« Jusqu’à présent, il ne s’est strictement rien produit de nature à justifier mon hospitalisation. » (p. 15) Le narrateur attend donc, dans sa chambre, qu’un médecin lui explique ce qui va lui arriver. Il attend et il attend encore. Les visites sont rares, les nuits sont interminables, les examens sont incessants et aucun soignant ne semble savoir ce qu’il fait. « Je trouve que ma période de convalescence traîne en longueur. Le docteur Goldfarb, en revanche, se déclare satisfait, assure que je me rétablis à pas de géant, bien que ne disposant toujours d’aucun diagnostic, il affirme que l’opération a permis de stopper la progression d’une foultitude de maladies. » (p. 91) Englué dans les non-sens administratifs, l’impatient narrateur ne sait quand il pourra sortir de l’hôpital. Contraint de subir la cruauté de ses proches, assistant impuissant à la disparition de son existence à l’extérieur, il est prisonnier d’une geôle qui ne dit pas son nom.
Absurde et terrifiant, aussi hilarant que cauchemardesque, cette fable a quelque chose de La montagne magique de Thomas Mann. Le patient se laisse lentement prendre au piège et finit par faire corps avec le lieu qu’il voulait tant fuir. « Curieusement, je n’éprouve plus guère d’urgence. Cette chambre, au début si détestable, est devenue comme un chez-moi. » (p. 130) Avec ce récit kafkaïen, l’autrice critique violemment la dictature argentine et, plus largement, les sociétés oppressives qui annihilent toute résistance individuelle. Le roman se lit le souffle suspendu, jusqu’à la chute si cruelle.