Bande dessinée de Liv Strömquist.
Sur Instagram, Kylie Jenner est une star. Ses selfies sont likés des centaines de milliers de fois. Mais la jeune femme est un modèle inatteignable : séances de sport quotidiennes, argent, produits de soin de luxe, temps illimité pour prendre soin d’elle, tout cela contribue au physique jugé parfait qu’elle exhibe. De fait, vouloir lui ressembler suscite évidemment des frustrations. « Alors que Kylie affirme qu’elle n’est pas là pour encourager les gens/jeunes filles à lui ressembler, les gens/jeunes filles font tout pour y parvenir. Pourquoi ??? »
Partant d’un phénomène populaire criant de vérité, l’autrice explicite les mécanismes du désir mimétique qui entrent dans la construction et la recherche d’identité. Au-delà de la concurrence induite par la rivalité mimétique, la beauté est ce qui rend mariable/baisable selon les époques et les sociétés. Précision : cette injonction à la beauté et cette tyrannie de la désirabilité ne concernent que les femmes. À elles tous les efforts pour plaire et tenter d’accrocher un homme et de le garder. Et qui définit les critères de la beauté ? Attention, méga surprise : ceux qui n’ont pas à s’y plier ! « C’est la raison pour laquelle aujourd’hui encore, des attributs aussi invalidants que des cheveux trois fois trop longs, des chaussures inconfortables ou des ongles manucurés continuent à être perçus comme féminins et attractifs. »
OK. Admettons que les femmes se soumettent à ces règles de beauté parfois aberrantes, voire douloureuses. Elles sont donc toutes superbes, ont raison de s’admirer et de jouir de leur pouvoir de séduction ? Non ? Ah oui, c’est vrai… La modestie est l’autre obligation paradoxale à laquelle doivent se plier les femmes. « Dans le monde occidental, selon une coutume vieille d’environ 1900 ans, les femmes ne doivent pas se trouver belles, ni savoir qu’elles le sont. » Et pire encore, il faudrait que les femmes soient belles, sans chercher à s’embellir, car sinon bonjour l’orgueil. Et il paraît que c’est laid, l’orgueil ou l’amour de soi. Bref, quoi qu’elles fassent ou ne fassent pas, les femmes sont foutues, condamnées à rester prisonnières du regard de l’homme, ou male gaze.
Sauf qu’en fait, non ! Liv Strömquist s’oppose à cette tyrannie de l’image qui n’est bonne pour personne, femme ou homme (mais surtout femme, hein !). Parce qu’à mesure que les années passent, la beauté – telle que la vendent les magazines, évidemment – fane irrémédiablement, et alors que reste-t-il ? L’autrice donne la parole à des femmes âgées qui, sous sa plume et son pinceau, sont toutes des reines. Car la beauté n’attend pas le nombre des années, ou à peu près… Ces femmes, affranchies des diktats, libérées des attentes contradictoires de la société, sont enfin heureuses et en paix avec leur image. Certaines, cependant, n’y parviennent jamais, et le terrible exemple de l’impératrice Sissi est déchirant, comme les doubles pleines pages que l’autrice lui consacre.
J’ai retrouvé dans ce brillant ouvrage la rhétorique brillante de Beauté fatale de Mona Chollet. Et même si le trait de Liv Strömquist me séduit toujours aussi peu, son argumentation fait mouche à chaque fois. Je vous recommande ses textes précédents : Les sentiments du Prince Charles et La rose la plus rouge s’épanouit. Sans surprise, la dernière bande dessinée de Liv Strömquist trouve sa place sur mon étagère dédiée à mes lectures féministes.