Vivre tout bas

Roman de Jeanne Benameur.

Qui peut dire la vie de Marie ? La vie d’après l’Annonciation, d’après Bethléem, d’après la fuite en Égypte, d’après la crucifixion, d’après le tombeau, la vie d’avant l’Assomption, qui peut la raconter loin des livres sacrés ? Ici, Marie n’est qu’une femme au sein vidé de sa maternité, lourde du deuil, pas encore habitée par la promesse de la vie éternelle. Marie est humaine. « Elle, elle est assise sur sa pierre plate et elle ne construit pas d’église. » (p. 8) Dans le village où elle a trouvé refuge, entre une falaise rouge et la mer infinie, Marie revient à elle-même. Elle n’est plus la mère du Sacrifié et elle n’est pas encore la piéta figée ni la sainte au cœur embrasé et aux mains ouvertes. Elle a pourtant tant de choses à dire. Elle qui a appris à écrire à la dérobée, elle peut enfin raconter. « Personne n’a deviné qu’elle savait déchiffrer le monde. Elle lisait, elle écrivait dans sa tête, ne laissant aucune trace de son savoir nulle part. » (p. 13) Ce ne sera pas l’évangile selon Marie, car d’autres, plus tard, se chargeront de parler de Celui qui a donné sa vie pour l’humanité. Ce que Marie écrit, c’est cette humanité sauvée. Et elle, Marie, a le pouvoir de sauver une personne, une enfant muette cabrée contre la mer. Les deux douleurs se rencontrent, se comprennent et s’apaisent l’une l’autre, faisant se desserrer l’étau qui empêche au pas de reprendre son mouvement.

Et qui peut dire la solitude de Jean, le fils donné, immensément respectueux, mais toujours à distance ? Jean, l’aimé de l’Élu, le pêcheur malhabile arraché à ses filets, le navigateur amoureux de la mer, qui est-il désormais ? « Sa route, il ne l’a pas choisie après tout. Elle est venue sous la plante de ses pieds, c’est tout et il a marché. » (p. 26) Le disciple, l’apôtre, le futur évangéliste, pour le moment, se fait menuisier, comme Celui qu’il a perdu. Sa vie, après le Grand Miracle, auprès de cette mère confiée, que peut-elle devenir ?

Ce que raconte superbement, à mots couverts, Jeanne Benameur, c’est qu’il faut oser la joie et qu’il faut oser l’espoir pour renaître du deuil. Quand le chagrin a pris toute la place, il faut défricher de nouveaux espaces pour créer l’apaisement et la possibilité d’un nouveau bonheur. Cela ne se fait pas en se débattant ou en hurlant, mais en écrivant dans le sable, en nageant sous le soleil brûlant, en se collant à la roche chaude et en tenant la main d’un·e plus petit·e que soi. Un destin extraordinaire peut conduire à une vie simple : l’éclat qu’il faut rechercher, ce n’est pas celui de la gloire, mais celui du rire qui libère la parole.

Ce roman économe en mots et qui fait de l’humilité un tel joyau m’a rappelé d’autres lectures aussi puissantes : Azyme de Jean-Philippe de Tonnac, Le Très-Bas de Christian Bobin, Soif d’Amélie Nothomb et Le bâtard de Nazareth de Metin Arditi.

Ce contenu a été publié dans Mon Alexandrie. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Vivre tout bas

  1. Lydia dit :

    Je ne l’ai pas encore lu mais il est dans ma PAL.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.