Texte de Jean-Louis Marteil. Préface de Lucie Aubrac.
Le narrateur chemine dans les ruines du village supplicié d’Oradour-sur-Glane. Ses pas le conduisent au plus près des victimes de la barbarie aigrie de la Deuxième Division SS Das Reich, rompue aux massacres sur le front de l’Est. Le débarquement a eu lieu, les Alliés sont aux portes du Reich et le 10 juin 1944, « la race des Seigneur répand les ruines » (p. 16) dans un petit village isolé sur les bords de la Glane. Femmes et enfants sont entassés dans l’église, voués aux balles et aux flammes. Les hommes sont regroupés dans les granges et tombent sous le feu des mitraillettes. Peu de survivants réchappent de cette journée d’horreur où un régime de terreur, confronté à ses vainqueurs, décide d’entraîner dans son agonie sanglante les innocents du monde ordinaire.
Le narrateur/auteur, habité par le sentiment du devoir de mémoire, présente un lieu figé à jamais. Il imagine les dernières heures de serein bonheur d’Oradour et se pose la question récurrente du choix face à l’horreur. Quelle décision aurait-il, aurait-on, pris devant l’évidence de l’horreur à venir? Quelle réponse aurait-il donné? « Il est pourtant aisé, aujourd’hui, d’en donner une, ou plusieurs. Aucune ne sera nourrie de la vérité car aucune ne sera née de l’instant. » (p. 30)
De la marche du narrateur dans l’Histoire, je retiens cette phrase : « Je ne peux pas croire qu’il faisait beau le 10 juin 1944. » (p. 25) On voudrait que l’horreur se déroule dans le noir, sous les sombres nuages d’un ciel voilé. On n’accepte pas que la nature, imperturbable, n’ait pas revêtu ses habits de deuil en cette journée de massacre.
Le narrateur s’adresse à « [son] amour » (p. 15), « [sa] belle » (p. 17), et c’est elle qui donne le mot de la fin, en évoquant l’un des noms du myosotis, « Ne-m’oubliez-pas ». C’est aussi et surtout le mot du début: en entrant dans Oradour, un panonceau dit « Remember. Souviens-toi. » Pour commencer, pour continuer, il faut se souvenir, marcher sur les lieux de l’Histoire, les appréhender pour ne jamais être du côté de ceux qui les font.
« [Son] amour », « [sa] belle », il me semble que c’est également ainsi qu’il s’adresse à Oradour-sur-Glane, dans une tendresse malhabile née de l’impuissance face à la désolation et d’une part de révolte de n’avoir pas été là. « Juin 1944. Je n’étais pas né… » (p. 17) Mais ne pas avoir vécu l’horreur n’est pas tout, n’est pas une fin. Il faut se souvenir des souffrances passées.
Lucie Aubrac, dans sa préface, dit que « l’auteur n’est pas qu’un narrateur, c’est une conscience. » (p. 12) Moi qui ne connaissais Oradour-sur-Glane que par les livres et les cours d’histoire, je sais maintenant qu’il me manque de l’avoir vue.
La prose de l’auteur est chargée d’émotion. En moins de cent pages, Jean-Louis Marteil donne toute l’étendue de son talent d’écrivain, où la véracité se mêle à la poésie.