Roman de Monique Rivet. Lu dans le cadre du Prix Océans.
Laure est une jeune professeure de lettres. À 25 ans et alors que la guerre d’Algérie fait rage, elle est envoyée à El-Djond, petit village de l’Oranais. Mais en fait, non, ce n’est pas la guerre. « Ici, on dit les évènements, au cas où vous n’auriez pas remarqué. » (p. 14) Les Arabes battus à mort dans la rue, les fermiers suppliciés, les rafles abusives, la suspicion partout, non, ce n’est pas la guerre, mais ça y ressemble tellement. Partout et sans cesse plane une menace. D’abord diffuse, puis épaisse, elle obstrue l’avenir et étouffe l’espoir. « Et voilà que je suis gagnée par le même sentiment, la même intuition inquiète : je ne verrai pas fleurir les amandiers d’El-Djond. » (p. 46) Rien de tout cela ne finira bien, même si Laure se défend d’être concernée par la guerre qui se joue sous ses fenêtres ou dans la chambre voisine.
À El-Djound, le glacis est une frontière invisible, mais dont le franchissement n’est jamais anodin. « Le glacis, au nord de la ville, c’était une grande avenue plantée d’acacias qui séparent la ville européenne de la ville indigène. » (p. 129) C’est ainsi que le village nègre s’oppose sourdement au village occidental. Personne n’ose dire la ségrégation ou reconnaître les communautarismes, mais les évènements se chargent de faire la répartition. « Quand les loups se déclarent la guerre entre eux, chacun hurle avec sa horde. » (p. 18) Alors le glacis cristallise les haines et les peurs. Loin d’être un vernis précieux, c’est une gangue de rancœur qui ne demande qu’à voler en éclat au premier impact.
Laure s’est liée d’amitié avec Elena, femme médecin, et entretient une relation plus ou moins tendre avec Felipe, un Espagnol qui a fui la guerre civile. Perdue dans ce village et dans ce pays qu’elle déteste, Laure se sent bien loin de Paris et de son cher Quartier Latin. Habituée à la liberté d’un pays libre, elle commet des impairs en voulant conjuguer les peuples et favoriser les rencontres. Alors qu’elle refuse obstinément de prendre parti et de s’intégrer dans cette société scindée, Laure est rattrapée par l’Histoire. Elle ne peut plus rester spectatrice et elle est précipitée dans les rouages pervers d’un pays qui se révolte et qui se referme sur les oppresseurs. Alors que la désinvolture devient coupable et que l’insouciance est victime, Laure comprend qu’elle aurait dû surveiller ses fréquentations et retenir ses paroles. Mais la jeune enseignante était trop pétrie d’idéaux cosmopolites et, surtout, elle était trop lâche pour reconnaître les problèmes qu’elle avait devant les yeux.
Monique Rivet a écrit ce texte dans les années 1950 et ne l’avait jamais publié. J’ai été touchée par son héroïne, jeune femme secouée par un conflit dont elle ne voulait pas, mais qui était celui de tous les Français. Un petit bémol sur l’enchaînement des chapitres : j’ai trouvé le texte assez décousu. Certains personnages apparaissent à peine, mais font les ouvertures de chapitres et on ne les retrouve ensuite que mentionnés. Il y a peut-être trop de personnages : à vouloir présenter un individu de chaque groupe, il me semble que l’auteure a frôlé la caricature. Mais je tiens à souligner la pudeur avec laquelle Monique Rivet a évoqué les crimes des deux camps : elle évoque les tortures et les maltraitances, mais elle maintient un voile nécessaire sur des horreurs dont tout le monde connaît largement les images.