que tout converge vers la prison de Dooling, dans les Appalaches.
Je n’en dis pas plus et je ne donne aucun nom de personnage, hormis celui d’Evie. Sachez que vous croiserez aussi un renard, un tigre blanc, un paon majestueux et un serpent rouge. Vous aurez bien le temps de faire connaissance avec tout le monde pendant les 720 pages de roman écrit à quatre mains. On sent surtout la patte de Stephen King, surtout quand comme moi – et comme de nombreux autres fans –, on a quasiment lu toute la production du bonhomme. Il est bien difficile de savoir quelles sont les contributions respectives de papa et de fiston King. Cependant, il y a des maladresses qui sont tristement dignes d’un premier roman : à se demander si le môme n’a pas écrit la majorité du bouquin en pastichant le style de son paternel et si le daron n’est pas juste passé derrière en signant de son prénom pour assurer une bonne reconnaissance au bouquin. Mais on s’en fout un peu, finalement : on tient entre les mains un assez bon bouquin, même s’il compte quelque 200 pages en trop. Mais il est comme ça le King, il ne sait pas faire court quand il n’écrit pas de nouvelles. Et il ne sait pas non plus résister à l’envie de supplicier des animaux : lapins, chat et chien, on a un beau panel de bestioles en souffrance ici !
Ce roman féministe – n’ayons pas peur des mots – m’a beaucoup rappelé d’autres textes du King, notamment Jessie, Dolores Claiborne et Rose Madder, où des femmes se battent pour leur survie face aux hommes ou au pouvoir masculin. Dans Sleeping Beauties, King père et fils opposent les principes féminins et masculins, mais sans en rendre un tout blanc et l’autre tout noir. Il y a des pommes pourries et des pommes d’or dans les deux paniers. La conclusion du roman est pleine d’espoir, mais aussi de fêlures. Rome ne s’est pas faite en un jour et il faut de la patience pour extirper certaines mauvaises habitudes. Mais mais mais… parce qu’il y a des mais. Déjà, comme je l’ai dit : des maladresses et des longueurs. Et surtout un propos qui appuie trop lourdement sur la culpabilité des hommes et qui verse un peu dans l’angélisme. Oui, les King, on a compris : on sait que vous avez conscience du problème et que vous êtes du côté des femmes. Dommage que votre roman surfe sur vague Weinstein au lieu de s’y attaquer de front.
Je vous laisse avec plusieurs extraits de ce roman doucement horrifique. Pensez-y si vous êtes une femme : accepteriez-vous de vous endormir si ça signifie que vous serez séparées de tous les hommes de votre vie ? Et pensez-y vous êtes un homme : que vous inspirent ces femmes endormies toutes prêtes à vous déchirer en morceaux si vous essayez de les réveiller ?
« Parmi les détenues du centre pénitentiaire de Dooling, les histoires de gagnantes étaient rares, pour ne pas dire plus. Par contre, il y avait un tas d’histoires de sales types. » (p. 13)
« Messieurs, qu’en sera-t-il de la race humaine dans cinquante ans, si les femmes ne se réveillent pas ? Et dans cent ans ? » (p. 351)
« J’ignore quelles expériences vous avez eues avec les hommes. Tragiques, j’imagine. Mais quoi que vous pensiez, sachez que la plupart des hommes ne veulent pas tuer des femmes. / Nous verrons bien, n’est-ce pas ? » (p. 371)
« Un monde recrée par des femmes avait une chance d’être plus sûr et plus juste. Et pourtant… » (p. 504)
« Ne redis jamais ça. / Quoi donc ? / Gonzesse, pour dire faible. Ta mère aurait dû t’apprendre qu’on ne fait pas ça. » (p. 629)