Joue-la comme Godard

Texte de Laurent Sagalovitsch.

« Jean-Luc Godard avait souhaité tourner un film sur Roland-Garros. Une lubie qui aurait consisté à prendre un joueur au hasard et à le suivre dès les qualifications. En cas de défaite, il se serait intéressé à son vainqueur et ainsi de suite jusqu’à la finale. L’éditeur voulait que je fasse pareil mais, n’étant pas cinéaste, à la place d’une caméra, j’userais de ma plume. » (p. 12) Pendant trois semaines, en juin 2024, l’auteur est passé d’un court à l’autre, de la salle de presse au restaurant du stade, d’un match en plein soleil à une partie sous la pluie ou à un échange nocturne. Il place tous ses espoirs sur le joueur serbe, Hamad Medjedović, mais au gré des défaites et victoires, le voilà contraint de suivre l’Allemand Alexander Zverev, jusqu’à la finale, gagnée par Carlos Alcaraz.

L’auteur-narrateur est un peu poseur, un rien vantard, mais férocement drolatique quand il expose sa médiocrité personnelle et sa peur maladive des hauteurs. Il est aussi touchant quand il parle de ses premières heures sur le quick, adolescent aux ambitions extravagantes. Laurent Sagalovitsch ne se compare pas à Godard, pas plus qu’il n’essaie vraiment de marcher dans ses pas, mais il trace les parallèles entre cinéma et écriture, compétitions et péripéties. « J’ignorais ce que Godard aurait filmé exactement, comment il s’y serait pris, mais probablement, serait-il parvenu à capter ce qui d’ordinaire nous échappe, le joueur dans toute sa singularité existentielle. » (p. 17) Au hasard d’un match, l’auteur parle philosophie, histoire, conflit israélo-palestinien. Le tout est un peu fouillis, façon stream of consciousness sur terre battue, une balle en entraînant une autre, déroulant un fil bigarré de réflexions vagabondes.

Je retiens une très belle phrase qui illustre à merveille le tennis. « Le tennis de haut niveau n’est rien d’autre qu’un apprentissage de l’échec. En cela, il demande des dispositions mentales hors du commun. La victoire est un bref intermède entre deux défaites. C’est ainsi que se construit la carrière d’un joueur de tennis professionnel : entre une euphorie passagère et les infinis et amers étranglements des désillusions. » (p. 55)

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