Essai de Sandrine Goeyvaerts.
« En vérité, si l’on boit du vin ou des boissons alcoolisées, c’est pour l’ivresse. Cette ambivalence entre le poison et le plaisir est en soi très révélatrice de la nature humaine. » (p. 8) L’humain aime boire, c’est avéré, mais pourquoi ? C’est quoi, aimer le vin ? Avec des explications limpides et des sources scientifiques solides, l’autrice démontre comment le sens du goût n’est pas que physiologique : il est aussi culturel, social, environnemental et hautement politique. En outre, avoir le goût est une chose : en parler en est une autre. Comme elle l’a déjà brillamment fait dans son Manifeste pour un vin inclusif, Sandrine Goeyvaerts étudie le langage et les mots du vin. Quel vocabulaire convient si l’on veut s’affranchir d’un référentiel occidentalocentré, plus ou moins néocolonialiste et largement sexiste ? « Le goût est affaire d’émotions, c’est à ce registre qu’il faudrait s’adresser. » (p. 68) Quand on sait que le monde du vin est encore très largement tenu par les hommes, on ne peut que soupirer… Parce que bon, not all men, OK, mais les émotions et le chromosome X, c’est pas toujours facile-facile…
« Je cherche à boire non seulement des vins à mon goût, mais qui correspondent aussi à un ensemble de valeurs écologiques, politiques et morales. » (p. 126) Je partage complètement ce positionnement : si mon plaisir entache le vivant et des droits et libertés humaines, alors il est condamnable. Il est urgent de repenser le modèle de production vinicole : faire moins, faire mieux, faire différent. Il faut oser s’affranchir du poids d’un passé finalement très récent qui a dicté des normes étriquées et le fameux bon goût pour se tourner vers des produits plus naturels, plus accessibles. Cela nécessite évidemment que chacun s’interroge sur sa consommation de vin et, plus largement, d’alcool. « On peut boire par goût, mais il ne faudrait jamais boire par nécessité ou obligation. Je crois que l’on peut réfléchir à créer moins d’occasions de boire et plus de moments où déguster en conscience des produits artisanaux qui ont du goût, avec ou sans alcool. » (p. 150 & 151)
Tout le monde peut comprendre le raisonnement passionnant de l’autrice, même les hommes, promis. Vous trouvez que j’insiste lourdement sur l’inaptitude masculine ? C’est pas moi qui ai commencé, c’est Sandrine ! Son humour misandre est un délice parce qu’il fait mouche à chaque fois et qu’il est tout à fait pertinent. Je retiens aussi son humour belge qui griffe gentiment la supériorité autoproclamée française quand il est affaire de vin. Enfin, il y a quelque chose que j’aime par-dessus tout quand je lis, c’est apprendre de nouveaux mots. Sandrine Goeyvaerts ajoute donc à mon répertoire le terme « blouge » et j’ai follement envie de goûter la boisson qu’il désigne.
Je vous recommande sans modération ce bouquin foutrement bien fait ! L’autrice connaît son sujet et elle en parle avec passion.