Essai de Mona Chollet.
Après Beauté fatale et Sorcières, Mona Chollet continue d’explorer les constructions sociales qui emprisonnent et empêchent les femmes. Dans ce nouvel ouvrage, elle démontre que l’hétérosexualité est un piège pour l’amour, voire un tue-l’amour, tant il doit au patriarcat dans sa construction et les représentations qu’il véhicule. « Les hommes hétérosexuels expriment leur désir pour les femmes au sein d’une culture qui les encourage à mépriser et haïr ces femmes. » (p. 18 & 19) Alors, l’hétérosexualité sans le patriarcat, est-ce possible ? Mona Chollet ouvre des pistes de réflexion en se fondant sur d’autres penseuses et penseurs des relations humaines et amoureuses. Elle interroge par exemple la vie commune : souvent décidée par commodité – notamment quand le couple devient famille et compte des enfants –, elle s’accompagne du vieux démon de la charge mentale pour les femmes, chargées d’être les gardiennes et les intendantes du foyer, au service dévoué et prévenant des hommes. « Refuser de cohabiter permettrait de savoir si on est aimée pour soi ou pour les services que l’on rend. Cela permettrait aussi à certains hommes d’acquérir quelques compétences utiles et de devenir des personnes entières. » (p. 51)
L’autrice s’attaque à la pénible injonction de la douceur ! Non, les femmes ne sont pas par nature douces et tendres et délicates et mignonnes et calmes et tout ce qui a trait à une certaine fragilité ! Et elles n’ont certainement pas à l’être dans le cadre amoureux. « Notre organisation sentimentale repose sur la subordination féminine. » (p. 55) De fait, minorer ses ambitions pour ne pas gêner son compagnon, ne pas le mettre en insécurité, c’est injuste pour la femme, mais aussi contreproductif pour la société tout entière ! Cette dernière perd ainsi des compétences, mais surtout cela entretient le mythe de l’homme fort qui dessert autant les femmes… que les hommes ! Eh oui, ces derniers gagneraient à ce que le patriarcat soit renversé, tant dans la vie professionnelle qu’amoureuse !
Passons au sujet des violences. Celles-ci sont multiples : physiques, hélas et évidemment, psychiques également. L’appropriation sexuelle mâtinée de colonialisme et de fétichisme est une version perverse de domination masculine, comme toutes les formes de sexualisation et d’objectification des femmes. Ces messieurs doivent cesser de brandir l’excuse inappropriée du traumatisme et de la douleur pour se dédouaner de leurs comportements cruels. « Tout le monde a des défauts, mais cela ne justifie en rien la violence, l’intimidation ou la déstabilisation. » (p. 108) Aux femmes aussi d’apprendre à ne plus être attirées par la violence : ce n’est pas sexy, ce n’est pas séduisant, ce n’est pas attendrissant. La violence n’est jamais une forme d’amour, pas plus que l’amour-passion n’est un idéal absolu à atteindre. « Nous avons appris à érotiser la domination masculine. » (p. 8) Et le dévouement amoureux et sacrificiel de la femme est une forme d’amour déviante : il n’y aucune beauté à se mettre en retrait pour satisfaire les désirs – parfois délirants – d’un compagnon tout puissant, ou posé comme tel. La dépendance affective et économique explique certes cette soumission, mais excuse-t-elle les hommes qui en profitent ? Réfléchissez un peu, vous avez la réponse ! L’autrice – ni moi, avec mes mots maladroits – ne disons qu’il faut cesser d’aimer avec force, mais tout mérite toujours d’être interrogé. « Non, les femmes n’ont pas tort d’aimer comme elles aiment, avec audace et courage. Il n’en reste pas moins que l’asymétrie contemporaine des attitudes féminines et masculines à l’égard de l’amour pose de nombreux problèmes. » (p. 161)
Ce qu’appelle Mona Chollet de ses vœux, c’est une rivalité féminine qui se transforme en sororité. Elle démontre aussi clairement que les hommes ont aussi tout à gagner à ce rééquilibrage des attentes et des implications amoureuses dans le couple hétérosexuel. « Au sentiment d’illégitimité systématique inculqué aux femmes répond le sentiment masculin d’être dans son bon droit, quoi qu’on fasse. » (p. 109) Les fantasmes féminins méritent d’être entendus et partagés par tou.te.s les partenaires. Mais ce qu’il faudrait – vœu pieu ou possibilité véritable ? –, ce serait réinventer l’amour. « Nous pourrions tenter d’inventer une esthétique qui repose sur l’identification plutôt que sur l’objectification ; qui célèbre le bien-être des femmes, plutôt que l’entrave et la standardisation de leurs corps. » (p. 225) Tenter, c’est déjà agir.
Cet ouvrage rejoint évidemment et sans attendre mon étagère de lectures féministes. Autant que cela me sera permis et possible, je le mettrai entre toutes les mains, féminines et masculines. Cette lecture est profitable à tous, c’est une certitude. Il n’est jamais trop tard pour essayer d’aimer mieux, ou a minima d’aimer moins mal, avant tout pour se respecter et s’accorder à soi-même amour et respect.