Celui qui vous parle avait tout et il n’a plus rien. Ce golden boy que rien n’arrêtait, au sein de la si prestigieuse Firme, vit à présent dans un appartement minable. Il a connu les plus belles femmes, les palaces les plus luxueux, les soirées les plus folles. Désormais, il est seul et la seule excentricité de sa semaine est de visiter des appartements qu’il ne peut plus louer ni acheter. « Pardon d’avoir supposé que je valais mieux que vous. D’avoir cru que l’argent était le marqueur d’une certaine supériorité morale. » (p. 15) Trop d’argent, trop d’alcool, trop de sexe, trop de drogue : les années 1980 se sont éteintes après avoir brillé comme des astres agonisants. Le SIDA a remplacé l’insouciance et la fin des illusions est d’autant plus cruelle que tous les espoirs semblaient possibles. « Dans ces années de terreur, on sentait la fin proche, et la frénésie nous gagnait de profiter de tout avant que la porte noire se referme et que le videur nous tourne le dos définitivement. » (p. 123) Le narrateur nous offre un immense déroulé de souvenirs et de regrets, la vision d’un manque et d’une vie perdue. Amer, il l’est sans aucun doute, sarcastique également, mais avant tout envers lui-même. Sa réussite était entre ses mains et il l’a gâchée d’une traînée de poudre.
Le début du roman est haletant. J’ai dévoré les quelque 180 pages en une journée de train et de déplacements parisiens. Après Une femme simple et honnête et Arrive un vagabond, l’auteur m’a encore emportée encore dans un récit parfaitement mené. Sa plume, d’une simplicité qui est surtout un dépouillement raffiné, me percute et me convainc indéniablement.