
Roman de Robert Goolrick.
Rooney, ancien trader somptueux, désormais septuagénaire misérable, vit dans une petite maison au bord de l’eau. Ses nuits sont courtes et lancinantes, massacrées par la douleur et hantées par les souvenirs. L’homme convoque inlassablement le défilé de ses amours perdues. « Capturer leurs visages étincelants, c’est vouloir retenir du vif-argent ; ils apparaissent et disparaissent avant qu’il ait pu les appeler en chuchotant, même s’il y en a beaucoup dont il a oublié les noms, bien qu’il ne les ait pas moins aimés. […] Il n’a pas traversé sa vie sans être aimé. Il n’a pas travers cette vie sans aimer. » (p. 21) La mémoire de Rooney est trop grande et trop précise : chaque événement est une douleur vive, chaque relation délitée est un regret profond. « Tout ce qui a passé. Tout ce qui s’est perdu. On ne retourne jamais aux sources. C’est d’une tristesse infinie, mais c’est aussi glorieux. » (p. 74 & 75) Avec Judge pour seul compagnon, chien à la fidélité indéfectible, le vieillard subit chaque jour et enrage de voir ce que devient son pays. Pauvreté des masses populaires, racisme et violences policières, tout cela participe de la déliquescence des États-Unis orchestrée par Trump. « Son pays est en train de devenir une prison pour les masses, dans le seul but de faire de la place pour un terrain de jeu pour riches. Son pays et son peuple sont en train de se suicider. » (p. 44 & 45) Et ce désir d’en finir, Rooney lutte chaque matin pour y échapper.
Ce roman est à la croisée de La chute des princes et de Féroces : on retrouve la trajectoire fulgurante d’un golden boy qui a tout perdu et le drame familial fondateur. Robert Goolrick écrit magnifiquement la solitude et le chagrin, le désespoir qui naît de la certitude que l’on ne compte plus pour personne. Ses mots résonnent fortement en moi et m’émeuvent terriblement.