Roman d’Émile Zola.
Après la mort tragique de ses parents dans La conquête de Plassans, Serge est entré au séminaire. Il est désormais l’abbé Mouret et il administre la cure des Artaud, une terre rude, presque païenne. Le jeune prêtre a pris avec lui sa jeune sœur Désirée. Elle est devenue une belle femme, mais son esprit est toujours celui d’une enfant et rien ne l’intéresse que sa basse-cour. L’abbé Mouret est un homme d’une foi ardente et d’une piété infinie qui rêve d’extase pure, dépouillée de l’avilissement des sens. « Après son ordination, le jeune prêtre était venu aux Artaud sur sa propre demande, avec l’espoir de réaliser son rêve d’anéantissement humain. » (p. 59) Désireux de traverser la vie dans une ascèse spirituelle, il est soudain rattrapé par les exigences de la chair quand il croise le regard de la jeune Albine, jeune fille à demi sauvage qui a grandi dans un jardin perdu des environs, le Paradou.
Heurtée à la réalité des sens, sa grande ferveur a plié et l’abbé Mouret est tombé gravement malade. Éloigné de sa cure par son médecin, il est soigné par Albine. Entre les mains de la jeune fille, il renaît. Il a tout oublié de son passé et ne veut qu’étancher son immense soif de tendresse. Dans les ombres tendres et propices du Paradou, les jeunes gens vont découvrir l’amour. Serge ne peut se passer de son amoureuse. « Je viens de m’éveiller, et je t’ai trouvée là, pleine de roses. » (p. 179) Dans ce grand jardin sauvage, réplique de l’Éden perdu, l’abbé Mouret – redevenu Serge – et Albine font l’apprentissage de la sensualité et de la chair. « C’était le jardin qui avait voulu la faute. » (p. 246) L’aboutissement du plaisir rend à Serge sa vitalité perdue et sa mémoire. Le voilà redevenu l’abbé Mouret, rougissant de honte devant sa faute, mais incapable de ne pas aimer Albine. La solitude bénie des deux amants se heurte au monde dans le mur du Paradou s’effondre.
L’abbé Mouret n’avait pas la foi ambitieuse et arriviste de l’abbé Faujas, détestable ecclésiastique de La conquête de Plassans. Il mène une vie de foi et d’adoration divine jusqu’à la faute qui est annoncée dès le titre. Malgré ses dévotions, l’abbé n’échappera pas au péché et le drame se noue sous les regards de la Teuse, la vieille sacristine, ceux du Frère Archangias, religieux enragé contre les femmes et ceux du docteur Pascal, l’oncle de Serge. « Était-ce une damnation d’aimer Albine ? Non, si cet amour allait au-delà de la chair, s’il ajoutait une espérance au désir de l’autre vie. » (p. 320) Alors que la parenthèse enchantée est marquée du sceau de la honte, l’abbé Mouret se perd entre une foi ardente et un amour tout aussi brûlant, « raidi dans cette volonté de prêtre cachant les agonies de sa chair sous la dignité du sacerdoce. » (p. 335)
Dans des chapitres plus courts que ceux auxquels il nous a habitués dans les précédents volumes de la saga, Émile Zola chante la chair, la sensualité et le plaisir. Le Paradou est une jungle aux parfums étouffants, un boudoir d’amour à ciel ouvert. Adam et Ève des temps modernes, Serge et Albine échouent à préserver leur paradis : ici, le Dieu courroucé est un frère grossier, mais cela suffit à précipiter les amants dans des abîmes de tourments. En quatrième de couverture, Joris-Karl Huysmans célèbre La faute de l’abbé Mouret : « Ce volume n’est point à proprement parler un roman, mais bien un poème d’amour, et l’un des plus beaux poèmes que je connaisse. » À n’en pas douter, il a écrit ces mots avant de renier et d’agonir le naturalisme, mais son appréciation reste très juste. Sous les ombres et derrière les arbres du Paradou, un nouveau Cantique des Cantiques a été écrit. À la lyre, Salomon-Zola a chanté les beautés de l’amour avant la faute et le regard des vicieux.