Dans ces six très belles nouvelles, vous trouverez :
D’anciens amants qui se retrouvent ;
Des souvenirs de guerre ;
Un vieil écrivain qui n’écrit ni ne parle plus ;
Une revenante qui se glisse dans les voitures ;
Un retour sur la terre natale ;
Des souvenirs comme un voyage dans le temps ;
Des enfants qui jouent un jour de pluie ;
La sirène inquiétante d’une ambulance ;
Des arbres qui perdent leurs feuilles ;
La disparition d’un porte-monnaie ;
L’odeur troublante d’une jeune fille ;
Un tombeau de famille.
Poétiques et délicats, ces récits proposent plus que des images ou des descriptions : ce sont des évocations et des impressions. Contrairement à l’art occidental de la nouvelle dont la beauté repose sur une chute brillante, la nouvelle telle que la pratique Kawabata consiste surtout à saisir des instants, puis à les relâcher pour qu’ils reprennent leur place dans le cours du temps. « Mais on ne peut pas savoir si c’est la première neige ou pas. Pour nous, c’est la première fois de l’année que nous voyons le Fuji sous la neige, mais il a peut-être neigé auparavant. » (p. 10) Les nouvelles sont jamais des récits finis ou définitifs : ils s’inscrivent dans un tableau plus large dont l’auteur a choisi de ne représenter qu’un détail.
Kawabata a reçu le prix Nobel de littérature en 1968 et j’avoue que je n’avais jamais entendu parler de lui. Mais après la lecture de ce magnifique recueil, je vais poursuivre ma découverte de cet auteur qui parle si bien des choses sensibles et impalpables, comme l’amour, la neige ou la création. « Un couple autrefois séparé qui se retrouve : c’est une grande chance que cela ne se termine pas en déferlement de haine, tu ne crois pas ? » (p. 42)
Maybelline est une célèbre marque de cosmétique américaine créée par le chimiste Tom Lyle Williams.
Son nom est la contraction du prénom Maybel et du mot vaseline.
Maybel était la sœur de Tom : s’étant un jour légèrement brûlé les cils et sourcils, elle applique dessus un mélange de cendre, charbon et vaseline pour les recolorer. Son frangin a amélioré la formule en laboratoire, créant le premier mascara moderne.
« Les animaux souffrent-ils de la solitude ? Les autres animaux, j’entends. » (p. 16) Le mariage, le bébé, le quotidien, les ambitions qui s’éteignent, la routine qui ternit tout, l’infidélité. Voilà la vie de cette femme qui décide de prendre la plume pour s’adresser à cet époux qui lui échappe. « J’ai encore le cœur tordu. J’ai cru qu’aimer follement deux personnes le remettrait d’aplomb. » (p. 47) De souvenirs en citations littéraires en passant par des proverbes et des chansons, elle exprime sa rage, sa tristesse et ses déceptions. Piégée dans une vie de famille étriquée et dans un couple qui s’enlise, cette femme tente un dernier coup pour sauver son mariage et raviver ses rêves. « Même si le mari la quitte de cette façon affreuse, veule, il n’en est pas moins que toutes ces années de bonheur passées auprès de lui relèvent du miracle. » (p. 126) Tout cela constitue un patchwork d’idées hétéroclites. Il faut prendre de la hauteur pour voir l’harmonie de l’ensemble et comprendre l’étendue des interrogations de cette femme, à la fois sur elle-même en tant que mère et épouse, mais aussi sur le monde et ce qui lui échappe. Recoller les morceaux, recomposer la belle image des débuts, c’est une nécessité pour continuer à vivre. « Elle a renoncé par écrit au droit de s’autodétruire des années plus tôt. Lorsqu’elle a signé en pattes de mouche au bas de l’acte de naissance. » (p. 103)
Il y a des romans dont on attend beaucoup et qui, inexplicablement, nous déçoivent. C’est le cas du Bureau des spéculations de Jenny Offill. Je n’ai pas éprouvé la moindre empathie pour l’héroïne dont la représentation passe du « je » à « elle », ce qui introduit une distance malvenue. Certes, le lecteur perçoit ainsi mieux la détresse de cette femme à un moment charnière de son existence, mais cela coupe aussi les ponts avec elle. J’ai apprécié la fulgurance de certaines phrases et de certaines réflexions, comme des étoiles filantes dans la vie terne de cette femme. Et quel plaisir de croiser tant d’auteurs du monde entier, au détour d’une citation ou d’une idée. Mais pour l’héroïne bafouée, pas de compassion, que de l’ennui teinté d’agacement.
Tout élève sorcier qui se respecte doit avoir le livre Newt Scamander (Norbert Dragonneau en français) parmi ses manuels scolaires. « Vous avez entre les mains une copie de l’exemplaire personnel de Harry Potter avec les notes documentaires que ses amis et lui-même ont ajouté dans les marges. » (p. 14) Notes hautement sérieuses et déterminantes, comme vous le constaterez…
Dans cet ouvrage indispensable, vous croiserez loup-garou, centaure, troll, licorne, gobelin, fée, acromantule, hippogriffe, dragon, manticore, chizpurfles et autres bestioles plus ou moins charmantes. Ce dictionnaire répond en outre à une interrogation majeure du monde magique. « Examinons à présent la question que les sorcières et sorciers posent le plus souvent lorsque la conversation s’oriente vers la magizoologie : comment se fait-il que les Moldus ne remarquent jamais l’existence de ces créatures ? » (p. 19)
Ce livre très court est un bon complément pour tous les adeptes du monde magique et fantastique d’Harry Potter. Je ne suis qu’une fan modérée, mais curieuse : je voulais savoir de quoi il retournait avant de voir l’adaptation cinématographique de ce livre. Lecture plaisante, mais un peu scolaire, comme c’est compréhensible avec un manuel. N’ayant jamais rêvé d’entrer à Poudlard, je me suis moyennement passionnée pour ces créatures magiques. Cependant, ce livre est léger et drôle et il vaut surtout pour les gribouillis facétieux d’Harry et ses amis. Et n’oubliez pas : Draco dormiens nunquam titillandus. (Comment j’ai pu me passer de latin tout ce temps ???)
« J’avais cessé de t’attendre et tu paraissais. » (p. 10) Après dix ans de séparation, un jeune monarque voit revenir celui avec qui il a grandi. Très vite, la joie laisse place à la peur et à l’interrogation. Le fils prodigue a bien changé. « La raison que tu avais de revenir n’était pas celle que je souhaitais. » (p. 16) Les deux gamins inséparables, unis par le cœur à défaut du sang, ont grandi et sont devenus frères ennemis. Le revenant représente la minorité opprimée du pays et porte des revendications fermes et irrévocables. Ses demandes insatisfaites sont suivies de dix fléaux qui ravagent la population. Reclus en son palais avec sa femme et son fils, le monarque sait que son temps est compté. « J’avais mal au passé. Si mal ! » (p. 126)
Les lieux ne sont jamais nommés : c’est un pays de sable et de désert, de chaleur et de serpents. Pas de nom non plus pour les deux frères ennemis : il y a celui qui parle et celui qui écoute, duo lié par le passé et une histoire qui n’en finit pas de s’écrire dans le sang. « Tu es le seul à blâmer. C’est ton pays que tu as laissé pourrir. […] Tu es l’assassin de ton peuple. Les maux qui te frappent sont autant de messages que tu n’arrives pas à décrypter. » (p. 102) Dans cette réécriture de l’histoire de Moïse et de Pharaon, le peuple libéré n’est pas destiné à partir vers une illusoire terre promise, mais bien à s’enraciner sur un territoire auquel il appartient de plein droit.
Longue élégie sur le passé, les souvenirs entachés et l’espoir meurtri, Celui-là est mon frère est un texte court à la portée universelle. Puissant et bouleversant, ce premier roman est très prometteur. Marie Barthelet est sans aucun doute une auteure à suivre !
Essai de Giulia Enders. Illustrations de Jill Enders.
« Il y a des gens sympas qui avalent des substances fluorescentes et se font radiographier pendant qu’ils font caca, tout ça pour servir la science. » (p. 24) Cette phrase annonce le ton général de ce texte au succès inattendu dans lequel l’auteure nous invite à nous réconcilier avec notre ventre, mettant en évidence le rapport entre le cerveau et l’intestin, le second n’étant pas moins intelligent, ni moins performant que le premier. Cet intérêt pour le système digestif, Giulia Enders l’a développé après avoir guéri d’une vilaine maladie de peau en changeant radicalement son alimentation. « L’influence de l’intestin sur la santé et le bien-être est l’un des domaines de recherche qui marquent notre époque. » (p. 10) De la bouche à l’anus, nous voilà embarqués dans la découverte du système digestif, à la suite d’une portion de gâteau qui deviendra de l’énergie pour nos muscles et tout notre métabolisme. « La bouche n’est que le vestibule qui s’ouvre sur un monde où l’être humain fait sien ce qui était autre. » (p. 37) Parlons santé : saviez-vous qu’un intestin en forme est le meilleur garant de votre bon moral ? La dépression prend souvent racine dans un estomac faiblard ou un intestin grêle patraque. « Toute personne qui souffre d’états anxieux ou dépressifs devrait garder à l’esprit qu’un ventre mal en point peut aussi être à l’origine d’humeurs noires. » (p. 164)
Cet exposé est ludique, drôle, imagé, accessible et décomplexé. Oui, l’auteure parle sans tabou de prout et de caca, pour mon plus grand plaisir (Lili, 7 ans d’âge mental). Fi de la fausse pudeur, l’intestin est un organe passionnant. « Il faut le dire : nous le sous-estimons et, pour être franc, il nous fait même honte. L’intestin, ça craint. » (p. 16) Giulia Enders ne donne pas de remèdes miracles : son texte fait honneur au bon sens qui se fonde sur une meilleure connaissance du système digestif. Il ne faut pas craindre toutes les bactéries, nombreuses étant celles qui nous veulent du bien, nées et installées dans notre intestin, garantes de notre système immunitaire et de notre santé. « Vomir n’est jamais une punition que nous inflige notre ventre ! Au contraire, c’est plutôt le signe que notre cerveau et notre appareil digestif se donnent à fond pour nous. » (p. 128) Avec ses conseils et ses astuces, Giulia Enders vous donne les clés pour enterrer la hache de guerre avec votre intestin. Vous avez mal au ventre ? Couchez-vous sur le côté gauche, ça ira sans doute mieux très vite. Ça coince sur le trône ? Il vous suffit de trouver la bonne position pour faire popo. « D’ailleurs, au petit coin, il n’y a personne pour vous regarder et vous avez tout votre temps : c’est l’endroit idéal pour tenter ce genre d’expérience. » (p. 135)
Croyez-moi sur parole : je vais tester une grande partie de ce propose Giulia Enders !
Le caviar est composé d’œufs d’esturgeon. Ce n’est pas une information follement originale, alors regardons du côté de l’étymologie. (Oui, encore, je fais ce que je veux.)
Avant d’être fixé dans la graphie que nous connaissons, le caviar s’est écrit « cavyaire » ou « caviat », décliné du vénitien « caviaro », issu du tur « kavyar », lui-même emprunté au persan « khāviār » qui signifie « porteur d’œufs ».
Au soir de sa vie, Alexander White, connu sous le nom de plume d’Arthur Black, raconte l’étrange aventure qu’il a vécue après la guerre et qui a donné naissance à sa vocation d’écrivain. « En avant pour l’histoire de fou. J’écris ‘histoire de fou’, mais tout est vrai, permettez-moi de le répéter. » (p. 61) Démobilisé après une blessure dans une tranchée française, Alex a voulu réaliser le souhait de son ami Harold Lightfoot en se rendant à Gatford. La charmante bourgade anglaise est cependant loin d’être un havre de paix pour le jeune soldat. Alex découvre l’existence des fées et des sorcières et expérimente douloureusement leurs pouvoirs. Qui en a après lui ? Est-ce la voluptueuse Magda ou l’évanescente Ruthana ? Faut-il croire les contes de bonnes femmes racontés par les habitants de Gatford ? Une chose est certaine : il n’y a rien à gagner à quitter le sentier dans la forêt.
De Richard Matheson, je n’ai lu que Je suis une légende, fable futuriste dont je garde un souvenir puissant : la réflexion sur la place de l’homme dans l’univers est brillante. J’attendais un texte de la même envergure et du même souffle. Me voilà un peu déçue. D’autres royaumes est un charmant récit fantastique avec ce qu’il faut de peur et de suspens pour susciter et maintenir l’intérêt. Mention spéciale pour les nombreuses prétéritions qui annoncent la catastrophe et empêchent de reposer le bouquin. Mais ce roman souffre de la comparaison avec le précédent récit vampirique. Si je ne savais pas que ce texte était de la main de Richard Matheson, j’aurais pu croire qu’il était l’œuvre honnête, mais un peu facile, d’un auteur de littérature young adult. Lecture plaisante, mais un peu décevante. Je vais toutefois continuer à découvrir cet auteur.
C’est l’émoi dans la cité de Loudun : Scévole de Sainte-Marthe, poète et notable, est mort. Sous son bienveillant patronage, catholiques et protestants vivaient en harmonie. Son jeune ami, Urbain Grandier, tente de maintenir cette concorde, mais c’est moins facile qu’il n’y paraît. Grandier est le curé de Loudun : habile orateur et bel homme, il aime les femmes qui le lui rendent bien. Un écart de trop le condamne à la vindicte des notables et du peuple de Loudun. Désormais, on veut la tête du beau prêtre. Et la plus enragée est Jeanne des Anges, mère supérieure du couvent des Ursulines de Loudun : depuis toujours, la religieuse cherche l’extase. « Elle aussi veut mourir de plaisir, sentir l’effusion mystique lui traverser les reins, sentir les vagues chaudes de la prière. Elle veut défaillir. » (p. 13) Hélas, ne la trouvant pas dans l’adoration de Dieu, Jeanne décide de la trouver dans l’hérésie et se déclare possédée, ainsi que d’autres sœurs du couvent, par des diables envoyés par Urbain Grandier. « Mais enfin, qui irait jamais prendre au sérieux des accusations démentes, est-ce qu’on fait crédit aux fous ? Mais il fallait se rendre à l’évidence : cela avait un peu pris quand même. » (p. 132) Pris dans des jeux de pouvoir qui opposent l’évêque à l’archevêque de Bordeaux et le gouverneur de Loudun au cardinal de Richelieu, le pauvre curé a peu de chances d’échapper à la terrible accusation proférée par Jeanne des Anges. « Urbain Grandier accusé par quelques folles, elles soutenues par des infâmes, et condamné d’avance par un tribunal de pleutres, de juges vendus et lâches. » (p. 217)
En faisant un roman de la célèbre affaire des possédées de Loudun, Frédéric Gros fait exploser les désirs inassumés dans une époque où la politique et la religion se heurtent jusqu’à l’embrasement. Alors que Richelieu est bien décidé à faire tomber le mur d’enceinte, les tours et le donjon de Loudun pour priver de tout refuge les protestants et pour mettre en œuvre son grand projet de ville idéale, la fière cité du Poitou affronte la peste et accuse d’une même voix les réformés et le trop brillant Urbain Grandier, humaniste trop sensuel pour son temps. D’exorcismes spectaculaires en jugements iniques, Loudun tremble sous les assauts d’un catholicisme enfiévré. « Ce mal a servi à nous débarrasser des faux chrétiens et des vicieux invétérés. » (p. 89) Possédées est un roman passionnant, au style cinématographique et à la plume enlevée. Chapeau bas pour Frédéric Gros qui donne à voir avec talent un épisode saisissant de l’histoire de France.
Quatrième de couverture :Fin des années 1990. Leonora Galloway entreprend un voyage en France avec sa fille Penelope. Toutes deux ont décidé de se rendre à Thiepval, près d’Amiens, au mémorial franco-britannique des soldats décédés durant la bataille de la Somme. Le père de Leonora est tombé au combat durant la Première Guerre mondiale, mais la date de sa mort gravée sur les murs du mémorial, le 30 avril 1916, pose problème. Leonora est en effet née près d’un an plus tard. Ce qu’on pourrait prendre pour un banal adultère de temps de guerre cache en fait une étrange histoire, faite de secrets de famille sur lesquels plane l’ombre d’un meurtre jamais résolu et où chaque mystère en dissimule un autre. Le lecteur est alors transporté en 1914 dans une grande demeure anglaise où va se jouer un drame dont les répercussions marqueront trois générations.
Pourquoi la quatrième de couverture ? Parce que ce roman est très complexe et que j’ai la flemme. Parfois, ça arrive. J’ai beaucoup aimé ce roman, mais réfléchir à le présenter sans révéler l’intrigue, pfiou, non, pas envie d’essayer. Je vais me contenter de poser les questions que soulève le roman. Pourquoi Lady Olivia Powerstock en veut-elle autant à sa petite-fille par alliance ? Pourquoi refuse-t-elle de lui révéler l’emplacement de la tombe de sa mère ? Qui est le véritable père de Leonora Galloway ? « J’avais perdu les parents dont j’avais toujours rêvé et l’on ne m’offrait en échange que de sombres révélations. » (p. 61) Qui a tué Mompesson, l’odieux Américain qui séjournait à Meongate pendant la guerre ? « La guerre fait des centaines de morts. Des milliers de balles sont tirées chaque jour. Or nous enquêtons sur les circonstances de la mort d’un homme tué par une malheureuse balle ; seulement, dans ce cas précis, nous parlons de meurtre. » (p. 211) Que cachent les tableaux exposés dans la demeure ?
Si toutes ces questions vous ont mis en appétit, n’hésitez pas, ouvrez ce roman. Vous plongerez dans l’horreur de la Première Guerre mondiale et dans la froideur glacée d’un château anglais aux airs très gothiques. Par un jeu habile de récits enchâssés et d’analepses, Robert Goddard déploie une histoire de famille fascinante. Le titre original est In Pale Battalions : c’est une référence à un poème présent dans le roman. La traduction française est belle, mais moins percutante que le titre anglais. Oubliez ce détail et lisez ce très bon roman, excellent divertissement porté par un style solide.
La gourgandine est un des nombreux noms que l’on donnait autrefois aux prostituées. Et non, je ne vais pas dresser la liste de ces appellations !
Avant de désigner la femme de mauvaise de vie, la gourgandine désignait un corset qui se laçait sur le devant et qui permettait, si le lacet était lâche, de dévoiler la poitrine.
Il n’y a ensuite qu’un petit pas à franchir pour que la femme qui porte ce corset de manière plus ou moins ouverte soit qualifiée de gourgandine. Métonymie, mon amour !
Alors, billevesée ?
Sur ce tableeau, la belle Agnès Sorel porte un corsage lacé à la gourgandine.
Dans une forêt du Maine, Arthur Bramhall vient de terminer son roman, son chef d’œuvre. Manque de bol, un ours vole la mallette dans laquelle se trouve le manuscrit et décide de le faire éditer sous son nom, Dan Flakes. Le roman est un succès et l’ours est demandé partout, dans les librairies, sur les plateaux des talkshows, par les publicitaires. « Personne ne vous a jamais dit à quel point vous ressemblez à Hemingway ? / Qui ? / Qui, en effet ! Il se peut fort bien que vous soyez celui qui va le relayer dans l’oubli. » (p. 27) Dans le monde des hommes, le plantigrade est comme un coq en pâte : du miel à volonté, de la nourriture sans avoir à chasser, du chauffage qui permet d’éviter l’hivernation, des femmes disponibles plus d’une fois par an. Mais dans le Maine, Bramhall clame encore et toujours la paternité du roman. Quel avenir pour l’ours ? Le zoo ou les podiums ? « Il abordait les manières de la forêt avec sagesse et celles des hommes avec roublardise. » (p. 15)
Évidemment, ce roman est parfaitement loufoque et propose une satire très cynique sur le monde de l’édition où le livre et l’auteur ne sont que des produits de consommation. Le décalage entre Bramhall qui se demande ce qu’un ours pourrait faire de son roman et la façon dont l’ours est accueilli comme une star est hilarant. « Personne ne sait que je suis un ours. Debout sur mes pattes, les mains dans les poches, je suis juste un type velu parmi d’autres en train de flâner. » (p. 112) L’humour repose très largement sur les quiproquos incessants entre ce que l’ours dit (ou ne dit pas) et ce que les humains veulent entendre et comprendre. Le procédé est efficace, mais employé jusqu’à l’overdose dans ce roman, heureusement assez court et bien conclu. Petit point sur le titre original, The Bear Went Over the Mountain, qui est bien plus percutant que le titre français, pourtant sympathique. L’ours est un écrivain comme les autres est donc un roman plaisant, très divertissant, une vision franche et rafraîchissante sur un univers très fantasmé.
Mathieu Sorgues, élève de l’institut Saint-Agil, disparaît un soir après être passé devant le préfet de discipline. Pour ses deux compères, Philippe Macroy et André Baume, c’est une fugue vers l’Amérique, ce continent qui les fascine et justifie l’existence de leur société secrète des Chiche-Capon. Mais tout de même, Mathieu n’était pas le plus aventureux des trois garçons : son départ est étrange, pour ne pas dire inquiétant. « L’imagination, […] voilà, à la fois, la plus grande et le plus grand défaut de Sorgues. » (p. 37) Rapidement, le doute n’est plus permis : Mathieu Sorgues a été enlevé. Et l’émoi grandit encore à Saint-Agil quand Philippe Macroy disparaît à son tour et qu’un professeur est retrouvé mort au bas des escaliers. Ne reste qu’André Baume. « La disparition des Chiche-Capon avait pour ainsi dire marqué, pour le numéro 7, la fin d’une enfance que l’internat, peut-être, avait prolongée outre mesure. » (p. 107) À lui seul, saura-t-il résoudre les mystères qui obscurcissent la bonne réputation de Saint-Agil ? Retrouvera-t-il ses camarades sains et saufs ? Ne risque-t-il pas à son tour de disparaître ?
J’ai relu avec plaisir ce roman qui avait enchanté mon enfance, même si ce roman policier m’a un peu déplu. Je ne suis pas friande du genre auquel je reproche deux grands défauts : soit d’être cousu de fil blanc et de ne laisser aucune place au mystère, soit de verrouiller l’intrigue à un tel point qu’il est impossible de comprendre le mystère avant la fin. Les disparus de Saint-Agil appartient à la deuxième catégorie : pas un indice ne laisse entrevoir la solution avant que l’auteur en ait décidé et je trouve cela très frustrant. Cela dit, ce roman est un excellent ouvrage pour les jeunes lecteurs, tout à fait susceptible d’enflammer leurs esprits et de leur procurer de formidables frissons. « Les mots de crime, d’enlèvement, de séquestration étaient chuchotés. » (p. 116) Quand on est jeune et qu’on étouffe dans un internat, une société secrète, une carte des États-Unis, des prospectus sur les compagnies maritimes, un indicateur Chaix et un catalogue de la Manufacture française d’armes et de cycles de Saint-Étienne sont des trésors. Avec ça, on va partout et on peut tout tenter. Et sous le regard aveugle d’un squelette, à la fois témoin et porte-chandelles, on peut pratiquer d’épatantes activités nocturnes clandestines.
Le narrateur est aiguilleur de l’espace. Dans la balise 23, il surveille les passages de vaisseaux à proximité d’une ceinture d’astéroïdes. Vétéran de la guerre spatiale qui fait rage depuis des décennies, il apprécie de vivre seul, loin des hommes, tout en se sentant glisser vers la folie du fait de tant de silence et de solitude. « C’est une soif égoïste que de désirer un compagnon d’infortune. » (p. 33) D’autant plus que sa balise perd en performance et les dysfonctionnements se multiplient. « Alors à mon avis, les chances que quelqu’un ait un problème ne cessent d’augmenter. En particulier quand les balises vieillissent. Et en ce moment, ce quelqu’un, ça doit être moi. » (p. 15) Dans cette immensité terrifiante, il voit passer des naufrageurs, des parasites mécaniques, des chasseurs de prime, des personnes recherchées, des débris de vaisseau. Son seul lien avec la Terre, c’est une machine qui envoie et reçoit des messages d’Houston. Dans sa balise perdue, le narrateur subit le poids de son étiquette de héros. La vérité est autre : un jour, il aurait pu mettre fin à la guerre contre les Ryphs, mais sa lâcheté l’en a empêché. Récompensé contre toute attente, il tente d’échapper à ses hontes. « Accepter ce boulot était peut-être le pire moyen de combattre mes démons. Je suis piégé ici avec eux, dans cette balise. Et ils me surpassent largement en nombre. » (p. 33) Un jour, au milieu de toutes les annonces incessantes de la balise, le narrateur se découvre un voisin inattendu.
Avec sa trilogie Silo, plus précisément avec le premier volume, Hugh Howey m’avait agréablement étonnée et intriguée. Mais au terme de cette lecture, je me demandais s’il saurait se renouveler, ne pas s’enfermer dans un genre. Mes craintes ont manqué de peu d’être fondées, d’autant plus que, pendant la première moitié du roman, je ne voyais pas vers où se dirigeait le récit. Finalement, grâce à un retournement bienvenu, l’intrigue prend un tour très intéressant et propose une réflexion intelligente sur la paix. En espérant toutefois qu’Hugh Howey saura se réinventer dans le genre qu’il a choisi.
Pièce de théâtre de John Tiffany et Jack Thorne, d’après une histoire originale de J. K. Rowling.
Dix-neuf ans après la bataille de Poudlard, Harry et Ginny sont les heureux parents de James, Albus et Lily. Et c’est au tour d’Albus d’entrer à Poudlard. Contre toute attente, le Choixpeau l’envoie à Serpentard. Albus se lie d’amitié avec Scorpius, le fils de Draco Malfoy. « Albus Potter. Une aberration. Même les portraits lui tournent le dos quand il monte l’escalier. » (p. 25) Harry voit d’un mauvais œil cette amitié et ne peut s’empêcher de prêter foi aux rumeurs selon lesquelles Scorpius serait le fils de Voldemort. Ne dit-on pas que le Seigneur des Ténèbres aurait eu un enfant avant de mourir ? Les années passent à Poudlard : Albus s’intègre de mieux en mieux à Serpentard, mais s’éloigne de son père. « Je n’ai pas choisi, vous savez ça ? Je n’ai pas choisi d’être son fils. » (p. 27) Ce n’est pas facile d’être le rejeton du Survivant et du Sauveur. Quant à Harry Potter, directeur de la justice magique, il souffre depuis peu de sa cicatrice : cela signifie-t-il que le mal est de retour ? « Si une partie de Voldemort, sous quelque forme que ce soit, a pu survivre, nous devons nous tenir prêt. Et j’ai peur. » (p. 62) Ajoutez à cela la douleur d’Amos Diggory d’avoir perdu son fils Cedric, une nouvelle prophétie et des âmes bien intentionnées qui veulent utiliser un Retourneur de Temps pour éviter certains drames et vous obtenez une intrigue qui rappelle que ce n’est jamais une bonne idée de vouloir modifier le passé. « On ne peut pas réécrire sa vie. Quand on est orphelin, on l’est pour toujours. C’est quelque chose que ne vous quitte jamais. » (p. 247)
Nombreux sont les grands fans de la saga qui ont crié au scandale après avoir lu ce texte, lui reprochant d’être moins développé que les précédents romans. Rien de plus normal : nous avons ici une pièce de théâtre destinée à la représentation. En ce sens, Harry Potter et l’enfant maudit est selon moi un très bon texte. J’y ai retrouvé tout ce que j’aime : le Poudlard Express, le polynectar, les chocogrenouilles et tous les sorts. Albus et Scorpius sont deux gamins débrouillards qui font montre d’autant de ressources que leurs pères respectifs en leur temps. Sans tomber dans le fan service, John Tiffany et Jack Thorne ont inscrit leur texte dans un univers riche et désormais incontournable. C’est avec plaisir que j’assisterai à une représentation de cette pièce si elle est jouée près de chez moi.
Le narrateur raconte son enfance sur une presqu’île, entre la mer, la voile et les amis. En grandissant, il est devenu officier de marine et s’est découvert une passion pour la peinture. Son enfance, il l’a vécu sur les mêmes plages et le même terrain de tennis que Marion. Mais ce n’est qu’adultes qu’ils se rencontrent vraiment. « Je sus alors que j’allais épouser cette femme, qu’il me faudrait la peindre. Peindre le silence. » (p. 46) Affecté en Martinique, le narrateur craint de perdre Marion, mais elle le rejoint sous le soleil et ils vivent ensemble deux années de douces fiançailles. Marion l’inspire, à la fois muse et modèle. « Elle était l’essentiel et l’épure. » (p. 65) Marion nage beaucoup et souvent, immergée dans l’océan et le silence marin. « L’eau non seulement la nourrissait, la sculptait, mais imposait un filtre entre elle et moi. »(p. 67) De son côté, le narrateur est de plus en plus obsédé par la peinture et la création. Leurs passions communes vont-elles les séparer ? Le couple peut-il résister ? Sera-t-il toujours uni par la mer ? « Est-ce au nom de la mer que nous nous étions choisis, Marion et Moi ? Pour ce goût commun du silence, de la solitude ? »(p. 67)
Si j’ai trouvé la fin de ce court roman un peu précipitée, bien qu’elle semble avoir été annoncée depuis le début, j’ai été complètement emballée par le reste du texte, très sensible et vibrant. le récit est porté par la seule voix du narrateur qui est à la fois homme, militaire, peintre, amant et père, et souvent en peine pour réconcilier tous les aspects de sa personnalité. S’oppose à lui la grande et silencieuse Marion qui n’est perçue que par les mots de son compagnon, restant de fait mystérieuse, inaccessible et sublime. D’Olivier Frébourg, dont je vais continuer à découvrir l’oeuvre, je vous conseille le superbe Gaston et Gustave.
Q. P. a trente et un ans. Chaque semaine, il a rendez-vous avec son contrôleur judiciaire et deux thérapeutes. Il doit aussi suivre un traitement. Ses parents, bien que mortifiés par ce qu’a fait leur fils, veulent lui faire confiance et lui confient la garde de la maison familiale transformée en logements pour étudiants. « Mon père R. P. m’a confié cette responsabilité et je suis content d’avoir une chance de me racheter à ses yeux et à ceux de Maman. » (p. 14) Mais quelle est la faute de Q. P. ? Un délit racial contre un jeune garçon. C’est pour cela qu’il a été condamné à une peine avec sursis et à une période de probation. Mais en vérité, Q. P. n’en était pas à son coup d’essai et il n’arrête pas son œuvre macabre. Son rêve est d’avoir un zombi à son service, après avoir pratiqué sur sa victime une habile opération de lobotomie. « Un vrai ZOMBI serait à moi pour toujours. Il obéirait à tous les ordres et les caprices. En disant ‘Oui, maître’ et ‘Non, maître’. Il s’agenouillerait devant moi et les yeux levés vers mois en disant : ‘Je t’aime, maître. Il n’y a que toi, maître’. Et c’est ce qui se passerait, et c’est ce qui serait. Parce qu’un vrai ZOMBI ne pourrait pas dire quelque chose qui n’est pas, seulement quelque chose qui est. Ses yeux seraient ouverts et transparents, mais il n’y aurait rien à l’intérieur qui voie. Et rien qui pense. Rien qui juge. » (p. 47) Hélas, ce fantasme de domination et cette excitation macabre n’aboutissent jamais, car toutes les opérations ratent. Cependant, Q. P. ne cesse pas de chercher celui qui deviendra son zombi.
Joyce Carole Oates est la reine du malaise et de la chute qui glace le sang, comme je l’ai constaté souvent et récemment dans Daddy Love. Q. P. sera-t-il puni ? Son œuvre sordide sera-t-elle découverte et condamnée ? Lisez ce très court roman pour le savoir, de préférence pas après un bon repas. Nausées garanties ! Le récit est souvent porté par un débit ininterrompu dont on ne sait pas s’il est monocorde ou excité. Il traduit des pensées confuses, inachevées et entrecoupées, fortement malades, et une personnalité changeante et double. « Et puis se débarrasser. Le poids de. Si LOURDS. Comme s’ils le faisaient exprès, qu’ils RÉSISTENT. » (p. 81) C’est difficile à écrire, mais j’ai beaucoup aimé ce roman. Cela dit, je vais enchaîner avec un truc genre Bisounours…
En novembre 1918, l’état de Washington est balayé par une terrible tempête. La famille Lawson y perd un père et un fils. Matt, privé de son jumeau, s’occupe désormais seul du ranch familial, après être devenu un homme en une nuit. « J’allais nulle part sans lui. / C’est le fait d’être des jumeaux qui rend les choses difficiles ? […] / J’ai jamais été autre chose, dit Matt. Je suis toujours jumeau. Mon frère est parti, c’est tout. » (p. 32 & 33) Matt se rapproche de Wendy qui l’aide à chercher le corps de son père. Mais la romance tourne court entre eux quand Wendy lui tire dessus accidentellement. Matt disparaît alors pendant près de vingt ans, louant sa colossale force de travail dans d’autres ranchs. « Malgré sa taille et sa force, il était lâche. Il avait abandonné une mère, et surtout, dans son esprit, une femme qu’il aimait, mais qu’il était incapable d’affronter. Cette balle avait été pour lui une manière de se dérober, y compris pour lui-même. » (p. 201)Quand il revient auprès de Wendy, il a un bébé et un ennemi en la personne de Lucky, le fils de Linda Jefferson, son ancienne institutrice.
Le roman se découpe en trois grandes périodes qui vont de 1918 aux années 1960. Entre violence et cruauté, la vie de Matt est souvent traversée d’éclairs de folie et nourrie d’une profonde solitude. « Les gens avaient beau être proches par le sang, un cœur n’irradie pas, par ses simples battements, le réconfort ou la joie. Ce sont là des choses qu’il nous faut aller traquer chez les autres, et les autres restaient peu nombreux, éparpillés dans de grands espaces. » (p. 11) Matt sait qu’une famille se créé autant par le sang que par la volonté de rester proche de ceux qui l’entourent, ce qui est loin d’être simple. Par sa rudesse et ses airs de fresque américaine, ce roman placé sous l’égide d’Emily Dickinson m’a souvent rappelé À l’est d’Eden de John Steinbeck. L’âpreté du monde et la brutalité des hommes y sont aussi puissantes. L’heure de plomb est un magnifique roman américain.
Frénégonde est dame apothicaire. Après la mort de son époux, elle a repris et développé son officine. Les années ont passé et elle a acquis une solide clientèle parmi la population d’Alzey. Elle a élevé son fils Gottfried pour qu’il prenne sa suite : le jeune homme est passionné par la profession même si, depuis quelques temps, il regarde du côté d’une certaine jeune fille. Bref, tout semble aller pour le mieux dans la vie de Frénégonde. Mais voilà, alors que des jongleurs l’agacent depuis des jours en faisant leurs pitreries devant sa boutique, elle est victime d’un vol et une étrangère vient l’interroger sur la moralité de sa sœur, Hildegarde, pressentie pour devenir la mère supérieure de son couvent. « Il ne savait pas exactement où elle se trouvait ni ce qu’elle faisait. Et cela l’inquiétait car il ne la connaissait que trop et elle était capable de s’être fourrée dans un guêpier sans nom. » (p. 121) À cela s’ajoute l’agression d’un jongleur dans une petite rue d’Alzey et la découverte d’un cadavre dans le jardin de l’abbaye. Rien de tout cela ne perturbe Frénégonde, femme forte, qui est bien décidée à tirer cela au clair. Et sa sœur Hildegarde est faite du même bois. Les retrouvailles des frangines promettent de faire des étincelles !
Mon amie Lydia m’a offert son livre et je l’en remercie. Elle savait qu’elle prenait un risque parce que les polars (même médiévaux) et moi, ça fait deux… J’avais déjà lu et apprécié son essai La maladie et la foi au Moyen Âge. Mais ce polar, alors, j’en dis quoi ? Eh bien, c’est un polar, décidément pas le genre que je préfère. Mais le texte est gouailleur et généreux, tout à l’image de son auteure. L’intrigue repose sur l’invention de Frénégonde car, si Hildegarde est un personnage historique, certains de ses frères et sœurs restent inconnus. C’est dans cette brèche que Lydia Bonnaventure s’est engouffrée pour créer un personnage très vivant et attachant dont on aimerait bien lire d’autres aventures, mais moins polar si c’est possible s’il vous plaît madame…
L’Australis, bateau de croisière non calibré pour l’Antarctique, s’est échoué au fond des eaux glacées du continent blanc, après un long naufrage qui est une catastrophe humaine et écologique. « C’est désespérant, nous n’avons pas assez de sauveteurs, pas assez de ressources et nous arrivons trop tard. » (p. 237) Le MS Cormoran est intervenu le plus vite possible, mais les victimes sont nombreuses. À son bord, Deb Gardner, biologiste spécialisée dans l’étude des manchots, a assisté à la catastrophe. Entre passé lointain et passé imminent avant le naufrage, le récit reconstitue sa grande histoire d’amour avec Keller Sullivan, homme perdu qui a trouvé un sens à sa vie en Antarctique. Chaque année, pendant quelques semaines, Deb et Keller avaient l’habitude de se retrouver autour de leur passion commune pour ce continent glacé et pour les manchots. « Nous nous aimons autant que nous aimons l’Antarctique, pourtant nous devons nous séparer l’un de l’autre et de ce continent. » (p. 22) Avant d’arriver sur les terres arides du bout du monde, Deb et Keller payent le voyage à bord du Cormoran en guidant des touristes sur la banquise, bien conscients que ces vacanciers ne respectent pas les lieux et contribuent à leur destruction. « Nous continuons à mesurer les effets du tourisme sur les oiseaux. Il y a deux cents ans, les manchots avaient le continent pour eux seuls ; aujourd’hui, ils sont au contact de bactéries contre lesquelles ils n’ont aucune défense. » (p. 104)
Deb vivait seule sa passion pour le continent blanc. « J’attends avec impatience ces moments à terre où, entourée des cris des manchots et des pétrels, je me sens plus loin que jamais du monde au-dessus du 60° parallèle sud. » (p. 15) Entre solitude et liberté, elle assumait plus ou moins bien son célibat et d’avoir choisi la science au détriment de la famille. Elle forme avec Keller un couple dysfonctionnel, mais fusionnel. « L’Antarctique vous endurcit et je me demande si ce n’est pas ça qu’il est venu chercher, faire disparaître ses vieilles blessures sous les cals. » (p. 73) Leur inadaptation au monde présente des degrés différents, mais c’est dans cette faille qu’ils se retrouvent et construisent leur amour dont l’issue tragique se fait sentir dès les premières pages. Pourquoi Keller n’est-il pas à bord du Cormoran cette année-là ?
Au-delà de l’histoire d’amour, Mon dernier continent est un excellent récit de survie dans l’enfer blanc de la banquise. Il m’a rappelé Soudains, seuls d’Isabelle Autissier, mais surtout Le Sphinx des glaces de Jules Verne, ce roman d’aventures qui a enchanté mon adolescence. « Comme tout voyageur de l’Antarctique le dira, quand on commence à craindre la glace, les relations avec elle changent à jamais. » (p. 216) Avec son texte, Midge Raymond nous confronte à notre responsabilité dans la mort des océans et illustre très bien la fascination mêlée de répulsion qui lie l’homme et l’Antarctique. Roman d’amour, récit d’aventure et manifeste écologique, Mon dernier continent est un très bon récit qui tient à la fois du chant du (manchot) cygne et du cri d’espoir. Tout n’est pas perdu, l’Antarctique n’est pas condamné si on se mobilise sans attendre. « Je ne veux pas rester spectatrice de ce qui se joue ici. Je ne veux pas regarder la fonte de la banquise en me disant qu’il n’y a rien à faire. Même si je ne sais pas bien ce que je pourrais faire. » (p. 177)
Thomas Mandil est né en 1975 et il est atteint de trisomie 21. Un handicap ? Sur le papier, sans aucun doute. Dans les faits, Thomas a toujours été un garçon, puis un homme plein d’énergie et de détermination. Pour lui, pas question de limites ou de faiblesses : avec volonté et ténacité, lucidité et intelligence, il mène une vie épanouie entre son poste de fonctionnaire au ministère de l’Économie, sa place dans la communauté Foi et Lumière, ses voyages partout dans le monde et le théâtre qu’il pratique tous les étés. Thomas Mandil parle de ses amis, de sa famille et de ses collègues, toutes ses personnes qui l’entourent, mais pas comme on le ferait d’une personne incapable, comme on le fait avec un frère ou un proche, tout simplement et même si le quotidien n’est pas toujours facile. « La difficulté d’être indépendant, c’est de vivre tout seul. » Le livre s’agrémente de lettres et de témoignages de ses proches : tous ont vu en Thomas l’homme au-delà du handicap. Il y a aussi des photos qui présentent moments marquants et personnes chères.
Ce témoignage lumineux est à prendre pour ce qu’il est : la parole simple, honnête et sensible d’un jeune homme reconnaissant et heureux. « Moi, je dis aux parents, occupez-vous de vos enfants, faites-leur confiance. » Il évoque sa gratitude envers les autres pour ce qu’il a reçu, mais sa gratitude également envers Dieu et lui-même pour ce qu’il peut donner. Et donner, il le fait sans réserve, mais sans se faire avoir. Finalement, Thomas Mandil est une personne comme une autre, tout à fait exceptionnelle. Son livre est autoédité et les bénéfices sont versés à une association de lutte contre la mucoviscidose. La générosité, toujours.
Marcus, anciennement William, vit retiré dans le silence des Chartreux depuis 25 ans. Ce silence est l’horizon qu’il tente d’atteindre pour rejoindre Dieu. Afin d’entrer en possession d’un héritage inattendu, il doit se rendre à Paris et laisser la quiétude de sa retraite monacale. « Quitter les mots pour aller vers la Parole. Toutes ces années à respirer leur absence. Le vide dans ma gorge. » (p. 30) Comment revenir au monde après tant d’années loin de lui, à prier pour lui, mais sans le sentir ? Le choc est puissant : sorti de son monastère, Marcus se sait vulnérable. « Après toutes ces années, je pensais que ma peau était devenue pierre, elle est fragile comme autrefois. J’avance nu, écorché par le vacarme de ce monde que je ne connais plus. » (p. 24) Dans le train vers Paris, il rencontre Méry, jeune femme condamnée par la maladie qui abandonne la lutte pour profiter du temps qui lui reste. Entre Marcus et Méry, ce qui s’amorce est tendre et profond, mais sans avenir. « Tu es du vacarme dans mon silence, un délicieux vacarme, mais je fais le vide depuis si longtemps que je dois continuer. » (p. 76)
Que cet album est beau ! Au sens premier, déjà : j’aime énormément le dessin fin et détaillé de Zep et l’usage qu’il fait des camaïeux, si maîtrisés que le blanc y explose. Les pleines pages invitent à la contemplation : l’espace d’un instant, on se voudrait chartreux pour expérimenter la beauté infinie du monde. « Je n’avais pas vu de femme depuis des années. C’est joli. » (p. 25) Au sens second, cet album est beau par la douceur et la sensibilité de son propos qui est teinté d’un humour un peu triste qui arrache larmes de rire et larmes d’émotion. Je suis croyante et j’admire le choix de William/Marcus de se retirer du monde pour trouver Dieu dans le silence et la méditation. Je comprends sa démarche et ses réflexions. « Si je ne doutais pas, je n’aurais pas besoin de croire. Je ne serais pas un croyant, mais plutôt un assuré. » (p. 33) Un bruit étrange et beau parle de générosité, celle que l’on peut accepter et celle qui dépasse le don. Il parle aussi d’une rencontre humaine et spirituelle. En vertu de ma foi, je crois qu’on rencontre Dieu en chacun, mais je sais aussi qu’il faut accepter l’autre sans lui imposer la puissance d’une croyance qu’il ne partage pas forcément. C’est peut-être là la vraie générosité : offrir en acceptant que l’on peut être refusé. La fin de l’album est sublime, très émouvante. Après avoir lu toutes les aventures de Titeuf quand j’étais ado, je me suis déjà régalée avec Une histoire d’hommes et Découpé en tranches. Ce nouvel album confirme qu’il ne faut pas perdre Zep de vue !
Le narrateur a 41 ans. Il dirige une petite maison d’édition. Il est marié, a deux garçons et sa femme, Camille, est enceinte de jumeaux. Beaucoup de bonheur à venir, en somme. Mais voilà, l’accouchement se déclenche trop tôt : un des bébés meurt et le second est placé en couveuse, avec un avenir incertain. « J’imagine notre enfant, cet enfant. À quoi ressemble-t-il ? Dans quel enfer est-il ? Surtout ne rien incarner, chasser toute certitude de vie. » (p. 26) Comment accepter cet accouchement prématuré, comment surmonter la mort d’un être à peine né et comment calmer l’immense chagrin du père ? « La douleur nous rend anarchiste, le chagrin fou. Je n’en veux à personne. Je me sens seul responsable de cet effroi. » (p. 62) Relié à des fils et à des moniteurs, le petit Gaston lutte pour survivre, chaque heure étant une victoire. Sait-il, au fond de lui, qu’il doit se battre seul après avoir partagé une chaude matrice avec un autre lui-même ? « Il manquera toujours un enfant sur la banquette arrière. » (p. 98) Le mari observe son épouse, elle qui a failli mourir pendant l’accouchement, et comment elle compose avec le chagrin et le deuil. « Ce qui passe par Camille est endurci dans le fond et adouci dans la forme. Camille a été foudroyée par une vague qui est passée sur elle. Elle s’est relevée. Il reste des traces de la vague. » (p. 137) Un couple peut-il survivre à la perte d’un enfant ? Peut-il ne pas céder aux accusations douloureuses ? « Est-ce supportable pour une mère ? Donner la vie et la mort dans le même temps ? » (p. 153)
Face à ce drame, la figure de Gustave Flaubert s’impose, lui dont la statue trône à l’entrée du CHU de Rouen. Flaubert a refusé toute sa vie d’être père pour ne se consacrer qu’à son travail d’écrivain. Ce n’est pourtant pas ce qu’a fait le narrateur, heureux père de famille. Entre les pensées consacrées à son fils en couveuse, à ses fils plus grands qui ne comprennent pas vraiment la situation et à sa femme, le narrateur déploie des réflexions sur les œuvres et la vie de Gustave Flaubert et établit des parallèles avec ses propres expériences d’auteur et d’éditeur. « La mort de l’enfant est devenue un genre littéraire. Il est impossible pour un écrivain qui subit cette catastrophe de ne pas en faire un linceul de papier. Combien de parents ont perdu leur enfant sans encombrer les librairies ? » (p. 187) Hélas, il m’a semblé que les passages traitant de Flaubert et de son œuvre brisaient le rythme et noyaient l’émotion. Il faut dire que l’auteur est un monstre qui s’impose. Et peut-être était-ce voulu de briser ainsi l’arc sensible pour soulager le chagrin et tenter d’échapper à la douleur. Mais de mon point de vue de lectrice, la narration du deuil y perd en puissance. « Mais quelle idée d’accoler Gustave à Gaston ? Faut-il être empoisonné par la littérature ? Laissons cet enfant dans la vie. Ne lui colons pas de fantômes littéraires. Qu’il reste libre ! Pourquoi lui donner un jumeau de substitution ? » (p. 201)
Ce roman m’a énormément touchée et ce n’est pas vraiment surprenant pour qui me connaît. À mes yeux, la gémellité est un miracle, un trésor. Quel bonheur d’être deux ! Dans ma fratrie, je me définis en tant que grande sœur de mes cadettes (elles aussi jumelles et dont nous fêtons aujourd’hui l’anniversaire !), mais avant tout comme jumelle. Je ne suis pas l’aînée en tant que fille aînée ayant un jumeau étant lui-même fils aîné. Je suis jumelle, la « grande », à la rigueur. Les histoires de jumeaux me bouleversent parce qu’elles remuent en moi des terreurs plus ou moins secrètes.
Je termine sur deux extraits très beaux et très durs.
« Souvent, je me répète que c’est le double en moi qui a trouvé la mort. L’autre, le compagnon secret, qui peut sortir la nuit et tout saccager. » (p. 140)
« Il est notre joie grave, cette ascèse auprès de laquelle nous allons nous recueillir, un combat qui nous élève. » (p. 148)
Dans la maison de la famille Ghosh, trois générations cohabitent. Les reproches, la jalousie et le mépris font partie du quotidien alors que l’entreprise familiale périclite après des années de réussite. « On assistait en silence à la destruction progressive de la Charu Paper, destruction dont son grand-père, son père et ses oncles se rejetaient la responsabilité. Lui, il n’avait connu que cette dégringolade, cette glissade inexorable, année après année, leurs vies devenant de plus en plus étriquées, l’amertume s’accroissant dans la famille : plus ils étaient forcés d’économiser, plus ils se méfiaient les uns des autres. » (p. 270) Dans les trois étages de la maison, une hiérarchie hiératique et implicite, jamais remise en cause, régente les comportements et les relations entre chacun. Les liens entre les frères et sœurs sont complexes, entre amour intense et haine tardive. « Ça ne te gêne pas, toi, les inégalités au sein de notre famille ? Et cette hiérarchie entre ceux d’en haut et ceux d’en bas ? Tu penses que c’est juste ? Et que la famille est le premier noyau d’exploitation des masses, ça ne t’a jamais traversé l’esprit ? » (p. 93) Dans la maison Ghosh, chacun entretient ses vices et ses défauts, ses rancœurs et ses regrets.
Prafallunath et Charubala sont les grands-parents : le premier a développé une entreprise jadis florissante dans la production de papier. Hélas, depuis quelques années, l’empire familial se délite après une modernisation ratée.
Adinath est le premier fils du couple : il se laisse aller à la bouteille pour ne plus voir le naufrage de l’entreprise familiale. De Sandhya, première belle-fille de la famille Ghosh, il a eu Supratik qui se tourne vers le communisme – mais du militantisme au terrorisme, il n’y a qu’un pas – et Suranjan qui sombre dans la drogue.
Priyonath, le second fils, a épousé Purnima qui veille aux intérêts de leur fille, Baishakhi, qui s’intéresse de trop près au jeune voisin.
Chhaya est le troisième enfant du couple, et la seule fille. Célibataire et impossible à marier, elle vieillit aigrement parmi les siens.
Bholanath, le troisième fils, s’est vu confier une partie de l’entreprise familiale et n’a su que la mener à sa perte. Marié à la discrète Jayanti, il est le père d’Arunima, une gamine curieuse, mais pas très studieuse.
Somnath est le dernier fils de la famille Ghosh. Enfant adoré et pourri gâté, il a mal tourné et il est le premier à mourir. De son sinistre mariage avec la pauvre Purba, reléguée au rez-de-chaussée depuis son veuvage, sont nés Sona, génie en mathématiques, et Kalyani, dernière descendante de la famille Ghosh.
Madan est le fidèle serviteur de la famille Ghosh : depuis près de trente ans, il veille sur les enfants, sur la cuisine et les autres domestiques. Son fils, Dulal, est un des nombreux éléments déclencheurs de la ruine des Ghosh.
L’histoire de la famille Ghosh est sans cesse prise dans celle de l’Inde avec les luttes meurtrières entre les hindous et les musulmans, la création du Pakistan ou la décolonisation. Le pays est en mouvement, il évolue, quitte les carcans du passé et se tourne vers une modernité un peu effrayante, pleine de prises de conscience douloureuses. Dans les campagnes, les paysans ruinés, endettés sur plusieurs générations et asséchés par la faim et le désespoir, sont réduits à des extrémités douloureuses et sanglantes, tandis que les jotedaars, riches propriétaires, vendent leur riz à prix d’or dans les villes. Les chants de Rabindranath Tagore s’opposent au petit livre de Mao et il semble bien impossible de lever une révolution prolétaire dans les rizières. « Ces braises de colère, sur lesquelles on avait pensé qu’il suffirait de souffler pour les raviver, avaient été réduites en cendres de désespoir. Ils étaient déjà morts dans cette vie. Ils n’avaient plus d’espoir, plus d’avenir ; tout ce qu’ils pouvaient faire, c’était déjouer les malheurs du présent, qui ne pourrait que culminer en une mort prochaine. En d’autres termes, nous, on devait raviver un feu de cendres. Tu as déjà essayé ? » (p. 192)
Le récit s’ouvre en 1967 et progresse régulièrement jusqu’en 1970, jusqu’au bond final en 2012. Cela n’empêche pas de nombreux retours en arrière, notamment dans le passé du jeune Prafallunath. Le texte est entrecoupé de la très longue lettre que Supratik adresse à un destinataire dont l’identité se dévoile lentement. « Je te porte en moi, tu es une présence constante, je ne vais pas te demander de tes nouvelles – j’ai tout le temps l’impression de te parler intérieurement. » (p. 265) De Calcutta aux campagnes profondes de l’Inde, ce roman fait le portrait d’une famille, et plus largement d’une classe sociale, qui doit renoncer à ses privilèges et à ses illusions pour se confronter enfin à la vraie vie, la vie des autres. Les quarante dernières pages sont terriblement violentes : les scènes de torture tranchent fortement avec l’ambiance plus ou moins protégée de la maison Ghosh.
Dense et parfois tortueux, La vie des autres est un roman fort et magnifique. J’ai laissé de côté les subtilités d’appellation des uns et des autres (Surnoms et suffixes de respect abondent…) pour me concentrer sur la puissance des mots et de l’intrigue, jusqu’aux dénouements entre injustice et apothéose. Tentez l’expérience de ce roman choral. Mettez vos pas dans ceux des autres.
Vous le savez, je suis dingo-frappée de mon chat d’amour le plus beau du monde, Bowie. Ce n’est pas un scoop et ça s’explique très probablement par la biologie. Je suis sûrement infectée par le toxoplasma gondii.
L’ami Wikipedia va expliquer ça mieux que moi (Lisez l’article en entier pour tout comprendre, j’ai fait quelques coupes).
« Le toxoplasma gondii est un protozoaire intracellulaire : il est l’agent de la toxoplasmose. Il est un parasite intracellulaire obligatoire : il doit vivre à l’intérieur d’une cellule pour survivre. Une fois le parasite installé dans la cellule-hôte, celle-ci lui assure de larges ressources en nutriments ainsi qu’une protection contre le système immunitaire de l’hôte. Le toxoplasma gondii ne peut se multiplier de manière sexuée que chez les félidés, qui constituent ainsi ses hôtes définitifs, bien qu’il puisse infecter tous les animaux homéothermes, dénommés hôtes intermédiaires.
Une infection par le toxoplasma gondii peut modifier le comportement des hôtes intermédiaires. En effet, en 2011, il a été démontré que des rats infectés montraient des signes d’excitation sexuelle après avoir reniflé de l’urine de chat au lieu des signes de peur détectés chez les individus sains. Ainsi, les rats infectés ont tendance à rechercher la présence de chats au lieu de la fuir (ces derniers étant des prédateurs), ce qui favorise la transmission du parasite à l’hôte définitif. De même, une étude publiée en février 2016 montre que cette manipulation parasitaire affecte également les chimpanzés, qui acquièrent suite à l’infection une attirance à l’égard de l’urine du léopard, prédateur naturel et hôte définitif du toxoplasma gondii. Cette étude amène à repenser les différences de comportement observées chez les humains porteurs du parasite. »
Ainsi, la présence du toxoplasma gondii chez l’homme pourrait expliquer pourquoi ce dernier aime autant les chats. Bruce Benamran, de la chaîne YouTube e-penser, en parle très bien dans sa vidéo. (N’hésitez pas à regarder TOUTES ses vidéos : c’est de la vulgarisation scientifique passionnante. Il faut un peu s’accrocher, mais ça vaut le détour !)
Conclusion, je suis quasiment certaine d’être infectée par le toxoplasma gondii puisque je gatouille dès que je vois un matou. (Bon, ça marche aussi pour les toutous, les lapins et tous les trucs mignons genre pandas roux, loutres, koalas et oursons…)
M’en fous d’être parasitée : Bowie est mon bébé chat beauté que j’adore pour toujours !
Récit historique de Jean-François Bouchard. À paraître le 4 novembre.
En 1961, Louis Rwagasore, premier ministre du Burundi depuis 14 jours, est assassiné. En 1993, Melchior Ndadaye, président du Burundi depuis moins de trois mois, est assassiné. Ces deux hommes croyaient à la réconciliation entre Hutus et Tutsis et à une existence en bonne intelligence des deux ethnies que la colonisation allemande et belge s’était faite fort de séparer et d’opposer. « À l’image des Aryens en Europe, auto-proclamés race supérieure, car issus d’un peuple germanique du Nord qui se distinguait par sa haute stature, sans doute est-ce du fait de leur morphotype élancé que les Belges eurent la curieuse idée de favoriser les Tutsis au détriment des Hutus, créant en pratique un régime d’apartheid entre les deux ethnies. Au demeurant, il était incontestablement aventureux de parler d’ethnies distinctes dans les années 1930, tant ces gens qu’on voulait distinguer en les nommant tutsis et Hutus avaient toujours vécu en symbiose plus ou moins étroite, et en se mélangeant constamment. Outre une absurdité sociale, cette partition était aussi une hérésie scientifique. » (p. 23 & 24) En 2005, Pierre Nkurunziza est élu président du Burundi. Après deux mandats de cinq ans, il refuse de lâcher le pouvoir et s’accroche à ce qui devient un trône de dictateur. Il ne porte pas les espoirs de paix et cohabitation de ses prédécesseurs. Aujourd’hui encore, Burundi et Rwanda saignent chaque jour et l’opposition entre Hutus et Tutsis est toujours aussi marquée. « L’entêtement égoïste d’un dirigeant prêt à sacrifier son pays pour son intérêt personnel a ruiné l’espoir d’un peuple de vivre dignement. » (p. 240)
J’ai découvert en détail une histoire qui était bien lointaine pour moi. Je connaissais vaguement les génocides Hutus et Tutsis et l’impossibilité d’attribuer la faute à une ethnie plutôt qu’à une autre. Dans une guerre comme celle-ci, il y a surtout des victimes. Avec son texte, Jean-François Bouchard apporte un éclairage sur une histoire méconnue par la plupart des Européens. « Lorsque l’élection présidentielle du premier juin 1993 se tient, depuis un siècle le Burundi est esclave de dirigeants qu’il n’a pas désirés. Colonisateurs allemands et belges, dictateurs psychopathes, militaires qui s’arrogent un pouvoir qui n’est pas légitime : cette clique sans remords ni scrupules a exploité le merveilleux pays des bords du lac Tanganyika en s’appuyant sur la division ethnique, les complots et les meurtres de masse. » (p. 123)
Le grand reproche que j’ai à faire à ce texte est le manque de neutralité de son auteur. S’il est certes impossible de rester froid et insensible devant les malheurs du Burundi et du Rwanda, un historien ou un sociologue se doit d’être impartial. Ici, Jean-François Bouchard se fait fort d’exalter les héros et de fustiger les criminels, parfois jusqu’au réquisitoire pour les seconds. « C’est pourquoi sans crainte ni remords d’ajouter du crime au crime, le président Nkurunziza et ses séides s’efforcent de faire ressortir le clivage entre Hutus et Tutsis afin de justifier leur obstination à se maintenir à la tête du Burundi. » (p. 253) Le regard porté sur la région des Grands Lacs et sa lugubre histoire est malheureusement biaisé par un point de vue personnel trop exprimé. Quand je lis un texte de cette nature, je veux des faits objectifs afin de me forger ma propre opinion. Mon sentiment s’est accentué dans les derniers chapitres où l’auteur fait montre d’une grandiloquence qui n’a pas sa place dans une telle œuvre.
Sur cette terrible histoire entre Hutus et Tutsis, je vous recommande le très beau Notre-Dame du Nil de Scholastique Mukasonga.
Numéro 8 de la revue Billebaude, publiée par la Fondation François Sommer.
« Est-il une farce, avec ses déboulés soudains, ou un fléau, au vu de ses talents de rongeur ? Est-il une proie ou un jouet ? Est-il fait pour les garennes des bois ou pour le clapier de la fermière ? Tout cela à la fois. Il a même fallu que les filles de Playboy, en se parant de ses oreilles et de son surnom, lui donnent une dimension de symbole érotique… Quel autre animal de la Création peut se flatter d’avoir à son palmarès une telle gamme d’attributs ? Aucun. » (p. 1)
Museaux de lapins, par Sinje Dillenkofer
Le lapin. Qui ne sait pas mon affection pour ce petit animal ? Lui qui échappe aux modes de gestion de l’homme, soit qu’il prolifère de façon incontrôlable, soit qu’il s’avère impossible à réinsérer dans un milieu déserté, il pose de nombreuses questions. Quoi ? Une si petite bête, sans défense face aux prédateurs animaux et humains, la voilà capable de s’imposer en trop ou en creux . « Il n’est pas nécessaire d’étudier un animal prestigieux pour arriver à des conclusions intéressantes. Passons plutôt par un chemin souterrain, labyrinthique, celui qui est emprunté par le lapin. » (p. 8) Par sa présence ou son absence, il bouleverse les écosystèmes. Des garennes sauvages, puis artificielles, au clapier et aux batteries d’élevage, le lapin a longtemps été le gibier facile, la viande commune des foyers français. Mais ce plat populaire l’est de moins en moins et le lapin sort du répertoire alimentaire, comme le cheval en son temps, pour devenir un animal de compagnie. Mangeriez-vous du chien ou du chat ? Alors, pourquoi manger du lapin ? « L’homme se confronte à sa propre dualité : à la fois protecteur et chasseur, attendri et affamé. On admire le lapin parce qu’il s’enfuit, mais il nous énerve parce qu’il nous échappe. » (p. 57)
En région parisienne, il est partout, dans les trames grises et les emprises routières, ferroviaires et aéroportuaires. « À partir des Monts Gardés, la piste du lapin francilien se déploie et croise le chemin de chasseurs, d’agriculteurs, de gestionnaires, de promeneurs et de scientifiques. » (p. 36) Et que dire de l’Australie où il a été implanté par quelques Britanniques en mal de chasse ? Voilà notre petit lagomorphe comme chez lui, croissant et se multipliant, comme s’il répondait à une injonction divine. Hélas, mauvais calcul des hommes : impossible de maîtriser la prolifération de Jeannot Lapin ! Mais l’humain, persuadé d’être toujours le plus malin, reproduit des expériences à base de virus, notamment la myxomatose. Là encore, très mauvais calcul. « Personne ne maîtrise les armes biologiques, c’est du vivant qui s’étend, qui peut évoluer, devenir plus virulent, passer à une autre espèce, revenir sur l’attaquant. » (p. 44)
Pauvre petit lapin : chassé, massacré, dépecé, tu n’as pas la belle vie. Sauf quand tu deviens jouet ou peluche. Là, tu es adoré, câliné et autrement malmené, tripoté à l’excès par des petites mains voraces de tendresse. « Le statut de l’animal est devenu ambivalent : doudou, gibier, animal de batterie, on ne sait plus très bien à quelle sauce le manger. » (p. 46) Et dans l’imaginaire de Margery Williams et de Komako Sakaï,Le lapin en peluche revient à la vie : retour au vivant et à la nature. La boucle est bouclée.
Moi qui déteste les centres commerciaux, j’irais bien faire un tour autour de celui-là…
Nourrie d’une bibliographie, d’une iconographie et d’une filmographie importantes, cette revue est passionnante, bien qu’il y ait des photos insoutenables de dépeçage ou de massacre. Mon petit cœur de lapinophile a eu du mal à les regarder. J’ai cependant passé un excellent moment avec le numéro 8 (mon chiffre fétiche) d’une revue intelligente dont je vais consulter les archives et attendre les prochaines publications avec intérêt.
Izumi vit seule avec son fils Sosûke depuis son mari est parti. Quand elle rencontre Chiyoko, une lycéenne en détresse, et l’empêche de se suicider, elle donne un nouvel élan à leurs deux existences. « J’avais cru la sauver, mais réflexion faite, c’était moi qu’elle avait sauvée. » (p. 21) Les deux femmes font l’amour sur le gazon artificiel d’une terrasse en ville et savent qu’elles ne pourront plus vivre l’une sans l’autre. Izumi a 35 ans, Chiyoko en a 19, mais rien ne peut les séparer. « Une famille, ce n’était pas une question de sexe ou d’âge. » (p. 37) Elles partent avec Sosûke vers les montagnes, dans un petit village perché, pour fonder la famille Takashima qui aborde fièrement un pavillon multicolore sur son toit. « Ce drapeau arc-en-ciel, c’était la voix muette de notre famille. » (p. 50) Par miracle, Chiyoko accouche de l’adorable Takara, bébé qui achève de composer une famille unie par l’amour, la patience et la tolérance. « La famille Takashima a décidé de continuer à vivre sereinement, tournée vers l’avenir. Sans rien revendiquer, comme une petite plante qui prendrait discrètement racine dans le sol. Puisque nous ne faisions rien de répréhensible, nous pouvions suivre la voie qui était la nôtre. » (p. 91 & 92) Les années passent et la famille ouvre une maison d’hôtes où l’écoute et la compréhension vont toujours de pair avec un bon repas qui remplit le corps et les cœurs.
Comme Le restaurant de l’amour retrouvé, ce roman propose une morale simple, mais certainement pas simpliste. Le récit est doux et tendre, apaisant et réconfortant. En dépit de l’hiver, de la neige et des difficultés à s’afficher ouvertement, les deux femmes vivent avec bonheur une existence choisie et assumée. Et elles comprennent qu’elles doivent se faire accepter avec patience. Avec un dernier tiers moins « Bisounours » que le début, plus sombre, mais plus vrai et encore plus bouleversant, le roman s’achève sur une image d’une grande beauté, pleine de lumière. Derrière les grandes espérances, la réalité rattrape et meurtrit le bonheur : en le déformant un peu, elle le rend d’autant plus précieux. « La main que j’avais retirée de celle de la jeune fille était toute moite. Exactement comme si je tenais serrées dans mon poing les larmes qui coulaient sur ses joues. » (p. 5) La narration passe d’un personnage à un autre, chacun comblant les oublis ou les silences des précédents jusqu’à composer un récit arc-en-ciel et chatoyant.