Texte d’Arthur Miller. Lecture de décembre du Club des lectrices.
À Reno, Roslyn obtient le divorce qui lui rend sa liberté. Ou sa solitude. En compagnie de la vieille Isabelle, elle rencontre Guido et Gay. Guido tombe immédiatement sous le charme de la très belle jeune femme, mais c’est Gay qui obtient ses faveurs. Le couple s’installe dans la maison abandonnée de Guido et la rencontre de ces deux solitudes oscille sans cesse entre rupture et réussite. Ivre de liberté, Roslyn ne peut néanmoins pas vivre seule. Et Gay trouve en elle une compagne unique : « La différence avec vous, c’est que je vous vois. Vous êtes la première femme que j’aie jamais vue pour de bon. » (p. 168)
Roslyn est à la fois fragile et étonnamment dynamique : « Vous avez le don de vie » (p. 108) lui dit Guido. Ce don lui rend tout être vivant sympathique, trop peut-être pour les cowboys qui savent d’instinct que toute existence et toute chose est vouée à disparaître. « Vous devriez cesser de croire que vous pouvez détourner le cours des choses. » (p. 73) Et de fait, on assiste aux dernières heures d’un mythe. Le Far West rend son dernier soupir sous les coups de lassos de cowboys qui attrapent des mustangs destinés à l’abattoir, des cowboys qui sentent que le monde n’aura bientôt plus besoin d’eux, mais qui veulent rester maîtres de leur vie, parce que « tout vaut mieux que des gages. » (p. 186) Comme les derniers chevaux sauvages des plaines d’Amérique, Gay, Guido et Roslyn courent à perdre haleine vers un lendemain qui ne ressemble pas du tout au rêve américain : « Rien que des misfits, ces chevaux… des tocards. » (p. 199)
L’écriture est puissamment cinématographique. Il s’agit d’un scénario, un roman écrit pour la caméra. Comme le dit Arthur Miller lui-même, « ceci est une histoire conçue comme un film, où chaque mot est là pour indiquer à l’appareil ce qu’il doit voir, aux acteurs ce qu’ils doivent dire. […] Les Misfits utilise finalement l’optique du film, en vue de créer une fiction qui allierait les qualités directes de l’image aux possibilités de transmission de l’écriture. » (p. 23) Derrière mon bouquin, petite lectrice qui n’a jamais vu le film, j’ai eu le sentiment d’être une caméra embarquée. Les descriptions, un peu comme les didascalies du théâtre, participent du décryptage d’une image qui n’existe pas encore, d’une image en devenir. Bref, une lecture dynamique et panoramique.
L’édition que je me suis procurée propose une interview liminaire d’Arthur Miller. Il y parle de l’Amérique, de l’Europe, des hommes, du tournage du film et des acteurs.Une incursion précieuse dans le monde de l’auteur/réalisateur. Le roman est dédicacé « à Clark Gable, qui ignorait la haine. » (p. 21)
Même si je ne suis pas certaine d’avoir vraiment cerné le personnage de Roslyn, j’ai passé un bon moment avec ces êtres en proie à une solitude douloureuse. Pas facile de vivre seul, mais pas facile non plus de vivre avec les autres.
Nous fêtons demain le Noël du Club des lectrices ! Joyeux Noël les filles !