Angelo Pardi est un jeune colonel des hussards. Ce Piémontais est sur le chemin du retour, vers l’Italie, pour rejoindre les combattants de la liberté. Il doit retrouver Giuseppe, son frère de lait, à Manosque afin d’organiser la révolution des carbonari piémontais qui gronde en 1830. Mais dans une fin d’été étouffante, alors que les récoltes sont prêtes pour la moisson, le sud de la France est frappé par le choléra. « Cela est dans l’air. Cet air gras n’est pas naturel. Il y a autre chose là-dedans que le soleil, peut-être une infinité de mouches minuscules qu’on avale en respirant et qui vous donnent des coliques. » (p. 36) Premiers morts, premières paniques, premières fuites. Les cadavres noirs encombrent les rues, les villes se barricadent, les quarantaines sont mises en place et la méfiance s’installe. « J’essaye de me dépêtrer de ce pays infernal, plein de peureux et de courageux, plus terribles les uns que les autres. » (p. 90) Accusé d’avoir empoisonné les fontaines, Angelo se réfugie sur les toits de Manosque. Pendant plusieurs jours, il survit en hauteur, évitant les maisons des morts. « Actuellement, il est préférable de se tenir loin les uns des autres. Je crains la mort qui est dans la veste du passant que je rencontre. Et il craint la mort qui est dans la mienne. » (p. 432) Il rencontre et aide une fascinante jeune femme, Pauline de Théus, qui veut rejoindre le domaine de son époux.
Un texte de Jean Giono, ça fait combattre deux attitudes de gourmet : savourer ou dévorer. L’auteur est un artiste exceptionnel qui, en trois touches, donne vie à un tableau et à un paysage. « L’ombre n’était pas fraîche, mais on s’y sentait délivré d’un poids très cruel sur la nuque. » (p. 57) Dans un roman de Jean Giono, il n’y a pas que les mots : il y a les sons que ces mots supposent. Même les bruits et les fracas deviennent mélodies quand ils passent par le style de l’auteur. « Le charroi des autres tombereaux continuait dans les rues et les ruelles d’alentour. Les cris des femmes, stridents, ou gémissants, le déchirant appel au secours des voix d’hommes éclataient toujours de côté ou d’autre. Ils n’avaient en réponse que le roulement des tombereaux sur les pavés. » (p. 165 & 166) Jean Giono, auteur pastoral, peintre prosaïque, compositeur immense.
J’ai vu le film de Jean-Paul Rappeneau, avec les jeunes Olivier Martinez et Juliette Binoche, quand j’étais très jeune et je m’étais toujours promis de lire le roman. Petit détail loufoque : à l’époque, le chien de la famille s’appelait Hussard et je l’ai longtemps imaginé se promener sur les toits…