Deux marchands, Médius et Métatarse, qui portent la rançon du roi rencontre un chevalier à la triste figure, monté sur un cheval qui pleure.« On me nomme le Baron nul, Compte de surnombre, Marquis de trop, Seigneur de camelote. » (p. 5) Le triste hère entreprend de raconter les malheurs qui l’ont rendu errant. Ayant surpris une scabreuse affaire d’État, il fut banni et ruiné par le roi Arthus. Âme sensible et pieuse, trop faible pour s’engager dans des combats et trop scrupuleuse pour s’imposer ou réclamer vengeance, il se laisse malmener et humilier par tout un chacun.
Ce Moyen Âge est loin d’être sérieux. Au détour d’une case, on aperçoit Robin des Bois en découdre avec un shérif ou Jehanne Darque qui envisage de vider à elle seule un tonneau de vin. Guignol fait une apparition éclair et de petits animaux, parodie du Roman de Renart, glissent ça et là des remarques désopilantes. Anachronisme loufoque et hilarant, le chevalier et les marchands cheminent sur une route goudronnée et fléchée, mais il faut regarder de près les panneaux indicateurs : les routes peuvent être traversées par des femmes en folie…
Le chevalier, monté droit sur son cheval ou sur un âne, incarne certaines valeurs chevaleresque : honneur, fidélité et respect des secrets. Mais c’est bien le marchand Médius qui est le véritable homme d’honneur. Il prend sous son aile le chevalier humilié et lui témoigne un respect plus grand que la dignité que conserve le seigneur déchu. Métatarse représente la bravoure et l’envie d’en découdre. Même la jeune servante qui s’amourache du chevalier est plus prompte à la bataille et à l’action que le cavalier dépenaillé. Médius, en homme de terrain et être pragmatique, ne s’égare pas dans des considérations philosophiques vaines : « On meurt aussi bien à cheval qu’à pied. » (p. 4) Partant de là, la vie paraît plus simple et la vertu plus aisée à appliquer.
L’image est assez simple, les personnages sont brossés à grands traits et sont aisément identifiables à une classe. On discerne sans mal les marchands des soldats, les chevaliers des brigands. Mais l’habit ne fait pas le moine et il faut lire au-delà du dessin.
Cet album, publié en 1990, s’achève de telle façon qu’une suite peut être présagée. Mais 21 ans plus tard, en verrons-nous un jour la couleur ? La mission des deux marchands n’est pas accomplie et le chevalier a disparu de façon spectaculaire. Tout laisse indiquer un second volume. Mais peut-être ne faut-il voir dans cet album que la fugace représentation d’un épisode exemplaire, au même titre qu’une parabole. Le cheminement ne devient plus un moyen, mais une fin. Qu’importe si nous laissons les personnages à la croisée des chemins s’ils ont déjà touché au but.
C’est un album est très drôle, mais également cynique. Ce pauvre chevalier est en effet très malheureux, mais c’est fou l’envie que l’on a de lui verser un seau d’eau froide sur la tête !