« Cette pesante architecture qui évoquait bien davantage la prison que la gentilhommière [suscitait] dans le crépuscule, déjà en lui-même suffisamment sinistre, les pires idées de désolation et d’irrémédiable ensevelissement. » (p. 9) C’est ainsi qu’Hélène, jeune épouse, découvre la Vernière, le triste et lourd château de son mari, Gustave Dupin. L’hobereau auvergnat est taciturne, simple et fruste par nature, mais Hélène ne doute pas que sa tendresse le transformera en un compagnon agréable. Hélas, la lune de miel achevée, il ne reste que l’ennui d’une vie où rien n’a changé depuis des siècles. « Expliquez-moi, au moins. Il y a trop de choses que je dois admettre sans les comprendre, trop de mystères dans votre famille. » (p. 69) Dans ces terres de Haute-Auvergne cernées de forêts profondes et de montagnes escarpées, l’après-guerre ne pénètre pas. La maison est négligée, délabrée et quasi abandonnée, à l’exception de quelques pièces où se joue l’illusion de la vie. Bien que proche de sa belle-mère et s’efforçant de créer un foyer pour Gustave, l’ancienne Parisienne raffinée se heurte à un silence dans lequel toute la famille s’ankylose. « On ne parle plus, ici. La parole est usée. » (p. 51) Tout semble s’alléger quand Hélène rencontre son beau-frère, différent en tous points de son mari. Fabien est aussi exalté et vivant que Gustave est flegmatique et propre à l’inertie. Plus elle découvre le jeune homme et moins Hélène accepte de se résigner à sa vie maritale sans éclat. Le drame se fait inévitable, inéluctable et se noue dans l’ombre terne de la Vernière.
J’ai lu ce roman alors que j’étais toute jeune adolescente. J’avais un très vague souvenir de son contenu – en gros, un mariage étouffant et des amours malheureuses –, mais j’en avais surtout gardé le sentiment d’une peur sourde. J’ai retrouvé les mêmes émotions avec cette relecture, plus de vingt ans après. Le roman dépeint avec acuité ce regroupement de solitudes incapables de former une famille et de secouer la pesanteur de leurs âmes. La maison sombre et son atmosphère lourde m’ont happée comme lors de ma première lecture. Robert Margerit a produit un superbe roman à la fois gothique et de terroir. C’est un remarquable croisement de genres et un texte vers lequel je reviendrai, car il m’évoque une sorte de Jane Eyre, plus désespéré et sans possibilité de rédemption.