Belles de Shanghai

Roman d’Amy Tan.

En 1905, Violet grandit dans la maison de courtisanes que tient sa mère, la belle Américaine Lulu Mimi, à Shanghai. Alors qu’elles s’apprêtent à rentrer à San Francisco, elles sont trahies par Fairweather, l’amant de Lulu Mimi : Violet est vendue à une maison de courtisanes et sa mère est convaincue de sa mort. Démunie et sans défense, la jeune fille doit désormais accepter son destin et embrasser sa condition de bâtarde. Car Violet n’est pas qu’américaine, elle est aussi chinoise par son père, un homme qu’elle ne connaît pas et qu’elle déteste aveuglément. « Quoi que je fisse, j’avais peur du père étranger présent dans mon sang. Son caractère se manifesterait-il en moi, me rendant encore plus chinoise ? Et si cela arrivait, à quel monde appartiendrais-je ? Que me serait-il permis de faire ? Qui aimerait une fille à moitié haïe ? » (p. 60) Soutenue par Citrouille Magique, une ancienne fille de la maison de sa mère, Violet apprend l’art des courtisanes, entre séduction et négociation. « L’important, c’est un mélange de stratégie, de ruse, d’honnêteté, de patience et la volonté de profiter de la moindre opportunité. Une fille doit surtout être prête à faire à tout moment ce qui est nécessaire. » (p. 183) Rapidement, Violet devient une des courtisanes à la mode et nombreux sont les hommes qui passent dans son existence. Pour certains d’entre eux, comme Loyauté, Edward ou Perpétuel, elle bouleverse son existence. Elle perd des êtres chers à cause de la grippe espagnole, sa fille lui est enlevée et sa vie rencontre sans cesse des obstacles plus insurmontables les uns que les autres. Mais Violet est opiniâtre : elle veut garder son destin en main, quels que soient les sacrifices.

La première moitié de ce roman est tout à fait plaisante : c’est une romance qui tient ses promesses, avec des sentiments contrariés, des héros superbes et des péripéties bien rythmées. Hélas, trop de drame étouffe le drame : ce roman est long, beaucoup trop long, et il devient difficile de maintenir la crédibilité de l’héroïne ou d’accepter ce qui lui arrive sans hausser les sourcils et soupirer bruyamment. Violet semble régulièrement faire les mauvais choix, mais ce n’est pas le plus agaçant : sa propension à se plaindre et à reporter la responsabilité des choses sur les autres est rapidement insupportable. « Jeune Américaine kidnappée, j’étais prisonnière d’une livre d’aventures dont on avait arraché les derniers chapitres. » (p. 136) De plus, si je peux concevoir la jalousie chez une femme amoureuse, celle de Violet confine à l’hystérie alors même que son premier amant ne lui a jamais rien promis. L’héroïne n’entend que ce qu’elle veut et se plaint ensuite d’être peu ou mal aimée, que ce soit par ses amants ou sa famille. « Accepte l’amour quand on te l’offre, Violet. Retourne cet amour et non des soupçons. Alors, tu en recevras encore davantage. » (p. 226)

Ce roman m’a rappelé ceux de Lisa See : il y est question de femmes aux destins plus ou moins tragiques sur fond de romance contrariée et de Chine qui change de visage. Ici, à Shanghai, tout bouge après l’abdication de l’empereur : les Chinois essayent de garder la main sur leur nation alors que les Japonais et autres étrangers s’installent de plus en plus dans les affaires du pays. Belles de Shanghai est un roman plaisant qu’il faut prendre pour ce qu’il est, à savoir un divertissement sans grande profondeur dont je ne garderai probablement pas beaucoup de souvenirs.

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Billevesée #225

Le parlement, c’est le lieu où l’on parle.

Pas le lieu où l’on crie.

Pas le lieu où l’on se moque.

Pas le lieu où l’on ronfle.

Pas le lieu où l’on joue sur sa tablette ou son smartphone.

Pas le lieu où l’on ne va pas.

On devrait faire un cours de rattrapage étymologique à nos députés…

Alors, billevesée ?

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Moro-sphinx

Roman de Julie Estève. À paraître le 20 avril chez les éditions Stock.

Lola fréquente beaucoup les hommes. Beaucoup d’hommes. Dès qu’elle a fait l’amour avec eux, elle leur coupe un ongle et elle l’ajoute à sa collection, dans un bocal de verre. « Combien d’hommes, de morceaux d’hommes, de petites ordures y a-t-il là-dedans ? Combien en faudra-t-il encore ? » (p. 23) Ces hommes, Lola ne les aime pas. Et elle ne s’aime pas vraiment non plus. Elle essaie d’oublier celui qui est parti et dont le souvenir blesse toujours autant, des années après. Alors, souvent, Lola se pare, Lola se maquille. Plus elle est aguicheuse, séductrice et provocante, mieux c’est. « C’est important l’effet et le bruit que ça fait, un talon sur le trottoir. » (p. 31) Et tant pis si elle a l’air d’une voiture volée. Lola joue à la pute parce qu’elle estime qu’elle n’est bonne qu’à ça.

Des cicatrices mal refermées, Lola en porte quelques-unes. L’amant disparu, la mère morte trop jeune, le père alcoolique. « Ton silence est sa lente noyade. » (p. 41) C’est ça, Lola se noie dans l’alcool, les cigarettes et les hommes. Et un jour, elle rencontre Dove. Il est beau et il a quelque chose qui fait penser à l’espoir. Et Dove craque pour cette fille sublime et paumée. « Il aurait dû se dire que la fille était fêlée, qu’elle a l’âme en désordre. » (p. 57) Entre Lola et Dove, est-ce l’amour ? En tout cas, ça fixe le temps, et les jours qui défilent sont plus précis. Plus monotones aussi. « Elle a le trac car bientôt il l’aimera dans la normalité ou pire, par habitude. Et c’est insupportable. » (p. 8) Est-elle faite pour cette vie-là, Lola ?

Avec ce premier roman, Julie Estève fait montre d’un talent indéniable pour écrire la solitude et la misère affective. « C’est pas humain d’avoir personne. Personne. » (p. 85) Lola est un personnage fascinant, mais je retiens surtout Nicolas Frifrelin et Matthieu, le cordonnier : ces hommes sont le pendant de Lola. Eux aussi attendent et désespèrent. Il est question de l’amour et de son avenir une fois la rencontre dépassée, quand les premiers élans sont devenus des schémas. « Qu’est-ce qu’il devient le couple, quand il se couche dans le lit où autrefois c’était l’envie et où, là, il y a l’autre si près, si loin ? L’autre et sa peau qui n’a plus de mystère ? » (p. 161) Ce n’est pas très optimiste : à croire que le couple, c’est un peu la gueule de bois du désir.

Deux mystères restent à la fin de cette lecture. Le narrateur s’adresse à l’homme qui manque à Lola à la deuxième personne. C’est donc qu’il le connaît, alors qu’il parle de Lola à la troisième personne, ce qui la met à distance du lecteur tout en rapprochant l’inconnu dont on ne sait rien. Qui est ce foutu bonhomme qui a déglingué Lola ? Pourquoi en faire une silhouette si impalpable alors qu’elle bourre Lola de coups au quotidien ? Autre mystère, la fin. Ou plutôt le début. Ou peut-être les deux… Lola, qu’as-tu fait ? Mais ces mystères ne sont pas des points négatifs. Ils sont la marque d’un premier roman dont l’auteure prouve qu’elle ne fait que commencer à explorer son talent.

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Les vies multiples de Jeremiah Reynolds

Texte de Christian Garcin.

Jeremiah Reynolds pourrait être un personnage de fiction. Pourtant, il a bien existé au 19e siècle. De son existence, on aurait pu tirer plusieurs récits d’aventures. Pourquoi se contenter d’une vie quand on peut en avoir plusieurs ? Jeremiah Reynolds aurait sûrement fait sienne cette interrogation « Il fondera un journal, prendra la parole devant le Congrès des États-Unis, sera probablement le premier homme à poser le pied sur le continent antarctique, deviendra colonel au Chili, accomplira un demi-tour du monde, exercera le métier d’avocat à New York, sera tenu en haute estime par Edgar Allan Poe dont un roman s’inspirera d’un épisode de sa vie, et écrira un libre qui influencera peut-être Melville. » (p. 20 & 21) Sur la base de la théorie de la Terre creuse de John Cleves Sylles Jr, Jeremiah Reynolds monte une expédition vers l’Antarctique. Celle-ci échoue, mais Jeremiah est désormais pris par le virus de la découverte et du voyage. « Il ne pensait qu’à une seule chose : participer avec Lewis à une chasse à la baleine, et de préférence à ce cachalot blanc dont il lui avait parlé, qui portait le nom d’une île : Mocha Dick. » (p. 52) Quand son corps se fait moins accommodant, Jeremiah devient avocat et défend les pauvres et même les Indiens. Il écrit le récit de ses périples, rappelant que la littérature se nourrit, même inconsciemment, des exploits des hommes.

Dans des interludes, l’auteur s’adresse un peu plus directement au lecteur et lui apporte des éclairages supplémentaires sur la vie de Reynolds ou de Sylles. Ces interludes sont aussi des échappées, comme des voyages dans le voyage. C’est ainsi que j’ai appris que Mocha Dick, immense cachalot blanc, a bien existé, qu’il a été capturé vingt ans après le texte écrit par Jeremiah Reynolds et qu’il était bien plus grand que ce que l’on pensait. Ce récit a-t-il inspiré celui d’Herman Melville ? Le mystère reste entier et la légende du cachalot blanc n’en prend que plus d’ampleur. L’existence de Jeremiah Reynolds aurait pu être imaginée par Jules Verne, à la façon du Sphinx des glaces ou de Voyage au centre de la Terre. Mais il n’était pas besoin d’inventer les extraordinaires aventures de cet Américain qui voulait croire qu’il y a plus sous la surface de la Terre ou de la mer. Christian Garcin raconte cette existence incroyable avec une faconde réjouissante. En route, les amis ! Allez à la rencontre de ce roman et de ce bonhomme !

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Le diable amoureux

Nouvelle de Jacques Cazotte.

Alvare, jeune Espagnol au service du roi de Naples, souhaite être initié à la cabale et maîtriser les esprits. « S’ils ont du pouvoir sur nous, c’est notre faiblesse, notre pusillanimité qui le leur donne : dans le fond, nous sommes nés pour les commander. » (p. 14) Dans une grotte perdue d’Italie, il convoque Béelzébuth et se fait offrir la plus délicieuse des soirées, partagée avec des amis qui assistent à l’expérience. « Vous nous donnez un beau régal, ami, il vous coûtera cher. / Ami, […] je suis très heureux s’il vous a fait plaisir ; je vous le donne pour ce qu’il me coûte. »(p. 20) Hélas, Alvare est bien loin d’avoir pris la mesure de son engagement auprès de l’esprit démoniaque qui est désormais à son service. Sous les traits d’une femme, l’esprit se fait séducteur et amoureux. Biondetta se déclare éprise de son maître et prête à tout pour le satisfaire. Peu à peu, Alvare s’éprend de cet esprit qui s’est fait corps et qui lui promet les plus beaux serments. « Quand j’eus pris un corps, Alvare, je m’aperçus que j’avais un cœur. » (p. 41) Mais ce cœur est bien avide et la jolie Biondetta demande un amour absolu et exclusif. Comment échapper au diable et à ses douces paroles ? Parce que même sous des dehors charmants, le démon ne faiblit jamais. « Votre espèce échappe à la vérité : ce n’est qu’en vous aveuglant qu’on peut vous rendre heureux. Ah ! tu le seras beaucoup si tu veux l’être ! Je prétends te combler. Tu conviens déjà que je ne suis pas aussi dégoûtant que l’on me fait noir. » (p. 61)

Il y a quelque chose de gothique et de tout à fait fascinant dans ce très court texte. La valse des apparences est largement exposée et la farandole des sentiments humains est tour à tour moquée et piétinée. Ah, vertu, qu’il en faut peu pour te souiller ! C’est toujours un plaisir rare de plonger dans un texte du 18° siècle, avec sa langue riche et désuète.

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Le silence

Roman de Jean-Claude Pirotte.

Lecteur curieux, le jeune narrateur fait les vendanges en Bourgogne avec ses amis. Il lit beaucoup et il vit dans l’attente d’un lendemain inconnu. « De ce que nous ferons de notre vie, nous ne voulons rien savoir. Notre indifférence au réel n’a d’égale que notre attention passionnée aux images entrevues dans une lumière soudaine, qui est peut-être celle que diffusent les éclats troubles du vin bourru. » (p. 15 & 16) La jeunesse de ces garçons est éblouissante, leurs envies et leurs espoirs sont étourdissants. Comment croire que le futur ne sera pas radieux ? Mais ils sont peut-être trop impatients, trop avides de vivre, ces jeunes gens… « Cette soif brutale, à quelle source de vie pourrons-nous jamais l’étancher ? À quelle source de mort ? Et comment obtenir de l’aujourd’hui qu’il nous abreuve sans mesure de ce liquide inconnu dont nous rêvons de préserver la saveur incorruptible, au moment précis où nous entreprenons de la corrompre d’un mot, d’un geste ou d’un signe. » (p. 21) Les jours, les mois passent. Les espoirs s’effacent. Les fantasmes s’étiolent. En Algérie, il y a la guerre. Ici, il y a la vigne qu’il faut soigner toujours et avec constance pour qu’elle reste généreuse. Celui qui reste a charge de mémoire et charge de patience. Comprendre demande du temps. « J’aime le vin parce qu’il m’est étrange, parce qu’il m’est familier, parce qu’il est incompréhensible et fabuleux. J’aime le vin parce que je ne peux m’empêcher d’aimer les hommes. » (p. 23)

Comment ne pas sortir de cette lecture soulée de paysages et de vapeurs poétiques ? À force d’idées fugaces, presque insaisissables, le narrateur parle du souvenir et du silence, de ce que l’on garde au fond du cœur et que l’on ne sait pas dire, ou alors maladroitement. L’ivresse est-elle salutaire ? Pas ici. Dans ce texte, le vin n’est pas un abrutissement, c’est un art, une heureuse métamorphose. « Je n’ai pas trouvé la poésie dans le vin, mais le vin dans la poésie. » (p. 44) Le style de Jean-Claude Pirotte, que je découvre dans cet ouvrage posthume, est fait de touches verbales : cet impressionnisme littéraire est délicat tout en étant puissamment évocateur. Pas étonnant que la préface de Philippe Claudel soit si bouleversante : il y a des connexions certaines entre ces deux auteurs. La beauté dialogue entre leurs textes.

Dans ce court roman, j’aurais pu relever trois ou quatre citations par page. Alors que je relis ma chronique, je retiens cette phrase du roman qui résume si bien la vanité de dire, parfois. « Le silence, il me semble que j’avais pour tâche, en cherchant à le définir ou à le suggérer, de le détruire. » (p. 34)

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Lisette Leigh

Nouvelle d’Elizabeth Gaskell.

Juste avant de mourir, Jacques Leigh pardonne à sa fille, Lisette, qui a entaché l’honneur de la famille. Anne, la veuve, s’installe à Manchester avec le secret espoir de retrouver son enfant perdu. Mais les frères de Lisette, Guillaume et Thomas, sont assez peu favorables à cette démarche. « Mère, dit Guillaume, pourquoi voulez-vous absolument qu’elle soit en vie ? Si elle était morte seulement, nous n’aurions pas besoin de prononcer son nom. » (p. 18) Grâce au hasard ou au destin, la famille Leigh retrouve Lisette, mais perd un autre enfant, comme s’il fallait que l’un paye pour les fautes de l’autre.

Voilà une bien triste variation sur le thème de l’enfant prodigue. Triste, voire sinistre ! Pardonner, oui, mais seulement aux portes de la mort. S’amender, oui, mais seulement aux dépens d’un innocent. Il reste que la plume d’Elizabeth Gaskell est belle, riche et surprenante. Je vais continuer ma découverte de cette auteure, en espérant un peu moins de Dickens dans son œuvre…

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Dead Zone

Roman de Stephen King.

John Smith sort d’un coma de cinq ans après un terrible accident de voiture. La jolie Sarah ne l’a hélas pas attendu : elle est mariée et mère d’un petit garçon. De retour parmi les vivants, John se découvre un don de prémonition qui se déclenche quand il touche des objets ou des gens. Cette faculté extraordinaire s’accompagne de migraines et d’autres désagréments physiques. « Peut-être, en tant que médium, avez-vous ressenti quelque chose, et c’est peut-être ça qui vous a fait perdre connaissance ? » (p. 246) Refusant toute publicité, John ne peut cependant pas échapper aux journalistes, aux admirateurs ou à la foule suspicieuse et haineuse. Après avoir aidé la police à identifier un tueur en série, il espère vivre en paix en se consacrant à l’enseignement. Mais sa rencontre avec George Stillson le contraint à agir : Stillson est un homme ambitieux qui fait campagne et remporte les suffrages les uns après les autres. La route semble tracée jusqu’à la Maison Blanche. Mais John a touché Stillson et il a vu le pire arriver si ce dernier est élu président. Hélas, nul n’est prophète en son pays et John, Cassandre façon US seventies, cherche le moyen d’empêcher la fin du monde. « Les gens ne me croient vraiment que lorsque les faits se sont produits. » (p. 288)

Ce roman n’est pas mon préféré de Stephen King, mais je retiens l’incroyable talent de cet auteur pour dessiner en quelques lignes un personnage qu’il est impossible d’oublier. Greg Stillson est l’incarnation du salaud qui place ses ambitions avant tout.  Alors qu’il apparaît finalement assez peu dans le roman, il marque le texte de son empreinte glaciale et malsaine. Greg Stillson me rappelle l’affreux Randall Flagg qui apparaît dans plusieurs romans de Stephen King et principalement dans le cycle de La tour sombre : c’est un méchant de la pire espèce, incurable et impardonnable. « C’est pas une mince affaire que de garder son sang-froid et son casier judiciaire vierge. » (p. 11) Et ce que j’aime également chez Stephen King, c’est la façon décomplexée avec laquelle il fait référence à ses propres œuvres, comme ça, l’air de rien. Carrie fait irruption le temps d’une scène, voire d’une ligne, et c’est toute une géographie romanesque qui se dessine.

Je me souviens de la très mauvaise série diffusée sur M6 au début des années 2000. Je n’ai pas vu le film avec Christopher Walken : je l’espère moins catastrophique…

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Billevesée #224

J’ai récemment découvert (il n’est jamais trop tard pour rien, OK !) le musc blanc.

Je me suis longtemps tenue à l’écart de cette odeur, persuadée que ça cocotait grave. Et je préfère les odeurs/parfums délicats. Puissants, mais délicats ou élégants.

Le musc blanc, ça ne cocote pas du tout ! C’est frais, léger, propre, tout en étant suffisamment profond pour avoir une vraie présence sur la peau et laisser une signature olfactive significative. Ouaip, je trouve que je sens grave bon ! Et c’est plutôt cool, étant donné que j’ai sans arrêt l’impression de sentir mauvais…

Je voulais vous expliquer comment on obtient le musc blanc aujourd’hui : tout est synthétique, mais je n’ai rien compris de plus…

Tout ça pour dire que j’ai découvert le musc blanc et que ça remplace enfin le parfum d’amour que j’adorais et qui n’est plus disponible.

Alors, billevesée ?

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L’hôtel hanté

Roman de Wilkie Collins.

Dans ce roman, vous trouverez :

  • Une comtesse à la réputation douteuse et à l’esprit un peu dérangé,
  • Un mariage qui fait scandale,
  • Une prime d’assurance-vie intéressante,
  • Une fiancée éconduite au comportement irréprochable,
  • Un palace vénitien transformé en hôtel,
  • Une chambre d’hôtel inhospitalière,
  • Un courrier disparu dans d’étranges circonstances,
  • Des expériences chimiques étranges,
  • Mille livres envoyées à une épouse éplorée,
  • Des voyages de l’Irlande à l’Italie,
  • Des rumeurs de fantômes,
  • Des voyages de noces plus ou moins heureux.

Secouez tout ça et vous avez un roman d’assez bonne facture comme savait les écrire Wilkie Collins. Mais peut-être que je commence à connaître un peu trop les ficelles qu’il tire ou les artifices qu’il utilise : j’ai vu venir de très loin la révélation finale et le dénouement de l’histoire. Quant à la menace fantôme (oui, j’assume totalement !!!), elle est facile à comprendre. « À mon avis, aucun membre de votre famille ne peut espérer être heureux ou même tranquille dans cette maison. » (p. 117) L’hôtel hanté reste cependant un bon roman, divertissant et très agréable quand on cherche une lecture sans complication.

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Le héros du fossoyeur

Nouvelle d’Elizabeth Gaskell.

Se reposant dans l’ombre apaisante d’un cimetière, deux amis discutent de la notion de héros. « Selon moi, le héros est un homme qui réalise, au prix de n’importe quel sacrifice, le plus haut idéal du devoir, tel qu’il le conçoit. » (p. 6) Intervient alors le fossoyeur qui raconte une histoire vieille de plus de quarante ans. Selon lui, la meilleure incarnation du héros est Gibert Dawson, un jeune homme dont il a causé le malheur, mais qui s’est sacrifié de la plus noble des manières. « Bien qu’il opposât un front tranquille à tous ces dédains, comme s’il n’en eût tenu aucun compte, il n’en souffrait et n’en dépérissait pas plus. » (p. 12)

J’ai retrouvé un peu du Gilliat de Victor Hugo dans la figure de Gilbert Dawson, dans sa façon de se résigner devant la bêtise humaine et dans sa capacité à sublimer sa maigre existence au profit d’autrui. Si j’ai chouiné ? Oh, si peu…

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Croc-Blanc

Roman de Jack London.

Issu des amours sauvages d’une chienne et d’un loup borgne, Croc-Blanc vit ses premiers mois libre dans la nature. « Le droit à l’existence consistait pour l’un à manger l’autre ; il consistait pour l’autre à ne pas être mangé. » (p. 49) Il rencontre les hommes et se soumet à Castor-Gris, un Indien, après bien des punitions et des brimades. Instinctivement, il sait qu’il doit accepter la domination de l’homme, Castor-Gris étant un maître dur, mais juste. « Finalement, il se coucha aux pieds du maître en la possession duquel il s’abandonnait corps et âme, de sa propre volonté, il était venu s’asseoir, livrer sa liberté. » (p. 99) Animal farouche et violent, il est craint dans la tribu et haï par les autres chiens, d’autant plus quand il prend la tête du traîneau de son maître. Sa cruauté s’accroît quand Castor-Gris le cède à Beauty Smith, un homme blanc qui le fait combattre contre d’autres chiens et des animaux sauvages. « Haïr était sa passion et il s’y noyait. La vie, pour lui, était l’enfer. Fait pour la liberté sauvage, il devait subir d’être captif et reclus. » (p. 134) Ce n’est qu’auprès de son dernier maître, Mr. Scott, qu’il découvre l’amour qu’un chien peut porter à l’homme quand ce dernier est bon et respectueux de l’animal.

Enfant, j’avais lu L’appel de la forêt et pleuré toutes les larmes de mon corps quand l’animal quitte son cher maître et retrouve la nature. Je m’étais promis de ne jamais lire Croc-Blanc, mais il faut croire que j’aime me faire du mal. Là encore, toute neuve de ma troisième décennie, j’ai abondamment mouché mon nez devant cette lecture. Si la nature est sauvage et cruelle, elle ne l’est jamais autant que l’homme. Oui, ça sent bon le cliché à cent mètres à la ronde, mais que voulez-vous : je ne supporte pas qu’on fasse du mal aux toutous et autres animaux de compagnie. Tout finit bien pour Croc-Blanc, mais il a quand même passé de sales moments !

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Le scandale de Zacharias Ascaris

Nouvelle de Nicolas Dickner.

Une auteure inconnue, Jane P. Menard, rencontre un succès inattendu avec son livre Zacharias Ascaris. Le texte se vend par millions, par milliards.  Mais un phénomène bizarre entoure ce livre. « Quelques centaines de clients d’Amazon signalèrent un étrange problème technique : tous leurs livres électroniques avaient été contaminés ou remplacés par un autre texte. » (p. 4) Le livre parasite, c’est celui de Jane P. Menard. Peu à peu, il infecte tous les livres numériques, tous les textes disponibles en ligne et même les textes imprimés et manuscrits. Pas une ligne de texte n’échappe à la contamination, à la zacharification. « Partout où figuraient quelques mots, le phénomène frappait. » (p. 8) Comment ? Pourquoi ?

Nicolas Dickner prouve que l’exercice de la nouvelle, quand il est maîtrisé, vaut tous les grands romans. Une dizaine de pages suffisent à imposer un univers post-apocalyptique littéraire tout à fait terrifiant pour tout amoureux des livres ! Lisez Nikolski de cet auteur pour profiter de l’étendue de son talent !

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Mangez-le si vous voulez !

Roman de Jean Teulé.

Alain de Monéys est le nouveau premier adjoint de Beaussac. En dépit d’une légère claudication et d’une faible constitution, ce jeune homme généreux s’est porté volontaire pour combattre les Prussiens. Dans quelques jours, il partira rejoindre son bataillon. Mais aujourd’hui, c’est la foire à Hautefaye et Alain s’y rend pour saluer ses connaissances et rendre quelques menus services. « J’aime aussi Hautefaye et ses braves gens. » (p. 4) Hélas, il fait très chaud, trop chaud, ce jour-là. « L’effondrement du commerce, la sécheresse et maintenant la peur de l’invasion, empoisonnent le climat de la foire. » (p. 18) Il suffit d’un malentendu et Alain de Monéys, accusé de traîtrise, devient la victime de la haine villageoise. Le lynchage peut commencer et il ne s’arrêtera que quand le pauvre jeune homme aura été battu, supplicié, torturé, brûlé et même mangé ! « Après l’avoir ferré comme un bœuf, on va le griller comme un cochon ! » (p. 62)

Terrible histoire, mais histoire vraie ! Avec sa passion des faits divers, Jean Teulé traite cet épisode de cannibalisme paysan avec une maestria éclatante. Entre superstition campagnarde et négligence des autorités, le sort de ce pauvre Alain est scellé en quelques instants. Il y a bien deux amis qui tentent de le sauver et le curé qui ouvre sa cave en espérant détourner les assoiffés de sang du massacre, mais rien n’y fait. « Cette gestion instinctive et collective du massacre dilue la responsabilité. » (p. 47) Le lendemain, ils sont bien embêtés, les villageois de Hautefaye et tous ceux venus assister à la foire : qui n’a pas participé au massacre ? Bien peu… « Plusieurs demandent : ‘C’était qui ?’ Ils ont massacré un homme tout l’après-midi sans même s’inquiéter de qui il était. » (p. 68) Mais comment juger tous ces coupables ? Ce n’est pas possible. En plus, la prison de la préfecture ne compte que 21 places : il va falloir chercher les coupables les plus coupables. Drôle d’histoire, à la fois triste et fascinante. Oui, au XIX ° siècle, en France, alors que Paris se dotait de grandes avenues claires, on pouvait mourir sous les coups de dents d’une populace enfiévrée. Ça vous coupe l’appétit ? Tant mieux, le contraire aurait été gênant !

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Billevesée #223

Il y a aujourd’hui un léger a priori négatif quand on évoque le métier de secrétaire. On imagine soit la jolie gourde qui se fait les ongles derrière son téléphone, soit la vieille coincée à lunettes qui aligne son agrafeuse avec sa gomme et qui classe tout méthodiquement.

Si on reprend l’étymologie, le secrétaire est celui à qui l’on confie des secrets (et ça vaut aussi pour le meuble) et ça, ça a de la gueule !

Notons que les secrétaires étaient traditionnellement des hommes, parce que les femmes, c’est bien connu, pour garder des secrets…

Si on arrêtait de se moquer des secrétaires ! (Et de tout le monde en général ?)

Alors, billevesée ?

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Sale gosse

Nouvelle de Stephen King.

En prison, quelques jours avant son exécution, George Hallas explique à son avocat pourquoi il a commis ce crime atroce, pourquoi il a tué un petit garçon. Tout a commencé quand il était lui-même un enfant, quand il a rencontré pour la première fois ce sale gosse aux cheveux roux et à la casquette à hélice. « Il ressemblait à un petit garçon, mais c’était pas des paroles de petit garçon qui sortaient de sa bouche. » (p. 15 & 16) À chaque fois qu’il surgissait, sans jamais vieillir au fil des décennies, George perdait un proche et une personne portait pour toujours le poids écrasant d’une insupportable culpabilité. « Ce sale gosse s’en prenait aux gens que j’aimais. » (p.28) Un jour, c’en fut assez. George a décidé de ne plus laisser ce démon aux cheveux roux s’attaquer à lui et aux siens.

Périlleux exercice que celui de l’enfant terrifiant : Stephen King s’en tire à merveille avec ce sale gosse au langage fleuri et aux intentions malignes. Je suis contre les gifles à tout va envers les enfants, mais j’aurais bien collé deux baffes à ce morveux ! Sauf que… je n’ai pas trop envie de m’attirer ses foudres. OK, j’ai rien dit. Faut pas taper les enfants…

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Le prince disparu

Roman de Frances H. Burnett.

Depuis qu’il est enfant, Marco voyage dans l’Europe avec son père, Stefan Loristan. « Pas un seul garçon au monde n’avait un père comme le sien, pas un ! C’était son idole et son chef. » (p. 7) Ce dernier lui a fait prêter serment de toujours rester au service de la Samavie, leur cher pays perdu. « Dussions-nous ne jamais voir notre pays de nos propres yeux, nous devons quand même lui donner notre vie. » (p. 9) Marco et son père sont accompagnés par Lazare, un vieux soldat au service de la famille depuis toujours. Presque indigents, les trois hommes vivent dignement. Stefan Loristan recueille Le Rat, camarade infirme de son fils. Et il a de grands projets pour les deux enfants ! Ce sont eux qui seront chargés de délivrer un message aux membres du parti qui a toujours soutenu le prince disparu de la Samavie. À douze ans, Marco est prêt à se battre ! « Il fait partie d’une armée […] même s’il ne le sait pas encore. » (p. 34) La Samavie est alors aux mains d’une famille de brutes et toute l’Europe s’émeut du triste sort de ce noble petit pays. « Qu’est-ce qui donne aux Iaronoviotch ou aux Maranovitch le droit de gouverner, d’abord ? […] Ils n’étaient rien qu’une horde de paysans barbares quand ils se sont battus pour la couronne la première fois. Le plus barbare de la bande a gagné et les deux clans n’ont pas arrêté de se battre depuis. » (p. 59) La légende du prince disparu s’amplifie et les ennemis de cet héritier légitime tentent de s’en prendre à Stefan Loristan qui semble en savoir beaucoup sur ce monarque mystérieux. Avec une bravoure inébranlable, les deux garçons remplissent leur mission. Évidemment, le roman s’achève sur la restauration du prince disparu, le noble roi Ivor.

Vous vous souvenez de Princesse Sarah, du Petit Lord Fauntleroy ou du Jardin secret ? Vous avez aimé ces romans et les adaptations animées produites dans les années 1990 ? Vous serez forcément transporté par cette très belle aventure dont la fin est facile à deviner quand on connaît Frances H. Burnett. Pour faire simple, le plus noble des personnages n’a pas besoin d’une couronne pour être valeureux. Enfant, je me souviens avoir lu et relu Le jardin secret que ma mère m’avait offert. J’adorais cette histoire, les aventures et les mystères déployés dans le roman. Quelle joie de voir que les jeunes éditions Zethel publient Le prince disparu, roman inédit en France. Je souhaite aux jeunes lecteurs qui découvriront Frances H. Burnett par ce texte autant de plaisir que j’en ai eu !

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La cabane à 13 étages

Roman d’Andy Griffiths et Terry Denton.

Andy et Terry sont copains et vivent dans une cabane à 13 étages qui possède une piscine, un bowling, une salle de jeux, un laboratoire secret souterrain, un bassin à requins, et bien d’autres pièces tout aussi surprenantes. « Cet arbre, c’est notre maison, et c’est aussi l’endroit où on fait des livres ensemble. Moi j’écris les histoires, et Terry dessine. » (p. 23) Un matin, Terry peint en jaune le chat de leur voisine Jill. Et voilà que des ailes poussent sur le matou et qu’il s’envole comme un canari. Pourquoi cela serait-il étonnant ? Il n’y a pas de limite à l’imagination ! Andy et Terry aiment passer leurs journées à s’amuser, mais ils sont très en retard sur leur prochain livre. Et leur éditeur, Monsieur Gros-Nez, n’est pas du tout commode ! Mais pensez-vous qu’il est facile d’écrire un livre quand il faut combattre un monstre marin installé dans la baignoire ou se débarrasser de singes qui mettent la cabane sens dessus dessous ? Il faut aussi résister à la fontaine de limonade et à la machine à pop-corn. Et il faut enfin composer avec le manque d’inspiration… Allons, avec tout ce qu’ils ont vécu en une journée, Andy et Terry ont de quoi écrire des dizaines de livres !

Bourré d’humour et de références, ce roman joue avec les expressions qu’il aime prendre au sens littéral et il s’amuse avec la page, la mise en page et l’objet livre. « Attention à ce que tu dis Andy, m’a conseillé Terry. Il y a peut-être des enfants qui nous lisent. » (p. 94) À la fois roman jeunesse, bande dessinée, livre-jeu et cahier d’exercices, La cabane à 13 étages est un hymne à l’exploration et à l’imagination. « La technologie du casque à implantation d’informations crânienne est une technologie tellement révolutionnaire que Terry et moi ne l’avons pas encore inventée. » (p. 243) Au diable, règles et limites : ce livre se lit parfois à l’envers, peut-être aussi les yeux fermés, en tout cas bouche bée tant il est drôle et inventif !

À la rentrée, il est prévu la parution du tome 2, La cabane à 26 étages : d’ores et déjà, je le veux ! Et si j’avais connu un livre pareil étant jeune, je suis certaine qu’il aurait durablement marqué mon esprit de lectrice en herbe. Quel gamin n’a pas rêvé de vivre dans une cabane ?

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Billevesée #222

Je suis un peu maniaque. J’aime bien quand les choses sont rangées ou en ordre.

Et ça vaut aussi pour les chiffres, et notamment l’heure.

J’aime quand il est 01h23, 12h34 ou 23h45…

Mais sinon, je vais bien, hein !

Alors, billevesée ?

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Un visage dans la foule

Nouvelle de Stephen King et de Stewart O’Nan.

Dean Evers est veuf depuis peu. Son épouse lui manque terriblement. Pour occuper ses soirées, il regarde des matchs de baseball à la télévision et ne peut s’empêcher de se moquer des pitres qui font tout pour attirer l’attention des caméras. « Regardez-moi. […] Je passe à la télé, donc j’existe. » (p. 4) Un soir, au troisième rang du stade Tropicana Field, il aperçoit le visage d’un homme qui ne devrait pas être là. Le lendemain, c’est un autre homme qui surgit de la foule, un homme qui n’a rien à faire là ! « J’ai assisté à ses funérailles. » (p. 8) De soir en soir, il y a de nouvelles personnes qui le regardent et l’interpellent à travers l’écran. Dean devient-il fou ? Totalement sénile ? Enfin, un soir, Dean aperçoit un visage qu’il reconnaîtrait entre tous. Il faut qu’il en ait le cœur net : direction le stade !

Si cette nouvelle ne brille pas par son originalité – l’au-delà qui fait coucou à un vieux schnock en fin de parcours, c’est assez rebattu –, elle est cependant chargée d’émotions et de sentiments que l’on peut qualifier de bons si l’on est cynique, mais que je préfère voir comme salutaires. Il n’est jamais trop tard pour faire un examen de conscience et tenter de faire amende honorable.

Et hop, une autre découverte que je dois à ma liseuse puisque cette nouvelle est sortie en 2012 au format numérique ! Je sens que je vais traquer les pépites dans ce genre, surtout si elles sont écrites par Stephen King.

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Solange te parle

Recueil de textes d’Ina Mihalache, sous son nom de Solange.

Solange te parle, c’est une chaîne YouTube où Ina donne la parole à son alter ego, Solange. Cette Québécoise installée à Paris depuis une dizaine d’années est comédienne, artiste, vivante. Ce livre reprend le texte de certaines de ses vidéos et compile quelques-uns de ses tweets les plus fameux. « Femme défaite cherche homme à tout faire. » (p. 64) Ina se cache-t-elle derrière Solange ? Ou est-elle plus libre derrière son masque ? Finalement, c’est au spectateur/lecteur de choisir. Lui seul à la main sur le destin de Solange. « Ce n’est pas une pure dilatation de mon ego, simplement j’essaie d’échapper à la conscience de n’être que moi-même. Ceci est une bouteille à la mer. Je ne connais pas la valeur de ce que je suis. C’est toi qui décides. » (p. 6)

Ces courts textes sont autant de questions faussement naïves et/ou volontairement loufoques qui bousculent la routine et les schémas de pensée figés. Le livre de Solange, c’est de la poésie 2.0, des élégies modernes où sourd un désespoir euphorique. Après avoir beaucoup aimé la vidéo sur le fait de dire « Je t’aime », en retrouver le texte est une autre déclaration d’amour au lecteur. Il y a aussi cet émouvant texte sur Truite, son petit chien qui captive si bien l’objectif et le regard du spectateur/lecteur. Les sujets sont tout à tour légers ou graves. « Il s’avérerait parfaitement injuste d’exclure le camembert de mon existence sous prétexte qu’il pue. » (p. 7) Ils parlent de doute, de sexualité, de liberté et de culture. Ils interrogent la posture de l’être au monde et de l’être à soi.

Quel plaisir de retrouver la prosodie si particulière de la jolie Solange. Même à l’écrit, les mots sont musicaux et rappellent sa voix douce, parfois perchée ou fofolle, souvent grave et émouvante. « Imprégnez-vous de l’incommunicabilité de ce que vous avez à dire au monde. Celui-ci de toute façon n’est pas en mesure de le recevoir. » (p. 9) Elle interroge toujours l’autre sur son attitude et ses choix, finissant ses interventions par une question qui n’a rien de superflu. Mieux que personne, Solange sait être à tu et à toi avec son interlocuteur. Elle n’est que parce qu’elle est regardée (ou lue). « Voilà, c’est fini. Alors, laquelle tu préfères ? Solange ou Ina ? Ina ou Solange ? C’est toi qui décides. » (p. 78) Je décide alors que j’en veux encore, à l’image ou à l’écrit. Solange, reviens vite !

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In the Tall Grass

Nouvelle de Stephen King et Joe Hill.

Cal et Becky DeMuth sont frère et sœur, très proches depuis toujours. Ils pourraient être jumeaux s’il n’y avait pas 19 mois d’écart entre eux. Alors qu’ils roulent fenêtres ouvertes et radio éteinte, ils entendent un cri : il y a un enfant perdu dans un champ d’herbes à côté de la route. Un peu boy scouts, un peu bons samaritains, le frère et la sœur, enceinte de six mois, se garent et vont porter secours au petit bonhomme. Mais il n’aurait pas fallu qu’ils mettent les pieds dans ce grand champ. Immédiatement séparés, ils ne parviennent pas à se rejoindre et semblent s’éloigner toujours plus de la route. Comment sortir des hautes herbes et comment échapper à l’attraction du rocher noir ?

Cette nouvelle est inédite en France et non traduite. C’est donc armée de ma liseuse, du bouquin en version numérique, d’un bon dico franco-anglais et de toute ma trouille que j’ai dévoré cette nouvelle totalement horrifique. Humains, vous qui entrez dans ce champ, abandonnez tout espoir ! Il s’en passe des pas belles dans les herbes ! Forcément, il y a un chien qui prend cher et la future maman ne s’en sort pas mieux. Écrite à quatre mains par le maître de l’épouvante et son fiston qui n’est pas tombé loin de l’arbre, cette nouvelle fout une bonne gerbe et une sacrée trouille ! Du grand art au pays du gore et de l’angoisse !

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Le problème Spinoza

Roman d’Irvin Yalom.

Benedictus Spinoza est un juif néerlandais du dix-septième siècle dont la famille a fui les persécutions portugaises. Il est aussi un philosophe qui pense que les religions sont dangereuses. Ouvertement, il professe son refus des dogmes, des superstitions et des rituels aliénants « Je souhaite mener une vie de piété sans l’interférence d’aucune religion. Je suis convaincu que toute religion […] ne fait que nous dissimuler les vérités essentielles. J’espère voir un jour un monde débarrassé des religions, un monde dont la religion universelle permettrait à l’individu d’user de sa raison pour connaître et vénérer. » (p. 218) À vingt ans, il est banni de la communauté juive à vie. Libéré, il peut se consacrer à sa grande œuvre intellectuelle. Perpétuellement seul, il consacre son existence à la philosophie. Il écrit ses textes en latin et est persuadé qu’il faudra du temps pour que l’humanité comprenne la portée de ses propos. Quelques siècles plus tard, Spinoza est reconnu comme un des plus grands esprits du monde et cité en exemple pour la logique de ses démonstrations. Banni de la communauté juive, il a été accueilli à bras ouverts dans la communauté des penseurs. Savoir que Spinoza gagnait sa vie en polissant des verres pour microscope et télescopes est tellement éloquent : dans toutes ses activités, le philosophe voulait faire progresser la vision et rendre les choses plus claires, plus proches.

Alfred Rosenberg est un des membres les plus importants du parti nazi. Antisémite dès ses plus jeunes années, il est convaincu que la judaïté est un poison qui infecte le sang des Aryens. « Je crois que si nous ne sommes pas vigilants, la race juive aura raison de nous. Ce sont des faibles. Des parasites. L’éternel ennemi. La race qui s’oppose à la culture et aux valeurs allemandes. » (p. 17) Quand il rencontre Adolf Hitler, Rosenberg est convaincu d’avoir trouvé celui qui incarne le salut de l’Allemagne et de la race aryenne. Toujours dans son ombre, désespérant de lui plaire, il s’engage pleinement dans la mise en œuvre du plan nazi. « Au final, seul compte le jugement d’Hitler. » (p. 305) Hélas, le Führer l’estime bien peu, même s’il lui confie de hautes responsabilités. Tourmenté, angoissé, névrosé, Alfred Rosenberg se confie à Friedrich Pfister, psychanalyste et ami d’enfance. Et tout revient toujours au problème Spinoza : comment un philosophe juif peut-il susciter tant d’admiration chez les grands Allemands, notamment Goethe, génie aryen notoirement antisémite ?

Attention, bouquin génial ! Par un habile jeu de regards et de questions/réponses, l’auteur alterne les chapitres relatifs à Spinoza et ceux relatifs à Rosenberg. On suit les deux hommes sur une longue période : près de 20 ans pour le philosophe, presque 40 ans pour le nazi. Les deux hommes cheminent à leur manière : le premier se libère de l’oppression religieuse et trouve la vérité dans l’étude et la raison, le second s’obstine dans un schéma de pensées antisémite et plus largement antireligieux sans comprendre qu’il a fait d’Hitler son messie.

Philosophie, religion, psychanalyse, histoire, ces domaines se mêlent, se nourrissent, se répondent et parfois s’opposent, mais c’est tout le talent d’Irvin Yalom de faire que ce discours polyphonique reste parfaitement intelligible. Évidemment, il a beaucoup imaginé, mais tout est tellement crédible. « J’ai voulu écrire un roman qui aurait pu se produire. » (p. 383) Le pseudo dialogue qui s’engage à travers les siècles entre Spinoza et Rosemberg est retentissant : voilà deux esprits qui n’auraient jamais pu s’accorder, ni se faire fléchir, le premier ne transigeant pas face aux dogmes, le second déniant toute crédibilité au premier en raison de son origine. Pour finir, je retiens une phrase attribuée à Spinoza, mais qui correspond tellement à l’époque de Rosenberg qu’elle résonne douloureusement. « Quel est ce monde où le fils sent l’odeur de la chair brûlée de son père ? » (p. 10)

Le problème Spinoza est un roman passionnant qui suscite une furieuse envie de se plonger dans les textes du philosophe, mais aussi de découvrir l’essai de Rosemberg, Le mythe du XX° siècle, pour tenter de comprendre les vociférations haineuses d’un homme et d’un parti.

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Billevesée #221

Le rose, c’est une couleur de fille. Et le bleu, c’est une couleur de garçon. CONNERIES !!!

Je suis assez chatouilleuse sur toutes les questions de genre : pour moi, il n’y a pas de couleurs/jouets/vêtements/métiers/nourritures/etc. uniquement pour les filles ou uniquement pour les garçons. Je ne nie pas la différence entre homme et femme, mais je refuse l’idée qu’il faut se cantonner à son sexe… OK OK, un homme ne pourra jamais accoucher, mais il peut être un aussi bon parent qu’une mère.

Bref, ce n’est pas le sujet et si je continue, je vais m’emporter. Restons sur les couleurs et faisons une brève histoire du bleu et du rose.

Durant l’Antiquité, on habillait les garçons de bleu, car c’était la couleur du ciel et des dieux, et les fils étaient consacrés aux divinités afin de leur assurer chance et fortune. Les filles, bah, du blanc, ça leur allait très bien.

Arrive le christianisme et sautons jusqu’au Moyen Age : le bleu est désormais la couleur de la vierge et, par extension, celle des jeunes filles. Les garçons ? Oh, de l’or et du rouge, rien de moins. Entendons-nous : je parle des enfants de riches. Les pauvres, ça habillait leurs mômes (ou pas) avec les moyens du bord : donc de la toile non teinte, couleur grise/brun/caca d’oie.

Sautons jusqu’au règne du Roi Soleil qui aimait le rose, mais aussi toutes les autres couleurs. À cette époque, pas de couleur attitrée à un sexe : du moment que c’est coloré, ça marche !

Un autre petit saut jusqu’au 18° siècle et faisons coucou à la Marquise de Pompadour. La maîtresse de Louis XV aimait particulièrement la couleur rose et souhaitait que les petites filles de la cour en soient vêtues. Et les garçons ? Oh, ils repassaient au bleu.

Depuis, grosso modo (ouais, je ne suis pas historienne, je ne raffine pas), la distinction est restée. Vous commencez à comprendre à quel point c’est con de vouloir attribuer une couleur à un sexe ? Ça n’a pas arrêté de changer depuis le début des temps !

Alors, billevesée ?

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Les Hugo

Texte biographique d’Henri Gourdin.

Quatrième de couverture : Encore un livre sur Victor Hugo ? Non, sur tous les Hugo. Ceux qui le précèdent, à partir de ses ancêtres lorrains, et ceux qui le suivent, jusqu’à la génération de Jean, le peintre, ami de Cocteau. Cinq générations en dix-huit portraits de personnalités fortes, pittoresques, émouvantes : le général Léopold-Sigisbert Hugo, héros des guerres napoléoniennes, père officiel de Victor ; Sophie Trébuchet, mère du poète et figure dominante de la saga ; le général Lahorie, amant de Sophie et père naturel présumé de Victor ; Adèle Foucher, épouse de Victor et mère de ses cinq enfants ; Léopold Hugo, le fils premier né, mort de maltraitance à moins d’un an ; Léopoldine, morte noyée à 19 ans dans des circonstances troublantes ; Charles Hugo, le fils prodigue, continuateur de la lignée ; François-Victor Hugo, l’héritier tendre et discret, éminent traducteur de Shakespeare ; Adèle Hugo « la misérable », « l’engloutie », « la mal-aimée », internée par son père à 42 ans ; Paul et Aline Ménard-Dorian, hautes figures de l’art, de l’industrie et de l’extrême gauche républicaine ; Jean le peintre, époux de la fameuse Valentine Gross et père de huit Hugo ; Marguerite, manadière en Petite Camargue et bien sûr, celui sans qui cette histoire ne serait pas racontée, le grand Victor Hugo. 
Dans cette approche inédite d’une immense figure littéraire, Henri Gourdin détecte et analyse d’étranges continuités dans les comportements sur ces cinq générations. Il relève les falsifications accumulées par deux siècles d’hagiographie et ouvre un débat sur la question de la célébrité. L’histoire d’une famille, l’histoire de la littérature, de la politique et des arts, une histoire de la France.
 

Henri Gourdin s’attache à présenter les ascendants et les descendants de Victor Hugo en rétablissant la vérité historique, et donc en démontant les constructions littéraires et généalogiques échafaudées par Victor Hugo lui-même et reprises par des générations d’hugoliens. « Sauf que Victor Hugo, étant Victor Hugo, ne veut descendre que d’un père et d’une mère parfaits. Parfaits selon ses critères à lui, bien entendu. Selon les critères propres à l’élever dans l’opinion et à servir son image de demi-dieu, de messie universel, de réconciliateur des parties adverses. […] Voilà comment l’édition française noircit du papier depuis bientôt deux siècles pour colporter des bobards inutiles, qui n’ajoutent rien à la grandeur ni du poète Hugo ni du défenseur des libertés Hugo. » (p. 22) En reprenant les romans et lettres de l’auteur français probablement le plus connu dans le monde, en les croisant avec les correspondances de ses proches, les journaux ou d’autres textes divers, Henri Gourdin démonte les idées reçues et remet les pendules à l’heure. Non, Victor Hugo n’était pas un bon père de famille, c’était plutôt un tyran domestique. « Victor Hugo perdait le sens commun quand il s’agissait d’exercer l’autorité absolue dont le code Napoléon l’investissait , […] parce que son cercle familial était la pièce maîtresse d’un mécano affectif qu’il avait bâti patiemment pour le protéger des déchirements de son enfance. Il savait que sa femme et ses enfants en faisaient les frais, mais c’était plus fort que lui. » (p. 180) Son influence sur le destin de ses enfants, petits-enfants et autres descendants est incontestable, lui-même ayant été profondément marqué par la séparation de ses parents. « Ainsi le fils cadet de Léopold et de Sophie est au centre d’une panoplie de situations dont une seule suffirait à provoquer et entretenir une névrose. » (p. 67)

Victor Hugo est un des auteurs de mon panthéon personnel. Si j’apprécie vraiment l’auteur et son œuvre, je pardonne difficilement à l’homme, au mari et au père de famille. « Le héros, s’étant adouci les rigueurs de l’exil en l’imposant à ses enfants, s’ingénie à le leur compliquer. » (p. 184) Pour faire vite, nous dirons qu’Adèle était folle : son père n’y est certainement pas pour rien. En démontant brique par brique la gigantesque mythologie qui entoure Victor Hugo et ses proches, Henri Gourdin a fourni un travail considérable et passionnant. « Les Hugo, cela fait du monde ! Les ascendants connus de Victor Hugo, cela fait encore beaucoup de monde ! Six générations identifiées avant Victor, douze à treize jusqu’à aujourd’hui selon les branches. Donc certaines très, très touffues. » (p. 8) J’ai toutefois préféré les chapitres consacrés aux Hugo qui ont été marqués directement par le géant Victor et à ceux qui l’ont connu et côtoyé, un peu moins par ceux consacrés aux Hugo qui s’en revendiquent ou qui partagent son nom par descendance ou alliance. « L’histoire des Hugo pose enfin la question de la célébrité. Vieille calamité… » (p. 350)

Les annexes finales sont passionnantes et aident à comprendre le cheminement intellectuel d’Henri Gourdin. Enfin, la première de couverture est très réussie, ce qui ne gâche jamais un bon livre. Sur ce cher Victor Hugo, je vous recommande Victor Hugo vient de mourir de Judith Perrignon.

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Évariste

Roman de François-Henri Désérable.

« Cette histoire est celle d’Évariste Galois, mathématicien de génie qui mourut en duel à vingt ans. » (p. 6) Parfois, il n’en faut pas beaucoup pour résumer la vie d’un homme tout en annonçant une infinité d’évènements. En 1811, Évariste Galois voit le jour. En 1827, il rencontre les mathématiques. Dès lors, il n’a plus qu’une obsession : gravir la Montagne de savoir et de pensée que cette discipline représente. « Lui qui n’avait jamais cru en rien, pas même à la poésie, voilà qu’il croyait aux mathématiques, qu’il y voyait l’alphabet grâce auquel, après le claquement de doigt originel, l’univers fut écrit. » (p. 27) Évariste est brillant, mais il est incontrôlable et pressé : il échoue deux fois au concours d’entrée à Polytechnique. Par défaut, il entre à Normale et présente un mémoire sur sa théorie à l’Académie des sciences. Hélas, le sort s’acharne : le mémoire est perdu deux fois, jamais présenté et ceux qui le lisent ne le comprennent pas vraiment. Sa grande idée, c’est la théorie des groupes. Même le narrateur n’y entend rien. « Pendant longtemps, j’ai essayé de comprendre les travaux d’Évariste ; sa théorie, en vain. […] Il me faudrait la vulgarisation de la vulgarisation pour y piger quelque chose. » (p. 42)

Évariste est un génie des sciences, mais aussi un esprit passionné, fervent républicain, ce qui lui vaudra procès et emprisonnement. « Évariste était farouchement républicain, de ceux que le mot régicide ne faisait pas frémir. Alors certes, on le disait aussi mathématicien et mathématicien plein de promesses, mais la monarchie en ce temps était comme la République en d’autres : elle n’avait pas besoin de savants. » (p. 117 & 118) À bas Charles X, à bas Louis XVIII ! Derrière les barreaux, pour échapper à sa geôle, Évariste fait des mathématiques. Et c’est dans une lettre-testament, rédigée la veille du duel qui lui a coûté la vie, qu’il a résumé sa théorie et lui a permis de traverser l’histoire.

Le ton est volontiers primesautier et familier : le narrateur s’adresse à une jeune fille. Qui est-t-elle ? Vous le comprendrez dans les toutes dernières pages du livre. La biographie de ce génie est parsemée de trous que le narrateur comble allègrement avec une imagination bienveillante et souvent épique. Que diable, pourquoi ne pas imaginer de folles anecdotes ? Elles siéront à la personnalité bouillante du héros ! Ce texte se lit sans reprendre haleine : c’est un livre éclair à l’image d’Évariste, météore de la science. Finalement, il m’a tout de même manqué un peu de mathématiques. Oui, j’aurais apprécié quelques équations (avec la solution) ou un exposé plus long de la théorie des groupes. Bah, me direz-vous, le sujet, c’est Évariste Galois : le reste n’est que littérature.

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2084 – La fin du monde

Roman de Boualem Sansal.

Quatrième de couverture : L’Abistan, immense empire, tire son nom du prophète Abi, «délégué» de Yölah sur terre. Son système est fondé sur l’amnésie et la soumission au dieu unique. Toute pensée personnelle est bannie, un système de surveillance omniprésent permet de connaître les idées et les actes déviants. Officiellement, le peuple unanime vit dans le bonheur de la foi sans questions.
Le personnage central, Ati, met en doute les certitudes imposées. Il se lance dans une enquête sur l’existence d’un peuple de renégats, qui vit dans des ghettos, sans le recours de la religion…

L’hommage à 1984 est évident. Cette dystopie inquiétante sur fond de religion omnipotente et d’histoire réécrite jusqu’à l’invention m’a-t-elle convaincue comme l’avait fait le roman d’Orwell ? C’est moins évident… Premier reproche sur la forme : ce texte est une très longue narration avec des lignes de dialogue si éparses qu’elles ressemblent à des murmures, à des voix que l’on entend dans le vent sans comprendre les paroles. Ce récit interminable est très didactique et descriptif, ce qui m’a fortement empêchée d’éprouver une vraie sympathie pour les protagonistes.

« La religion fait peut-être aimer Dieu, mais rien n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’homme et haïr l’humanité. » Voilà pour l’avertissement liminaire. Ça commençait déjà mal. La généralisation est le premier pas vers l’annihilation de la réflexion. OK, vous me direz que l’actualité tend à donner raison à cette sentence introductive. En effet, la religion est empoignée, malmenée et brandie au nom d’idéaux inhumains et assassins. « Personne, pas un digne croyant, ne s’est laissé aller à penser que ces périlleux pèlerinages étaient une façon efficace d’éloigner les foules pléthoriques des villes et de leur offrir une belle mort sur la route de l’accomplissement. De même, nul n’a jamais pensé que la guerre sainte poursuivait le même but : transformer d’inutiles et misérables croyants en glorieux et profitables martyrs. » (p. 25) Mais la religion en tant que telle n’est pas responsable : ce sont les hommes qui dévoient des idées et des principes. Certes, le propos de Boualem Sansal est de montrer ce qu’il advient quand la réflexion disparaît et laisse le champ libre à la superstition qui est une croyance nourrie de peur. On peut très bien croire sans craindre : ici, l’auteur montre les dérives d’une foi qui n’incite pas les hommes à l’épanouissement et au bonheur, mais à la soumission et à la terreur. « La perturbante découverte que la religion peut se bâtir sur le contraire de la vérité et devenir de ce fait la gardienne acharnée du mensonge originel. » (p. 74)

2084 est la date fondatrice, la limite au-delà de laquelle l’Appareil ne permet pas de remonter. Cette année zéro est le point de départ d’une Histoire contrôlée, réécrite, sans cesse corrigée et amendée. Or, il est bien impossible de se situer dans le monde et dans le temps quand les repères changent toujours. La faute d’Ati est justement de vouloir comprendre son univers, de ne pas se contenter du discours officiel. « Ce que son esprit rejetait n’était pas tant la religion que l’écrasement de l’homme par la religion. » (p. 80) On s’en doute, cette révolte ne finira pas bien.

2084 est un roman d’anticipation et de réflexion intéressant, mais dont la forme est pesante. Sur le fond, il y a bien des choses à explorer, mais je reproche un manque de subtilité dans certaines idées.

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Billevesée #220

Cette billevesée n’est pas sponsorisée. Et même si elle l’était, et ben prout, je fais ce que je veux.

Aujourd’hui, je décrypte pour vous des acronymes que l’on rencontre très souvent sans vraiment savoir ce qu’ils veulent dire, ni même qu’ils sont des acronymes !

Dites-moi merci !

BMW : « Bayerische Motoren Werke » ou « Manufacture bavaroise de moteurs »

CEDEX : « Courrier d’Entreprise à Distribution Exceptionnelle »

FIAT: « Fabbrica Italiana Automobili Torino » ou « Usine italienne d’automobile de Turin »

FNAC : Fédération nationale d’achats des cadres

MEDEF : Mouvement des entreprises de France

SFR : Société française du radiotéléphone

SOPALIN : Société des papiers-linges

Alors, billevesée ?

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Le tour du monde en quatre-vingts jours

Roman de Jules Verne.

Le calme et impénétrable Phileas Fogg prend le pari, face à ses camarades du Reform-Club de Londres, de réussir à faire le tour du monde en quatre-vingt jours, ainsi que l’a calculé le Morning Chronicle. Suivi de Passepartout, son domestique français tout juste embauché, il entame son périple avec un sac de voyage et vingt mille livres en bank-notes, bien décidé à respecter le délai qu’il s’est imposé. « Mais pour ne pas le dépasser, il faut sauter systématiquement des railways dans les paquebots et des paquebots dans les chemins de fer ! / Je sauterai mathématiquement. » (p. 28) Avec sa maniaquerie de l’horaire et son obsession de la montre, Phileas Fogg est un homme mécanique réglé comme une horloge chez qui la présence d’un cœur sensible semble bien improbable. « Il ne voyageait pas, il décrivait une circonférence. C’était un corps grave, parcourant une orbite autour du globe terrestre, suivant les lois de la mécanique rationnelle. » (p. 75) Et pourtant, quand il sauve la belle Aouda des flammes d’un bucher funéraire, le très flegmatique Phileas Fogg dévoile un peu de la tendre chair qui bat sous l’exacte régularité qui lui sert de carapace.

Entre le 2 octobre et le 21 décembre 1872, le voyage passionne les foules, mais aussi l’agent Fix de la police londonienne. En effet, par un quiproquo, Phileas Fogg est soupçonné d’être le voleur qui a dérobé des milliers de livres à la banque nationale. Tenace et procédurier, Fix suit à la trace les pas de Fogg et Passepartout. D’Égypte à l’Inde, de la Chine à l’Amérique, Fogg et ses compères sont des globe-trotters pour qui le voyage est une fin en soi : il ne s’agit pas d’atteindre, mais de progresser. En fait de globe-trotters, ils ressemblent surtout à la petite aiguille de la montre qui marque systématiquement l’avancée des secondes. Tout le monde sait la fin triomphale du voyage de Phileas Fogg, après un contretemps qui aurait pu être fatal à la fortune et à l’honneur du gentleman anglais.

Ici, Jules Verne célèbre les moyens de transport les plus efficaces de son époque et les prouesses techniques qui peuvent faire gagner des heures, voire des jours de trajet. On est bien loin du vol fantasque de l’aérostat de Cinq semaines en ballon. De tous les personnages, Passepartout a ma préférence : ce domestique a quelque chose du valet selon Molière, souvent en mauvaise posture, mais doué de ressources et de ruse. Et puis, il est français, hein ! J’ai vraiment beaucoup aimé ce voyage extraordinaire autour du monde.

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Perrette et les oiseaux

Conte de Zemanel d’après Jean de La Fontaine. Illustrations de Pauline Duhamel.

Guillerette, Perrette se rend en ville pour vendre du lait. « Vendre du lait, mais pour quoi ? / Faire de l’argent et voyager ! […] Plus il y a de sous, plus le voyage est grand. » Perrette la jolie fermière rêve d’aller plus loin que son pré, plus loin que la ville, partout dans le monde. En route, elle croise de gentils oiseaux qui accompagnent de leurs voix flûtées son chant d’espoir. Avec l’argent du lait, elle achètera des lapins, puis des cochons et des vaches. « Tandis que Perrette rêve, les bras ouverts et couverts d’oiseaux, les yeux fermés… un corbeau s’invite dans sa chanson. » La suite, tout le monde la connaît : c’en est fait du pot de lait, reversé et vidé, et des rêves de profit et de voyage.

Contrairement à Jean de La Fontaine, Zemanel imagine une fin où tout recommence : demain, Perrette aura à nouveau trait sa vache et elle aura à nouveau du lait à vendre à la ville. Si elle prend garde aux oiseaux de mauvais augure, si elle regarde où elle met les pieds et si elle rêve sans trop échapper à la réalité, elle finira peut-être par atteindre ses espoirs.

Je ne me lasse jamais de la magie éternelle des contes et des fables, histoires premières et nécessaires vers lesquelles je reviens souvent. Zemanel sait y faire avec les vieilles histoires, pour les rendre modernes et intemporelles. Déjà, avec Gonflée, la grenouille !, il m’avait séduite. Ici, la rengaine de Perrette donne une nouvelle dimension à la fable. Et qu’elle est jolie, cette petite fermière dessinée par Pauline Duhamel, avec sa jupe écarlate et ses cheveux blonds. Il y a un peu de Blanche-Neige et de Boucle d’Or en elle : une innocence pleine d’espoir et une malice toute naïve. Et petit coup de cœur pour la ribambelle de lapins sur la couverture et l’une des pages de l’album.

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