Roman d’Émile Zola.
Orpheline à 10 ans, Pauline est recueillie par des parents éloignés. Elle quitte l’exubérance grasse du Ventre de Paris pour Bonneville, un village normand assez reculé. La fille de la belle Lisa et du charcutier Quenu se prend très vite d’affection pour son cousin Lazare, un adolescent rêveur aux projets sans cesse changeants. Mme Chanteau nourrit de grandes ambitions pour son fils, mais l’indolence placide de son époux et la goutte qui le frappe entravent ses projets. La maladie est accusée de tous les maux de la famille Chanteau : « Elle l’exécrait comme l’ennemie, la gueuse qui avait gâté son existence, ruiné son fils, tué son ambition. » (p. 41) Ce qui manque tant à Mme Chanteau, c’est l’argent. Or, Pauline est riche de la vente du florissant commerce de ses parents. Il serait bien dommage que cet argent dorme alors qu’on pourrait l’investir pour faire de Lazare un grand homme ! Finalement, ce qui ne devait être qu’un modeste prêt se révèle une gabegie : la fortune de l’enfant est pillée et perdue dans les projets sans consistance d’un jeune homme sans poigne.
Pauline grandit et ne veut rien d’autre qu’être heureuse. Ses penchants avaricieux fondent devant les besoins de son cousin pour qui elle éprouve une inclinaison de plus en plus tendre. Pourtant, « même en donnant argent, elle se sentait moins aimée qu’autrefois. » (p. 136) Pire, sa tante en vient à l’accabler de reproches et à lui imputer les misères du foyer et les échecs de son fils. « C’est drôle, cette malheureuse Pauline ne nous a jamais porté bonheur. Et dire que les gens la croient notre ange. » (p. 167) Face à cette mesquine ingratitude, Pauline est prête à tout donner sans retour, mais on lui en veut encore davantage pour cette générosité sans faille : « elle exécrait Pauline de tout l’argent qu’elle lui devait. » (p. 168)
Le renoncement de Pauline est pourtant loin d’être achevé. Dans l’espoir de s’acheter le bon vouloir de sa nièce, Mme Chanteau lui avait promis le mariage avec Lazare. Mais il y a la Louise, la filleule, celle que Lazare ne considère pas comme un bon camarade, mais comme une fleur exotique. Pleine de sa santé franche et de sa simplicité, Pauline est encore prête à s’arracher le cœur pour que son cousin soit heureux. Mais c’est compter sans les démons qui rongent Lazare, son ennui de tout et sa terreur de la mort.
Lazare préfigure le héros décadent : torturé par l’ennui et rongé par l’insatisfaction, il est incapable de mener un projet à son terme et se prend de passion pour un sujet aussi vite qu’il est rattrapé par le désintérêt. Il tend vers des plaisirs trop raffinés et se berce d’ambitions trop grandes. Entre l’inachèvement et le taedium vitae, Lazare ressuscite sans fin à de nouveaux projets qui n’ont aucune solidité face à l’angoisse de la mort que le jeune homme porte en lui comme une Némésis.
Sous son titre aux allures printanières, ce roman est une machine à broyer les espoirs. Arrivée enfant dans un foyer au bord de la faillite, Pauline ne savait pas qu’elle y entrait pour toujours et sans espoir de recouvrer sa liberté. Les scrupules n’ont pas fait long feu et même la générosité de l’enfant a été pillée. Pauline est la bonté même et elle fait tout pour se corriger de ses travers afin d’apporter une félicité sereine dans un foyer rongé par la mesquinerie. La joie de vivre ? Pauline en est débordante, mais tout empêche son épanouissement. L’aigreur contamine toutes choses et l’entourage de la jeune femme semble s’acharner à détruire toutes les pousses des joies simples. « C’était donc possible ? La charité ne suffisait pas, on pouvait aimer les gens et faire le malheur : car elle voyait son cousin malheureux peut-être par sa faute. » (p. 291) L’abnégation de Pauline confine au sacrifice et son existence est phagocytée par des ingrats et des insatisfaits.
Ne vous fiez pas au titre bien innocent du roman : Émile Zola signe ici un tableau très violent. À l’instar de la mer qui ravage les côtes de Bonneville, une tempête sourde souffle sous le toit des Chanteau. Dans cette marine mesquine, Pauline est un bateau en perdition et Zola est la puissance supérieure qui relance les vagues. Beaucoup ont rapproché ce roman de celui de Balzac, Eugénie Grandet : il s’agit en tout cas de deux destins de femmes sacrifiés au bon vouloir des égoïstes.