Roman de Sorj Chalandon.
Tout commence par une explosion en 1983. « Je ne pensais pas qu’un char d’assaut pouvait ouvrir le feu sur un taxi. » (p. 5) En réalité, tout commence quelques années plus tôt, quand Georges, jeune étudiant propalestinien, milite avec ses camarades de fac à Jussieu. Il rencontre Samuel Akounis, juif de Salonique qui a fui la dictature des colonels. « Racisme, antisémitisme, mépris de l’autre, leurs idées étaient à combattre, comme leur haine du présent, leur dégoût de l’égalité, leur aversion de la différence. » (p. 45) Mais le mouvement s’essouffle, les banderoles palissent et les slogans perdent de leur puissance. Georges devient metteur en scène, épouse Aurore, fonde une famille. Pendant ce temps, au Liban, Samuel monte un projet fou : faire jouer Antigone de Jean Anouilh. « Le théâtre est devenu mon lieu de résistance. Mon arme de dénonciation. » (p. 28) Son Antigone, Samuel la veut multiculturelle. « Mon ami avait eu l’idée de voler deux heures à la guerre, en prélevant un cœur dans chaque camp. » (p. 98) Mais Samuel est malade et doit rentrer en France. Au nom de leur amitié, Georges accepte de le remplacer à Beyrouth. C’est à lui qu’incombe de faire cohabiter sur scène des chrétiens, des Druzes, des chiites, des sunnites ou encore des Arméniens. « La calotte […] devait se mêler au keffieh, au turban, au fez, à la croix et au croissant. » (p. 115) Chaque camp voit dans la pièce de Jean Anouilh une exaltation de son propre combat, chacun le comprend de la manière qui le flatte le plus. Georges accepte tout du moment que la pièce se joue. Mais que peut une poignée de comédiens face aux bombardements d’Israël ? « Tu n’es pas au-dessus de cette guerre. Personne n’est au-dessus de cette guerre. Il n’y a plus d’autre tragédie ici que cette guerre. » (p. 164)
Sorj Chalandon n’en finit pas de me saisir là où les émotions hurlent. Comme dans Mon traître, on retrouve des militants convaincus que leur cause est juste, guidés par des figures fortes, paternelles ou fraternelles. Ces hommes et ces femmes sont prêts à donner leur vie pour leur terre ou leur peuple. « L’antinationalisme ? C’est le luxe de l’homme qui a une nation. » (p. 20 & 21) Tout vibre dans ce texte, tout tremble. Impossible d’en sortir froid ou indemne. Comme au théâtre quand les acteurs sont exceptionnels, on vit avec eux leurs tirades, leurs émois, leurs agonies. Le quatrième mur tombe : il n’y a plus de fiction, tout est réel parce qu’humain, et parce qu’humain, universel.