Roman de Mohammed Khaïr-Eddine.
Au Maroc, dans l’arrière-pays montagneux, un Vieux et une vieille vivent heureux. Pieux et généreux, ce couple sans enfant vit sereinement le crépuscule de son existence. Les journées s’écoulent paisiblement, entre un passage au souk, un couscous aux navets et de longues discussions qui rendent grâce au Ciel. Le Vieux est heureux dans « un quotidien calme qu’il appréciait car il n’avait aucun souci à se faire, et sa seule obligation était de vivre et de prier. » (p. 15) Durablement uni, le couple ne souffre pas que sa lignée s’éteigne, c’est ainsi, c’est écrit. L’homme et la femme se suffisent l’un à l’autre et partagent un sentiment profond : « Moi, je suis fidèle et je n’aime que toi ma vieille. » (p. 37) dit le Vieux ; « Tu m’as rendue heureuse. Je suis vieille mais heureuse de vivre ces évènements en ta compagnie. J’ai toujours su que tu cachais une grande âme. C’est pourquoi je n’ai jamais souffert en ta compagnie. » (p. 126) répond la vieille.
Mais la douceur de cette époque bénie et de ce temps presque légendaire recule devant la marche inéluctable de la modernité. Les deux vieux se disent « les garants de la tradition » (p. 46) et assistent au pillage de patrimoine et à la décrépitude de la tradition. Le Vieux est « un fin lettré. Il possédait des vieux manuscrits relatifs à la région et bien d’autres grimoires inaccessibles à l’homme ordinaire. (p. 8) Mais le temps est désormais à la vitesse, à la consommation de masse, à la richesse facile. La jeunesse quitte le pays, se déprave et se perd dans la ville ou en Europe. La décolonisation a entraîné dans son sillage une modernisation insidieuse qui pousse à la paresse et favorise les parvenus. L’univers entier semble s’accélérer et le Vieux assiste résigné à la nouvelle marche du monde. « Mais la modernité est contre moi. Je ne suis qu’un vieux croulant, un vieux chnoque qui écrit sur un saint aussi méconnu que lui. En marche vers une disparition complète, après quoi ne resteront que les choses solides, bien actuelles : le béton, l’argent, la télévision, la vidéo, les grosses voitures, etc. » (p. 85)
Le Vieux écrit de la poésie berbère et l’épopée d’un saint oublié. Sa plume est belle et l’imam du village l’encourage à se faire publier. Mais quand son œuvre est enregistrée sur cassette et diffusée à la radio, le Vieux pressent que même l’art devient objet de consommation courante. Jamais il ne s’énerve ni ne pleure sur le nouvel état des choses. Sa vie reste un hymne aux traditions même si d’inévitables concessions au progrès prennent place dans le quotidien.
La formule qui compose le titre annonce un conte. Mais tout de suite quelque chose dissone : les héros ne sont pas jeunes. La vieillesse s’annonce donc comme le plus bel âge de la vie. Ce court roman fait l’éloge de la simplicité et chante la beauté d’un passé sur lequel retombe la poussière. Dernier témoin d’un monde perdu et d’un temps révolu, le vieux couple ne change pas ses habitudes, ne se révolte pas. Il est heureux et c’est bien ainsi qu’il compte mourir. Ce sera une histoire qui finit bien.
Composé de chapitres très courts et rédigé dans une langue belle et nostalgique, ce texte très court se lit avec grand plaisir et donne envie d’entendre de la poésie berbère. On voudrait être chat et regarder l’homme écrire : « Mon chat, tu comprends la poésie. Chaque fois que la plume court sur le papier, tu te redresses comme pour applaudir. Tu saisis tout rien qu’à ce bruit insolite. » (p. 67) Il ne faut pas chercher à tout comprendre, juste se laisser porter par les mots et la nostalgique langueur des chaudes soirées d’antan.