
Texte de Christian Bobin.
« Mon projet est de faire le portrait le plus complet qui soit d’un être humain, ne sachant de lui que ce qu’il donne : des notes, et plus précisément des intervalles de silence. C’est dans ces failles que brûle le minerai de l’humanité, de formation spirituelle inconnue. » (p. 13) Cet homme, c’est Grigory Sokolov, pianiste russe sans égal. Quand il joue du Haydn, du Bach ou encore du Chopin, il fait entrer dans la vie de l’auteur la beauté qui est l’obsession de toute sa vie. Chaque mesure est un trésor, et chaque silence, plus encore. « Jouer du piano, c’est fondamentalement et foncièrement aimer, et aimer ne saurait être un spectacle. » (p. 35)
Ce texte de musique et d’amour, Christian Bobin l’a écrit à l’hôpital. Il se savait malade et vieillissant, car tout le monde l’est. « Puisque je n’ai plus le temps, eh bien je vais le prendre. » (p. 63) Entre une opération, une visite du chirurgien et un passage de l’infirmière, l’auteur reste entièrement celui qu’il était, un poète. Et il reprend son œuvre, inlassablement recommencée, indéfiniment relancée. « Si ce livre devait être le dernier, alors il faudrait qu’il soit le plus jeune de tous ceux que j’ai écrits. » (p. 15) Dans cette publication que l’auteur n’a jamais su qu’elle serait posthume, Bobin présente des excuses tardives et sincères à l’oiseau dont il a détruit le refuge et il réaffirme encore et toujours ses sentiments à « sa grande amour ». Elle n’est pas nommée, car l’amour supporte mal les étiquettes, mais elle habite chaque ligne posée sur la page. Au seuil du néant définitif, le poète n’a pas peur : il est serein et plein d’espoir. « Je suis au bout du langage. La poésie n’est rien, l’écriture n’est rien, la musique n’est rien. Mais ce qui n’est rien ignore la mort. Les larmes et les sourires sans cause survivent à la fin du monde. On va vers des jours extraordinaires. » (p. 118)
Comme Christian Bobin, je ne compte plus les fois où mon âme s’est émue devant La petite Châtelaine de Camille Claudel. Le murmure m’a parlé au creux du cœur, là où les chagrins ne désespèrent pas de guérir un jour et où les rêves sont des oisillons qui lissent leurs ailes avant le grand saut. Je vous laisse avec quelques phrases qui mériteraient des tableaux.
« Je n’ai que mon cœur pour traverser la vie, rien d’autre que cette valise de réfugié en cuir rouge, cadenassée à la naissance. » (p. 10)
« L’écriture est un linge frais tendu sur un fil d’encre. » (p. 29)
« La musique est une boucle de cheveux dans une enveloppe avec un prénom dessus. » (p. 45)
« Si tu connais l’adresse d’un rosier sans épines, ne me la donne pas. Je sais déjà qu’il est faux. » (p. 65)
« Je veux te parler de l’énigme du sommeil de la personne qu’on aime, dans une pièce à côté. » (p. 85)
Il a vraiment une très belle écriture !
Et vu que je lis un de ses livres tous les mois, tu vas pouvoir t’en rappeler tous les mois ! 😀
Alors que tu aimerais tellement, j’en suis certaine !!!