Ils sont quatre esseulés dans la grande et tumultueuse Madrid. Ils vivent la nuit. En elle, au cœur de sa pénombre menteuse, ils pensent pouvoir survivre mieux qu’en pleine lumière. Il y a Matias, inconsolable depuis la mort de sa bien-aimée Rita, chauffeur de taxi désespéré qui cherche le coupable, celui qui n’a pas su sauver sa femme. Il y a Daniel, médecin médiocre dont le couple dérive depuis longtemps, qui se perd dans les univers factices de Second Life. Il y a Cerveau, ancien professeur de renom, vieille femme égarée dans la boisson et dans des théories physiques. Il y a Fatma, superbe prostituée, fleur éclose du fumier, qui remonte le courant du malheur avec l’aide de son totem, un minuscule lézard. Ces quatre solitaires vont se croiser au cœur des nuits madrilènes et nouer des destinées tumultueuses tout à fait humaines. Et il y a, quelque part dans la capitale, l’assassin du bonheur, un tueur en série qui, après avoir offert un dernier moment de bonheur à des personnes âgées, met fin à leurs jours en figeant leur visage dans un sourire forcé.
J’ai été happée par ce roman. Les personnages se situent en marge de leur vie et ils assistent à ce qu’ils croient être la chute du monde. Sur fond vaguement policier, l’intrigue se pose en une lente découverte des existences tourmentées de quatre êtres sans aucun point commun. Aucun point commun? Et pourtant!! Ils sont tous les quatre dans une solitude si profonde que la solitude du voisin semble être un réconfort. Chacun a perdu quelque chose: une épouse, l’envie de vivre, l’optimisme, etc.
Matias, Daniel, Cerveau et Fatma sont connectés pour le meilleur et pour le pire. Il n’y a pas de pure individualité, de vraie solitude. Chaque existence influe sur le marche du monde. Chaque être a sa part de responsabilités dans les dégâts et les beautés de l’univers. Coïncidences ou destinée selon le nom que l’on lui donne, le monde a sa façon bien à lui de tendre vers un équilibre dont personne ne peut entrevoir la vérité. « Peut-être est-ce l’univers tout entier qui tend inexorablement vers la symétrie, comme le soutenait Paul Kammerer avec sa loi des séries. » (p. 265)
Mais il n’y a pas que cela. L’auteure sait aussi nous rappeler qu’elle tire des ficelles qui, si elles sont grosses comme le doigt, peuvent devenir invisibles quand elles sont maniées avec talent! « Vous savez bien que, nous autres narrateurs, nous sommes des types rusés, amoureux des structures circulaires et des symétries. » (p. 265)
Ce roman drôle et terriblement émouvant propose un titre qui laisse attendre une liste de consignes. Où sont-elles ces fameuses instructions ? Elles sont partout au fil des pages. Pour sauver le monde, il faut lui sourire, tendre la main au voisin, sortir de sa neurasthénie et de sa solitude jalousement entretenue. Il faut cesser de croire au pire pour envisager le meilleur. « Pour quelles raisons n’avons-nous aucune peine à croire en la misère, en la cruauté et en l’horreur du monde, alors que lorsque nous parlons de bons sentiments il nous vient aussitôt un rictus ironique au visage et nous considérons cela comme une niaiserie ? » (p. 269) Ce livre est une leçon d’optimisme, un réquisitoire pour le bonheur, un aller-simple vers la sérénité.