Attention, révélations possibles dans cet article qui présente une série BD entière !!!
Tome 1 : Le Manuscrit – Bande dessinée de Franck Giroud et Joseph Béhé.
Simon, Français vivant en Irlande, végète dans une maison d’édition. Ses ambitions d’auteur lui semblent de plus en plus dérisoires. Et il se morfond depuis sa rupture avec Gwen. « Je déteste Glasgow… J’y ai définitivement perdu la femme que j’aimais… et tout espoir de devenir écrivain. » (p. 14) Mais voilà qu’il se retrouve en possession d’un étrange manuscrit, Nahik, très ancien et au potentiel littéraire indéniable. Le texte suppose l’existence d’un autre Décalogue, dicté par Mahomet. Simon voit dans cette œuvre étrange la promesse du succès après lequel il court depuis longtemps. Mais bien mal acquis ne profite jamais… et Simon est rapidement victime d’un maître chanteur. « Je commence à subir la malédiction du manuscrit. » (p. 49) Et pendant ce temps, Glasgow frémit d’effroi devant les crimes du tueur de la Clyde.
Avec ce premier tome, Franck Giroud pose le décor de son histoire en 10 volumes qui remonte aux origines de ce décalogue inédit gravé sur une omoplate de chameau. Les tomes suivants seront tous dessinés par des artistes différents. Et j’ai bien hâte de tous les lire. Heureusement, un cher ami a la collection complète et j’ai l’autorisation de piller sa bibliothèque ! Dans ce volume, j’ai notamment beaucoup apprécié les prises de parole de Simon. Auteur jusqu’au bout des ongles, il rature ses propres mots pour trouver l’expression parfaite. Cela donne des cases vraiment surprenantes, où les termes biffés en disent plus ou différemment que la parole définitive. Et évidemment, gros coup de cœur pour Nessie, le chat de Simon, qui est autant un ressort comique qu’un témoin attentif des mésaventures de son maître… Bref, lecture à suivre !
Tome 2 : La fatwa – Bande dessinée de Franck Giroud et Giulio De Vita.
Aline est danseuse et sa troupe voyage dans l’Orient-Express, se produisant dans les gares tout au long des étapes du célèbre train. Son petit ami, Merwan, apprécie peu son métier, qu’il considère comme une exhibition dépravée. Alors qu’il s’est une nouvelle fois disputé avec Aline, il croise un homme par hasard et le reconnaît ! C’est Halid Riza, auteur contre qui une fatwa a été lancée. « Certes, La dernière sourate est un roman… mais le décalogue existe bel et bien ! Regarde ce livre Nahik ! Il s’agit également d’une fiction, mais on y trouve des dessins réalisés en Égypte au XVIIIe siècle. Entre autres, la reproduction d’une étrange omoplate de chameau… » (p. 19) Face à ce texte millénaire, Merwan remet en cause le bien-fondé du mouvement islamiste qu’il a rejoint.
Le deuxième volume du Décalogue commence à remonter dans le temps, vers les origines de Nahik et de cette mystérieuse omoplate. J’ai beaucoup apprécié le dessin très dynamique de Giulio De Vita, et surtout le décor roulant du mythique train qui file vers l’Est. Chose certaine, me voilà à bord de l’aventure du Décalogue, et pas prête à faire escale !
Tome 3 : Le météore – Bande dessinée de Franck Giroud et J. F. Charles.
1958, en Grèce, un dangereux malade s’échappe d’un asile psychiatrique et sème la mort dans son sillage, vers un monastère orthodoxe perché dans les montagnes. Ce monastère est également le but d’un groupe d’intellectuels qui randonnent dans la neige pour lire enfin Nahik. Alors que l’hiver fait rage, les morts se multiplient dans le groupe, laissant penser que la malédiction de l’ouvrage est toujours à l’œuvre. « La réputation de ‘livre maudit’ lui colle aux pages depuis le début ! / Bien sûr ! D’ailleurs, peut-être est-ce Satan lui-même qui l’a imprimé ? / Et pourquoi pas ? Que savez-vous de Dieu et du Diable ? » (p. 19)
Le scénario de ce volume est très efficace et ménage un suspense de très bonne tenue. Quel plaisir surtout d’admirer des reproductions d’icônes orthodoxes dans le monastère des Météores ! L’intelligence du scénario en 10 volumes imaginé par Franck Giroux est de solliciter une mémoire à rebours : tel personnage à peine évoqué dans le présent tome aura très probablement une place fondamentale dans le volume suivant, qui se place avant celui que l’on est en train de lire. Très finement pensé et construit !
Tome 4 : Le serment – Bande dessinée de Franck Giroud et Tomaz Lavric.
« Si tant de criminels ont pu nous échapper, c’est grâce à un réseau dont le centre se trouve ici même, au cœur de la cité pontificale. » (p. 29) À Rome, en 1946, et plus précisément au Vatican, le père Davor Stimac cache son beau-frère, criminel de guerre, pour qu’il échappe aux autorités serbes, via ce que l’histoire a appelé la ratline. C’est surtout Milena Mulabolic, premier amour déçu de Davor, qui traque cet homme responsable de la mort de son époux. Dans un enchaînement d’événements apparemment sans lien, un destin implacable se met en route et n’épargne ni innocent ni coupable, dans un étrange sens de la justice.
Nahik a changé de mains et continue sa marche vers le futur, tandis que le lecteur poursuit sa marche vers le passé de ce livre maudit. On découvre progressivement de quoi est fait cet ouvrage et en quoi il constitue une menace ou un espoir pour l’humanité, selon ceux qui le possèdent. « Dans ce monde nouveau qui émerge lentement du chaos, son message œcuménique contribuerait singulièrement à renforcer la paix ! À jeter aux oubliettes les vieux antagonismes religieux ! » (p. 35) Je ne vais évidemment pas tarder à lire la suite de cette saga passionnante !
Tome 5 : Le Vengeur – Bande dessinée de Franck Giroud et Bruno Rocco.
1915, en Turquie, une famille arménienne est massacrée. En 1922, l’unique survivant rejoint Nemesis, une organisation qui traque les responsables turcs pour faire justice. Pour attirer l’un d’eux, le jeune homme lui fait miroiter Nahik, seul bien qu’il lui reste de sa famille. « Ce n’est pas seulement un trésor bibliophilique ! Pas seulement l’unique survivant d’une édition détruite par le feu juste sa sortie de presse ! Ce n’est pas seulement un chef-d’œuvre technique ! Le plus bel ouvrage réalisé à l’époque ! C’est aussi une pièce irremplaçable pour l’histoire de la peinture ! » (p. 50) Dès lors, tout va plus loin que la seule vengeance du génocide arménien : il s’agit de révéler la vérité sur une religion, sans doute au détriment de l’amour.
Avec le dessin très noir de Bruno Rocco, cet album a quelque chose des histoires de mafia américaine. À mesure des volumes, je me rapproche de la création de Nahik. Et je me plais dans cette lecture à rebours d’un mystère littéraire et religieux. Je ne sais pas comment Franck Giroud a travaillé son scénario, mais c’est brillamment tenu sur la longueur ! Et surtout, l’histoire arrive dans des périodes historiques qui m’intéressent beaucoup. Hâte de voir comment elles seront traitées par les prochains dessinateurs !
Tome 6 : L’échange – Bande dessinée de Franck Giroud et Alain Mounier.
1882, sur un navire, de nombreuses familles quittent l’Égypte pour les États-Unis, dans l’espoir d’une meilleure vie. Parmi ces immigrants de toute classe sociale, deux épouses enceintes accouchent pendant la traversée. Et au terme du voyage, leurs familles sont liées par un terrible secret qui éclatera près de 20 ans plus tard. Une jeune fille devra alors choisir son avenir, elle qui n’a pas eu aucune liberté de choisir ses origines. Et ce n’est sans doute pas en Amérique, terre de déracinés, qu’elle pourra tracer le chemin de son existence.
On commence à en apprendre un peu plus sur Fernand Desnouettes, le peintre qui a produit les superbes aquarelles qui illustrent Nahik. « C’est un peintre qui a mystérieusement disparu pendant la campagne de Bonaparte. » (p. 18) C’est une de ses images qui brisera le silence. Une fois encore, le mystérieux livre procède à bien des drames dans la vie de ceux qui le possèdent… Que j’ai aimé ce tome ! On y parle d’Henry James, et il y a un peu de son esthétique dans les salons bourgeois de la famille Fleury.
Tome 7 : Les conjurés – Bande dessinée de Franck Giroud et Paul Gillon.
1822 : Paris est secouée par les émeutes menées contre Louis XVII et les attentats sanglants et tonitruants des Carbonari. Hortense Fleury, deuxième épouse du général Fleury, est membre de cette société secrète, tout comme le jeune homme dont elle s’éprend. Pour financer la cause, elle propose l’impression d’une œuvre qu’elle tient de sa famille, en lui donnant un titre bien étrange. « Ce récit est tout bonnement ex-tra-or-di-nai-re ! Quelle imagination et quelle force ! Il y souffle le vent de cette nouvelle littérature qui vient enfin ébouriffer les codes poussiéreux de nos aînés ! » (p. 22)
Bon, j’avoue que les nombreux changements de régime entre 1789 et 1870 m’ont férocement ennuyée quand j’étais en khâgne, mais cette formation a eu le mérite de me les faire à peu près entrer dans le crâne ! Plus que les événements politiques, je retiens surtout de ce siècle révolutionnaire l’évolution des modes, notamment féminines. Ici, Paul Gillon propose des tenues époustouflantes. Et assister à la production de Nahik, enfin, quel plaisir ! La double fin de l’album, évidemment tragique, est des plus réussies, et l’on comprend pourquoi le tome précédent commençait au Caire.
Tome 8 : Nahik – Bande dessinée de Franck Giroud et Lucien Rollin.
1813, en pleine guerre napoléonienne, le général Fleury est blessé. Revenu en France et désormais estropié à vie, il doit s’installer provisoirement chez le frère de son épouse, Ninon. Hector est un auteur à succès, dont les récits d’aventure ont séduit un large public. Dans sa grande maison, il héberge également son frère Eugène, défiguré pendant la campagne d’Égypte et tellement traumatisé qu’il a perdu l’esprit. Ainsi, presque toutes les nuits, il hurle « Nahik ! » dans sa chambre sous les combles. Ninon va tout faire pour aider son frère à sortir de sa démence, mais elle se heurte au refus étrange d’Hector. « Il est temps de comprendre que cette maison n’abrite pas un monstre ! Juste un malade qui a été mal soigné pendant trop longtemps. » (p. 42)
Aaaaah, les pièces du grand puzzle s’emboîtent de mieux en mieux ! Quel plaisir de suivre ce scénario de longue haleine et de comprendre les enchaînements à rebours entre les tomes. Ici, l’auteur explore tous les pans de la folie humaine, de celle qui croupit dans les asiles sordides de Paris à celle qui fait perdre tout sens commun. Maintenant que je sais enfin l’origine de Nahik, il ne me reste que 2 volumes pour atteindre enfin les sources du Décalogue !
Tome 9 : Le papyrus de Kôm-Combo – Bande dessinée de Franck Giroud et Michel Faure.
Nous voici au Caire en 1798. L’expédition napoléonienne est retenue en Égypte depuis que l’amiral Nelson a détruit la flotte française. Les militaires et scientifiques s’occupent comme ils peuvent. Et Fernand Desnouettes compte bien mettre à profit ce temps sur place pour explorer des ruines ptolémaïques dans le désert nubien. « Membre du muséum, peintre de talent, archéologue émérite et passionné de culture arabe. » (p. 4) Pour sa protection, il est accompagné du fringant capitaine Eugène Nadal et d’un détachement de soldats. Le militaire craint notamment des attaques de Mameluks. Mais Fernand refuse de se laisser impressionner : il veut trouver ce qu’un vieux papyrus présente comme un secret très longtemps caché.
Enfin ! Le lecteur rencontre le peintre Fernand Desnouettes dont les remarquables aquarelles ont illustré le livre Nahik. Quel plaisir de le suivre dans les sables brûlants à la recherche de la source du Décalogue ! Et surtout, on comprend comment Eugène est devenu fou et ce qu’il a vu en Égypte. La quête est bientôt achevée. Plus qu’un épisode avant de découvrir la vérité sur la mystérieuse omoplate de chameau.
Tome 10 : La dernière sourate – Bande dessinée de Franck Giroud et Franz.
En l’an 31 de l’Hégire, l’Islam n’est pas encore stabilisé. Mahomet est mort depuis peu de temps et la recension du Coran est un enjeu majeur pour fixer durablement la jeune religion. « Une religion que le Prophète a transmise par la parole et non par l’écrit. De sa prédication, il ne reste que très peu de traces manuscrites. Si bien que les divergences d’interprétation se sont mises à fleurir, menaçant à la fois la crédibilité de l’Islam et la cohésion de l’Empire. » (p. 6) Le calife Uthmân compte sur cette recension pour asseoir durablement son pouvoir contre les partisans d’Ali, gendre de Mahomet, et il n’est pas prêt à laisser une sourate gênante et à l’origine douteuse remettre en cause son ambition. De fait, les considérations politiques l’emportent sur le fond religieux.
Cette intrigue en 10 volumes se conclut avec panache, voire audace. Franck Giroud a su tenir son public en haleine pendant plusieurs années et il lui offre un final digne de cette attente. Le message final est fort sans être moralisateur. Maintenant que j’ai fermé le dernier épisode à rebours de cette fabuleuse quête, je n’ai qu’une envie : reprendre ma lecture dans l’ordre chronologique de la frise historique. Mais c’est un projet pour plus tard.
Tome 11 : Le XIe commandement – Bande dessinée de Franck Giroud.
À la fin de sa vie, Missak Zakarian (protagoniste du tome 5) veut en savoir plus sur Nahik, ce livre qui est passé de génération en génération dans sa famille. Il fait appel aux services d’un bibliophile passionné, Georges d’Apreval, pour l’aider dans cette quête. D’échange de lettres et de mails à des extraits de journaux ou de carnets intimes, l’enquête comble certains blancs entre les épisodes et précisent des intrigues et le destin de certains personnages. Georges d’Apreval plonge dans des archives privées et publiques pour retrouver la trace du roman qui a fait couler tant de sang. « J’ai appris que si un livre peut distraire et même consoler, il peut aussi tuer, tant physiquement que moralement. » (p. 94)
Dans ce volume bonus, Franck Giroud nous fait cheminer dans le « bon » sens de l’histoire, jusqu’en 1915. Il invite certains dessinateurs des épisodes à produire quelques pages supplémentaires. Et surtout il nourrit l’enquête d’informations historiques, sous forme de fiches explicatives courtes et passionnantes. Ce onzième opus conclut magistralement la fresque que constitue Le Décalogue. Heureusement, je ne vais pas rester orpheline de cet univers. Il existe deux séries dérivées, toujours en bande dessinée !