En 1967, Marie a 17 ans et des rêves plein la tête. Sa vie sera extraordinaire, sans comparaison avec celle de ses parents. Mais elle épouse Michel à 18 ans, a deux enfants presque coup sur coup, comme si sa vie se déroulait à son insu. Il reste un rêve de mer et de soleil, incarné par des starlettes qui se dorent au soleil. Sans aucun doute, la vie serait plus belle au bord de la Méditerranée. Mais le quotidien de Marie, c’est Vesoul, parfois Besançon, et l’usine Peugeot. La chaîne. La chaîne du Jura ? Non, la chaîne de montage, la chaîne de conditionnement. La cadence et le rythme des battements de cœur calqué sur l’horloge du grand atelier. De temps en temps, il y a des rumeurs de grèves menées ailleurs qui font sursauter la monotonie. Tous les jours, tous les soirs, les ouvriers syndiqués appellent au rassemblement, à la lutte, mais c’est déjà tellement difficile de tenir toute la journée et de s’occuper ensuite de la maison. « Marie Brulhard qu’on appellera bientôt la Bleue, comprendre l’éternelle nouvelle, l’éternelle paumée. » (p. 89)
La vie n’est pas tout à fait pauvre, mais elle est obligatoirement laborieuse. Alors, les vacances, ces échappées de dix jours au bord de la mer, ce sont des instants trop précieux que l’on range tout de suite sous du papier de soie, comme cette robe bleue qu’on ne remettra plus, mais qui chante si fort un souvenir interdit. On n’est pas tout à fait malheureux non plus, mais on rêve d’autre chose. « Tout ce qui vit s’accompagne d’une douleur sourde dont on ne sait pas la nature. On est avide de la vie des autres. » (p. 89) Ce « on » qui rythme les pages, c’est la déshumanisation lente, la perte de soi au milieu des autres ouvriers et d’une décennie qui va soudainement trop vite. Marie voudrait se libérer, mais par où commencer ? « Il faudrait commencer par dire qu’avant tout on veut en finir avec soi-même, que divorcer c’est se donner une chance d’être la femme que l’on voit naître autour de soi, en ces années 1970. […] On a vingt-cinq ans, huit ans de mariage, noces de coquelicot, trois ans d’usine, noces de froment, et ça devrait durer comme ça jusqu’à la fin de la vie ? » (p. 148)
Cette lecture n’est ni une réussite, ni un échec. D’abord entraînée par la narration d’un souffle et les longues phrases, j’ai fini par m’empêtrer dans le ton monocorde et à perdre toute empathie pour Marie. J’ai compris le sens du « on », mais comme dans le roman de Julie Otsuka, Certaines n’avaient pas vu la mer, où le « nous » préside toute la narration, il m’a manqué une individualité plus marquée pour vraiment m’attacher au personnage. Chaque chapitre est une année, de 1967 jusqu’au tout début des années 1980 et le récit présente en filigrane la crise qui a frappé le monde industriel français. Il plane sur ce roman une nostalgie dont je n’ai pas saisi toute la portée, n’ayant pas connu les années 1970. Détail personnel : si j’ai autant apprécié les descriptions et les déambulations des personnages dans Besançon, c’est sans aucun doute parce que j’y ai passé le week-end, chaleureusement accueillie par Miss Alfie et son mec. Bref, une lecture douce-amère, pas déplaisante, mais un brin décevante.