« Et peut-être m’aurais-tu parlé. Sans me regarder, les yeux perdus au-delà des montagnes. Tu n’aurais pas avoué, non. Tu n’avais rien à confesser à ton fils. Mais tu aurais pu m’aider à savoir et à comprendre. […] Pourquoi es-tu devenu un traître, papa ? » (p. 16 & 17) L’auteur raconte comment le procès de Klaus Barbie a été pour lui la sinistre occasion de se confronter au passé plus que trouble de son père. Qu’a fait ce dernier pendant la Seconde Guerre mondiale ? Combien d’uniformes a-t-il porté et pour combien de belligérants différents ? Pourquoi a-t-il été jugé et emprisonné ? « Ces quatre années ont été pour toi une cour de récréation. Un jeu de préau. Tu ne désertais pas, tu faisais la guerre buissonnière. » (p. 111)
Dans ce récit autobiographique, j’ai retrouvé toute la puissance de Profession du père. Déjà, l’auteur parlait de l’amour avide d’un gamin pour son paternel, mais aussi de la désillusion grandissante et douloureuse devant les faiblesses de cet homme pas si fort. Entre délire et déni, comment reconstruire la figure du père, et comment vivre avec les mensonges tellement ressassés qu’ils sonnent vrais ? « J’ai passé mon enfance à croire passionnément tout ce qu’il me disait, et le reste de ma vie à comprendre que tout cela n’était pas vrai. Il m’avait beaucoup menti. Martyrisé aussi. Alors j’ai laissé sa vie derrière la mienne. » (p. 23) La dédicace crève le cœur et annonce la couleur : cette lecture sera pesante et émouvante. Impossible de ne pas chavirer devant le courage désespéré du fils quand il avoue les fautes du père. Le texte de Sorj Chalandon se place au-delà du devoir de mémoire : il fait acte de nettoyage et de réhabilitation de cette mémoire. « Tes mensonges m’avaient fait tellement de mal que la vérité ne pouvait être pire. » (p. 131) Si l’auteur est un enfant de salaud, il rappelle que ce n’est jamais aux générations nouvelles de porter le blâme pour les fautes commises par les précédentes. Et pour Sorj Chalandon, il ne s’agit pas de tuer le père, mais de le confronter et de le révéler à lui-même pour que tombent enfin les sinistres masques.