Monologue de la louve

Roman de Gilles Leroy.

Hécube, reine de Troie, mère aux innombrables enfants, prend la parole. « Je n’ai pas toujours porté le malheur ni effrayé les gens sur mon passage. J’étais une femme, une humaine et pas la plus laide, à ce qu’on disait. » (p. 11) Mariée à 13 ans au roi de Troie, devenue esclave d’Ulysse, elle a connu plusieurs vies, la première en tant que femme, la dernière en tant que louve si l’on en croit la légende. Mais avant qu’elle dépérisse sous une grise pelisse, Hécube a assisté à la lente ruine de Troie, causée par Pâris, son fils deuxième-né, venu au monde dans un flot de sang noir, qui a échappé à la mort par exposition et qui a irrité tous les rois de Grèce en s’emparant d’Hélène. Pour Hécube, cette guerre est un non-sens, une occasion pour les mâles couronnés de brandir leur orgueil, de se pousser du col et de remplir leurs caisses. « De mémoire d’hommes, jamais on n’a armé mille vaisseaux pour un enlèvement. D’ailleurs, de quoi parle-t-on si l’épouse ravie était consentante ? Ne dirait-on pas plutôt un banal adultère ? » (p. 61) Certes, les guerriers meurent par milliers, mais ce sont les femmes et les enfants qui souffrent le plus, violé·es et asservi·es par les vainqueurs. « C’est une farce cruelle de la guerre que de faire tomber les captives aux mains des hommes qui ont tué leur père, leur époux ou leurs fils. » (p. 108) Dans les mots d’Hécube, Ulysse n’est pas rusé, il est fourbe et cruel ; même son fils Pâris n’est pas délicat, il est faible et veule. La reine perd un à un ses enfants et le hurlement qui monte de sa gorge est une complainte immémoriale.

Le langage d’Hécube est ample, noble et choisi, comme il convient à une souveraine, mais parfois il se brise sur une vulgarité, un mot grossier, reflétant ainsi la complexité de cette reine déchue et humiliée. Souvent, un chœur antique s’élève et donne la réplique aux protagonistes, enjoignant à l’action ou à la miséricorde, pleurant les victimes et raillant les faibles. Devenue bête fauve, Hécube intrigue toujours et ne rentre dans aucun schéma. « La louve mangeuse de fruits ajoute au mystère de la louve qui pleure, et à mon seul mystère je dois mon salut. » (p. 261) En donnant une voix à la reine troyenne et en développant sa légende, Gilles Leroy réécrit avec brio un épisode antique et mythologique. Je suis friande de ce genre littéraire et je ne peux que vous conseiller Circé et Le chant d’Achille de Madeline Miller, Une rançon de David Malouf ou encore L’obscure clarté de l’air de David Vann. Et pour en finir avec Hécube, je dirai simplement que d’une louve mythique à une autre, il n’y a qu’une foulée de pas…

Du même auteur, je vous recommande Alamaba Song et Zola Jackson.

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2 réponses à Monologue de la louve

  1. Lydia dit :

    J’aime, moi aussi, ce genre littéraire.

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