Le Noël de Longues-Oreilles le lièvre.

Album de Günter Neidinger et Krisztina Rényi.

L’hiver est là et les premiers flocons de neige tombent sur la forêt. Les animaux se préparent à passer la saison froide, chacun à leur manière. Pour Longues-Oreilles, cet hiver est le tout premier de sa vie et il se plaît à gambader dans la neige. Quand il découvre la fête de Noël, il décide de devenir le lièvre de Noël, mais tous les habitants de la forêt se moquent de lui. Peu importe, Longues-Oreilles est bien décidé ! Il se glisse dans un camion qui emporte des sapins coupés vers la ville. « Au marché de Noël, l’ambiance était très détendue et personne ne le remarqua. Il fallait donc trouver autre chose pour ne pas passer inaperçu. » Hélas, en ville, il y a des dangers auxquels le petit lièvre ne peut pas faire face et il file à toute vitesse vers la forêt pour trouver un refuge. Heureusement, Noël réserve bien des surprises et quelques miracles à ceux qui portent un rêve secret dans leur cœur.

Accord parfait : un lapin (OK, un lièvre, c’est pareil !) + Noël = une histoire qui me séduit ! Oui, je sais, Noël, ce n’est que dans sept semaines, mais j’aime vraiment cette période de l’année, ses lumières et sa douceur familiale. Ici, l’histoire est jolie, sans être très originale, mais c’est le genre de sujet qui plaît aux jeunes lecteurs qui peuvent s’identifier au personnage. Bon, vivement Noël et vive les lapins !

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Benjamin Lapin

Album de James Riordan et Tim Warnes.

Benjamin Lapin est le dernier d’une grande famille. Contrairement aux autres petits lapins, il ne court pas partout, il préfère compter tout ce qui lui passe sous les yeux, des points noirs de la coccinelle aux coquelicots dans un champ de blé. Mais il y a toujours quelque chose qui l’empêche de terminer son comptage. Un jour, à force de courir derrière des brins de pissenlit dispersés par le vent, il arrive dans la tanière d’un renard très affamé. Pauvre Benjamin Lapin ! Espérons qu’il trouvera un moyen de se sortir de ce mauvais pas. « Madame Renarde, […] avant de me manger, vous voulez bien m’apprendre à compter ? »

J’aime beaucoup les histoires où les lapins ou tout autre petit animal arrivent à se sauver des griffes des prédateurs et des gros vilains qui veulent les faire passer à la casserole. Ici, Benjamin Lapin doit la vie sauve à sa passion des nombres et à l’obsession qu’elle peut causer. Cet album présente de belles illustrations rondes et douces pour une histoire très tendre qui accompagnera à merveille les enfants vers le sommeil.

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Mini-animaux – Le lapin

Album de Sheryl Bone.

C’est l’histoire d’un lapin nain. « Je suis un rongeur miniature, mal adapté à la nature. » Ce petit lapin coquin saute partout dans la maison et apprécie vraiment son confort. « Quand le son des fusils résonne, je me dis : Tiens ! déjà l’automne ! Alors, je pense à mes cousins qui doivent courir comme des lapins… »

Voilà un adorable petit album pour les mains maladroites et parfois brutales des enfants. Les pages en plastique sont assez épaisses pour être manipulées sans difficulté par les bambins et pour résister à la vigueur des tous jeunes lecteurs. Avec ses phrases en forme de comptine, cet album en forme de lapin offre une histoire facile à retenir et à répéter avec bébé.

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Le vendeur de goyaves

Roman d’Ugo Monticone. Illustrations de Jean-Sébastien Lajeunesse. À paraître en fin d’année 2013.

Hilmu est un jeune vendeur de goyaves. La nuit, dans son kiosque, il observe le village et les relations qu’entretiennent les êtres quand le soleil est couché, loin des tensions diurnes. « Aucun passage du Véda sacré, la fondation même de l’hindouisme, ne parle de castes. » (p. 13) Tout bascule après l’incident de la vache sacrée. Hilmu se découvre un étrange don de guérisseur et il décide de quitter le village pour en savoir plus sur son nouveau talent. Grâce à la chaleur que dégage sa main, il guérit la belle Madhuri de la lèpre, mais cet exploit est loin de faire son affaire : tous les malades des alentours veulent bénéficier de son pouvoir et d’aucuns n’hésitent pas à monnayer grassement le don d’Hilmu, sous couvert de miracle divin. « Regarde ta main, c’est un pont entre l’homme et les dieux, un véhicule du divin. Ta mutation dépasse toutes les limites que nous connaissions jusqu’à présent. Tu es la prochaine évolution de l’humain, Hilmu. Tu es Kalki, l’incarnation finale ! » (p. 127)

L’initiation d’Hilmu est pleine de spiritualité orientale, mais traite d’un sujet universel, à savoir comment la ferveur peut se transformer en fureur quand les adeptes d’un culte dépassent toutes les limites au nom de leur dieu. « Ceux qui se réfugient dans une croyance s’opposent à ceux qui cherchent la vérité dans une autre. » (p. 160) Hilmu observe avec douleur comment le fanatisme et la foi aveugle peuvent ruiner des existences et alourdir les âmes. Et c’est également avec douleur, mais aussi au cours d’une profonde réflexion sur lui-même, que le jeune garçon entreprend un lent apprentissage pour découvrir qui il est. Tout changement, qu’il s’agisse d’une guérison ou d’une élévation, doit avant tout venir des êtres qui l’attendent : il n’existe pas de miracle sans une volonté initiale. Les dieux ne sont pas coupables quand rien ne se produit, car rien ne tombe du ciel, sauf la pluie, et cette dernière n’est pas un miracle. Finalement, un miracle n’est jamais que l’aboutissement d’une volonté déterminée. Comme le dit une autre religion, aide-toi et le ciel t’aidera. C’est la première vérité. L’autre vérité consiste à reconnaître les êtres sans lesquels la vie aurait moins de saveur ou de valeur.

Un grand merci à l’auteur qui m’a contactée après avoir lu ma critique de son précédent livre, U, et m’a offert de lire son nouveau roman avant sa parution officielle. Le vendeur de goyaves n’a pas la force loufoque et déjantée de U, mais il dégage une belle sagesse, simple et nécessaire dans nos temps tourmentés par l’argent et le pouvoir. J’ai lu ce roman comme j’aurais découvert une légende indienne, en me laissant porter par l’exotisme de l’histoire et la poésie d’une culture inconnue.

Ce roman sera disponible au format numérique sur le site www.publiez.ca

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Billevesée du dimanche #97

Pourquoi le fils du roi de France portaient-ils le surnom de dauphin ?

Les comtes de Viennois et comtes d’Albon, seigneurs du Dauphiné, furent les premiers à porter le titre de dauphins du Viennois. En effet, de nombreux comtes du Viennois ont porté comme second prénom Dauphin, équivalent assez peu courant au masculin du prénom féminin Delphine (ou Dauphine). Ce prénom, qui représente l’animal marin homonyme, rappelle les liens forts du Dauphiné avec la Provence et donc avec la Méditerranée où le mammifère marin s’ébat en toute liberté.

Les héritiers du trône de France portaient le titre de dauphin depuis que, en 1349 par le Traité de Romans, Humbert II du Viennois avait vendu sa seigneurie d’Albon et du Viennois (appelé par la suite Dauphiné) au roi de France Philippe VI, à la condition que le Dauphiné fût le fief de son fils aîné, qui porterait désormais le titre de dauphin.

Donc, si Flipper avait été roi de France, son fils aurait été deux fois dauphin !

Alors, billevesée ?

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La main de Dieu – Et Dieu reconnaîtra les siens. Première époque : 1206-1209

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Roman de Jean-Louis Marteil. À paraître en novembre.

Dans le sud-ouest de la France, la religion cathare a ses adeptes, ce que l’Église de Rome voit d’un mauvais œil. Le comte de Toulouse, Raymond VI, tolère cette religion, au grand dam de son épouse, Éléonore d’Aragon, fervente catholique. Raymond VI sait pouvoir compter sur ses vassaux en cas de guerre. Raymond de Termes et Pierre-Roger de Cabaret prendront les armes pour défendre leur foi s’il le faut. Mais ces chevaliers cathares préféreraient de loin que la paix subsiste. « Il fallait céder et s’humilier au risque de commettre des actes injustes, ou bien s’opposer à l’Église. » (p. 107)

C’est une jeune fille qui va mettre le feu aux poudres. Alix, fille d’Hugues de Carcassonne, est une enfant libre et un peu sauvage, déterminée à ne pas se laisser enfermer dans les activités féminines et à imposer sa voix et ses envies dans un monde d’hommes. Et en parlant d’hommes, il en est un qui a suscité une passion dévorante dans le cœur d’Alix. Il s’agit de Pierre-Roger de Cabaret, proche ami de son père et seigneur qui semble bien se moquer de l’attention que lui porte une donzelle qui se plaît à courir dans les bois. Sans le vouloir vraiment, Alix déclenche les hostilités en s’en prenant au légat du Pape venu négocier la reddition et la conversion des cathares. C’en est trop pour Philippe-Auguste qui autorise ses vassaux à se croiser et à partir en guerre sainte contre les hérétiques cathares. Et c’est ainsi que Béziers est massacrée, incendiée, suppliciée. « Dans l’armée de la croisade, nul, ou presque, ne douta que la main de Dieu venait de s’abattre sur la cité impie. » (p. 225)

Un grand merci à l’auteur qui m’a envoyé les épreuves de son livre. D’autres écrivains mêlent comme lui la grande et la petite histoire, mais il y a un supplément d’âme dans les romans de Jean-Louis Marteil tant il est manifeste qu’il aime et connaît son sujet. Ici, on ne retrouve pas l’humour barré que l’auteur a développé avec brio dans L’assassinat du mort ou l’ironie un brin anticléricale de La relique. Mais il y a une force qui n’est autre le respect que M. Marteil porte à ses héros : il les aime, ces cathares fiers et farouches, et il aime aussi cette bouillante Alix qui, par amour et par bravade, déclenche la guerre. Que cette héroïne ne soit que le produit de l’imagination de l’auteur n’est pas un problème : il fallait une étincelle pour embraser le roman historique et elle s’est incarnée en la personne d’Alix. L’auteur prend-il parti pour les cathares ? Comment ne le ferait-il pas ? Mais ce qui importe, c’est que la guerre, que certains osent appeler sainte, ne fait jamais de vainqueurs.

Et maintenant, il me faut attendre plus de cinq mois pour lire le deuxième volume de cette tétralogie historique qui s’annonce très prometteuse.

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Boule de suif

Nouvelle de Guy de Maupassant.

La France a perdu la guerre contre la Prusse. Partout, c’est la débâcle et le Second Empire ne se relèvera pas. En Normandie comme ailleurs, les officiers allemands se sont installés dans les foyers français. « Il y avait […] quelque chose dans l’air, quelque chose de subtil et d’inconnu, une atmosphère étrangère intolérable, comme une odeur répandue, l’odeur de l’invasion. » (p. 19) C’est l’hiver à Rouen et une poignée d’habitants ont obtenu de l’officier allemand en charge de partir à Dieppe en diligence. C’est par une nuit froide que plusieurs bourgeois, deux religieuses et une prostituée partent en voyage. Le trajet est long et froid. La faim se fait sentir, mais seule Boule de suif, la prostituée, a prévu des provisions. De bon cœur, elle partage avec les autres voyageurs qui font peu de manières quand il s’agit de se remplir le ventre à bon compte. « On ne pouvait manger les provisions de cette fille sans lui parler. Donc on causa, avec réserve d’abord, puis, comme elle se tenait fort bien, on s’abandonna davantage. » (p. 32)

Le voyage aurait pu être tout à fait charmant si la diligence n’avait pas fait une étape dans une auberge isolée. Il y réside un officier prussien qui refuse que le convoi reparte tant que Boule de suif ne se sera pas donnée à lui. Mais si la jeune femme mène une vie de débauche, elle n’en est pas moins patriote et abhorre de tout son être les ennemis qui ont renversé l’empereur. Impossible pour elle de céder au caprice de l’Allemand. Hélas, ses compagnons de voyage se moquent bien de sa pudeur de catin. « Puisque c’est son métier, à cette gueuse, de faire ça avec tous les hommes, je trouve qu’elle n’a pas le droit de refuser l’un plutôt que l’autre. » (p. 51) La belle Boule de suif doit faire fi de ses principes au nom de l’intérêt collectif, mais quand tout est consommé, les voyageurs de la diligence ne font montre d’aucune reconnaissance à l’égard de la prostituée.

Cruelle histoire que celle de Boule de suif. Alors qu’elle avait généreusement offert ses vivres, sa charité n’est pas reconnue et les bourgeois bien-pensants estiment qu’ils peuvent tout lui demander puisqu’elle leur est inférieure. Comme quoi, le rang social n’est pour rien dans la dignité et la vertu. Boule de suif fait partie d’un recueil, mais je revendique mon droit à ne lire que ce que je veux et je m’en suis tenue à cette nouvelle que j’ai vraiment appréciée.

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Billevesée du dimanche #96

L’histoire des sciences regorge de découvertes inattendues, d’heureux hasards et d’expériences ratées aux conséquences finalement intéressantes. Ce phénomène est connu sous le terme de sérendipité, néologisme attesté depuis 1954.

Depuis que j’ai commencé à publier des billevesées, la sérendipité m’a souvent aidée à combattre l’angoisse de la page blanche.

Alors, billevesée ?

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Petites scènes capitales

Germain_Petites scenes capitales

Roman de Sylvie Germain.

Barbara, dite Liliane, dite Lili est une enfant sans mère. Celle-ci a disparu en mer après avoir disparu de la vie de sa fille. « Et si l’erreur, c’était elle, tout simplement ? Du seul fait d’être née, a-t-elle donc commis une faute, une gaffe ? Est-elle responsable de la fuite de sa mère ? » (p. 29) Cette absence douloureuse à plus d’un titre, Lili la porte en silence, désespérant que son père l’aime pour deux, qu’il l’aime plus fort et davantage que les enfants de sa seconde épouse. Mais Lili passe dans la vie sans émouvoir suffisamment les êtres pour qu’ils aient envie de la retenir. Opiniâtrement, elle est en quête de l’amour, quelle que soit sa forme et quel que soit son émetteur. « La liberté, comme l’amour a un coût, celui de l’intranquillité, ni l’un ni l’autre ne sont jamais acquis. » (p. 204) Sera-t-elle un jour heureuse, Lili ? Sera-t-elle un jour enfin sereine ?

Les chapitres sont très courts et ressemblent à des instantanés, des photos que l’on prend au bord du gouffre. Quant à l’oxymore qui compose le titre, il renvoie aux moments anodins qui marquent les enfants parce qu’ils sont des premières fois, des traumatismes, des découvertes ou des éblouissements. « Les petits riens ne sont jamais insignifiants, la beauté foisonne dans l’infime. » (p. 85) Et, quel que soit l’âge de celui qui les vit, ces instants-là sont uniques et ne reviennent jamais à l’identique, à l’instar des multiples morts qui jalonnent la vie de Lili. C’est toujours le même fait, la brusque et éternelle rupture du souffle vital, mais ce n’est jamais la même personne. Et, à y bien regarder, toute la vie de Lili semble composée d’instants qui précèdent la mort, ce qui les rend uniques et les figent à jamais comme la représentation de ce qui est avant la disparition. « Mais qu’il surgisse sans crier gare, ou qu’il s’en vienne à pas menus, tout deuil ouvre des failles qui n’en finissent pas de serpenter sous la peau, d’interrompre les pensées soudain saisies de bouffées d’idioties. » (p. 130) Enfin, les petites scènes capitales, ce sont surtout les morts, capitales s’entendant au sens de la peine dont on ne se relève jamais.

Petites scènes capitales m’a rappelé La chanson des mal-aimants, mais il y manque la pointe de magie qui m’enchante tellement dans les romans de Sylvie Germain. Ce roman reste un très beau texte qui vibre de la plume forte et poétique de l’auteure.

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Un endroit où se cacher

Roman de Joyce Carol Oates. Épreuves non corrigées.

Jenna a 15 ans. Elle se réveille à l’hôpital après un terrible accident de voiture qui a vu périr sa mère. En conflit ouvert avec son père, elle refuse de s’installer chez lui et préfère suivre sa tante Caroline. Le drame a rendu Jenna méfiante et dure. « Après l’accident, pas question de me remettre à aimer quelqu’un. Pourquoi ? Parce qu’ils s’éloignent à tire-d’aile, vous laissant seule. Trop risqué. » (p. 34) Au-delà de la douleur physique, il y a la colère et la rage, l’envie de se convaincre qu’elle n’a besoin de personne. « Après l’accident, mes blessures resteraient secrètes, je l’avais décidé. Et on ne me ferait plus jamais mal, je l’avais décidé. » (p. 67) Casquette vissée à la tête, attitude fermée, abus de médicaments et de drogues, Jenna veut annihiler ses remords et ses idées noires. Hélas, elle s’attire la sympathie de Trina, une toxique jeune fille au comportement dangereux.

Ce roman est destiné à un public plus jeune que celui que Joyce Carol Oates vise d’ordinaire, mais le style est bien présent, la plume toujours aiguisée. Toutefois, cette histoire me fait l’effet d’un roman de jeunesse ressorti des tiroirs. Il y manque la sombre puissance que j’aime tant dans les autres textes de cette auteure. Et la fin est bien trop optimiste à mon goût, comme si l’auteure n’osait pas ou craignait de choquer. Bref, je ne me suis pas ennuyée et ce roman ne m’a pas déplu, mais je n’en garderai pas un souvenir très marqué.

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Pietra viva

Pietra_viva

Roman de Léonor de Récondo.

Michelangelo Buonarroti est bouleversé par la mort du moine Andrea, jeune homme d’une grande beauté. « Andrea, tu es la beauté à l’état pur. La perfection des traits, l’harmonie des muscles et des os. » (p. 15) Il quitte Rome pour Carrare où il doit choisir les plus beaux blocs de marbre afin de construire le tombeau du pape Jules II. « Il faudra trouver les blocs justes et les déshabiller afin qu’apparaissent, dans leur nudité première, les esclaves de la pietra viva. » (p. 68) Hélas, il est à peine arrivé à Carrare qu’une femme meurt, laissant une famille orpheline. Devant la peine d’un des fils de la défunte, Michelangelo se souvient brutalement de sa détresse à la mort de sa mère et cherche à retrouver son souvenir.

Lentement, le sculpteur de la Pièta explore sa mémoire pour recomposer l’image de sa mère. Il tente en même temps de faire le deuil d’Andrea. Et pour lui, il n’est qu’un remède : la création. « Andrea, tu es la beauté mortelle à l’état pur. J’aimerais que ta peau devienne pierre. Le seul élément que je maîtrise. » (p. 74) L’artiste se rêve en démiurge résurrecteur, mais il doit surtout comprendre que la mort n’est qu’un passage et que l’art est parfois incapable de capturer l’impalpable. « Andrea, tu es la beauté que je ne saurai jamais atteindre avec mon ciseau. Tu es la preuve ultime de la supériorité de la nature sur mon art. » (p. 98)

Quel roman sublime ! Au fil des pages, je craignais de voir l’artiste se pétrifier dans son chagrin et être incapable de dépasser son deuil de pierre. Michelangelo est un homme perdu, désemparé devant la mort, lui qui n’a que son burin et ses ciseaux pour saisir la vie. Le récit est une longue élégie qui vibre cependant d’espoir en la personne de Michele, le garçon orphelin qui s’empare de la vie et ose regarde vers demain. J’avais aimé Rêves oubliés de Léonor de Récondo et j’ai été ravie de la retrouver dans ce roman qui est aussi émouvant que poétique et qui propose une élégante réflexion sur le deuil.

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Colette à 20 ans – Une apprentie pas sage

Biographie de Marie Céline Lachaud.

En 1893, Colette est encore Gabrielle. Elle a 20 ans et elle vient de se marier. Elle a passé son enfance dans une maison de Bourgogne, entourée de l’amour, voire de l’adoration de sa mère. Passionnée par la lecture et la nature, elle grandit comme un petit faune sauvage, libre et heureuse, nourrissant des espoirs un peu fous. « Gabrielle rêve d’un prince charmant qui l’enlèvera à cet ennui qui lui colle à la peau. » (p. 49) Car, bien qu’heureuse et choyée, Gabrielle étouffe en province et voudrait une vie plus palpitante. Grâce à Willy, son mari, elle découvre Paris, ses mondanités et ses mesquineries. Gabrielle n’est qu’une ingénue et elle souffre des infidélités de son époux. « Ainsi c’est ça la vie de femme, le plaisir charnel attaché à l’humiliation du mâle tout puissant. » (p. 74)

Mais Gabrielle veut réussir, alors elle s’endurcit et prend de l’assurance. Willy aura toujours des maîtresses, mais Gabrielle, devenue Colette, ne sera plus une épouse éplorée. Elle commence à écrire et la série des Claudine, signée de la main de Willy, est un succès. « Claudine est effrontée, cruelle et assume sa méchanceté avec jubilation. En un mot, elle est amorale. » (p. 101) C’est l’époque des premières amours saphiques de Colette, mais aussi celle des premiers textes qu’elle signe de son nom. Colette a maintenant plus de 30 ans et elle a fait son trou à Paris. Son couple bat de l’aile et le divorce est l’occasion pour les deux époux de s’affronter pur savoir à qui appartient Claudine. « La contradiction de Colette est que, d’un côté elle se battra bec et ongles pour être reconnue en tant qu’auteur des livres écrits du temps de Willy, et de l’autre, elle les dénigrera. En même temps, elle jouera Claudine au théâtre. » (p. 124) Voilà, c’est Colette, femme de contradictions et d’exagération.

J’aime la collection À 20 ans des éditions du Diable Vauvert. Elle saisit des auteurs dans la fleur de leur jeunesse et revient ou extrapole sur tout ce qu’ils deviendront. Parce qu’avant d’être des monstres sacrés de la littérature, ils ont subi les doutes et les égarements de la jeunesse. En chaque auteur se cache l’ombre de la jeune personne qu’il a été. Je n’ai pas lu la série des Claudine, mais j’ai vraiment apprécié L’entrave, La chatte ou L’ingénue libertine. J’aime l’audace fraîche et parfois frivole de cette auteure et il me tarde de découvrir d’autres de ses textes.

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Bord cadre

Roman de Jean Teulé.

Sainte-Rose, peintre de son état, présente Léone, courtière en assurances, à Marc, écrivain. Il en est convaincu, ces deux-là sont faits pour s’aimer. « Elle allait vers l’écrivain comme la limaille à l’aimant. Elle avait aimé son roman. »  (p. 15) Et ça ne manque pas, ils s’aiment tout de suite et très fort, et peu importe que Léone ne soit plus toute jeune. Hélas, en les faisant se rencontrer, Sainte-Rose a une idée machiavélique derrière la tête : il veut qu’ils se séparent et faire de leur déchirement le sujet de son chef-d’œuvre. « Dans la peinture de Sainte-Rose, tout y sonnait mortel. » (p. 35) Mais entre Léone et Marc, l’idylle est au beau fixe et les deux amants ne peuvent se rassasier l’un de l’autre.

Tout irait à merveille si Marc ne souffrait pas d’une cruelle panne d’inspiration. Étrangement, Sainte-Rose est également à court d’inspiration, comme si le bonheur des autres bloquait son talent. « C’est vrai, quoi ! C’est quand qu’ils en chient, tous les deux, que je puisse travailler, moi ? » (p. 72) Il a alors une idée très cruelle pour relancer sa peinture : contraindre les amants à se séparer par le biais de la fiction. « Deux amants arrivent en bateau à Cythère mais le voyage s’est mal passé (va savoir ce qu’ils se sont dits !) » (p. 107) L’amour résistera-t-il à l’art ? Rien n’est moins sûr sous la plume acérée de Jean Teulé. « Détruire ce que l’on aime, toujours, de peur d’en souffrir. Préférer être responsable du désastre plutôt que de le subir. » (p. 115)

Si les amants sont parfois agaçants en leurs déclarations échevelées et leurs démonstrations irraisonnées, Sainte-Rose est un personnage fascinant. Ce mécène entremetteur est un despote destructeur, un démiurge névrosé qui ne peut que détruire ce qu’il a créé. Bord cadre est un court roman très sympathique sur l’amour, la création et l’inspiration, avec quelques morceaux sensuels bien gourmands, comme je les aime.

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L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet

Roman de Reif Larson.

T. S. Spivet a 13 ans et une passion pour la cartographie, à tel point que les dimensions de sa chambre semblent bien insuffisantes. Il cartographie tout et n’importe quoi : l’épluchage du maïs, les romans, les insectes et toutes les manifestations du quotidien. Cette volonté encyclopédique de tout réduire à un système logique le rassure, lui qui est si souvent affolé par la complexité du monde. « Je devais constamment lutter contre l’étrange poids de l’entropie pour éviter d’étouffer dans ma chambre minuscule, remplie à ras bord des sédiments d’une vie de cartographe. » (p. 13) Ce petit génie est loin d’être le membre le plus étrange de la famille Spivet. Sa mère, le Dr Clair, est une entomologiste saugrenue obsédée par un insecte qu’elle traque depuis des années. Son père est un cow-boy taiseux qui n’entend rien aux sciences et aux recherches de son fils et de sa femme.

T. S. Spivet reçoit un jour un coup de téléphone qui bouleverse son existence. Pour avoir envoyé un dessin d’insecte à un grand institut scientifique, il a remporté le prestigieux prix Baird pour la popularisation de la science. Convaincu que sa famille ne peut pas comprendre sa réussite, il décide de partir seul à Washington pour récupérer son prix. Lesté d’une valise bourrée à craquer, il se lance dans une folle traversée de l’Amérique à bord d’un train de marchandises. Au cours de son vagabondage ferroviaire, il lit le journal d’Emma, son arrière-arrière-grand-mère et découvre une part inconnue de l’histoire de sa famille.

À Washington, T. S. étonne tout le monde par son jeune âge et ses aptitudes. « Comment apparaît un enfant prodige ? Toi, T. S., est-ce que tu avais une prédisposition innée, je veux dire est-ce que c’est quelque chose que tu avais dès le départ dans ton cerveau, ou est-ce que c’est quelqu’un qui t’a tout appris ? / Je sais qu’on naît tous avec une carte du monde dans notre cerveau. Une carte du monde entier. » (p. 371) Mais T. S. Spivet, bien que prodigieusement intelligent, doit encore comprendre l’essentiel, le vrai sens de la vie.

L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet est un excellent roman d’initiation pour les jeunes lecteurs, mais aussi pour les plus âgés. Ce livre est en outre un bel objet tant les multiples illustrations renforcent le plaisir de lecture. Voilà un livre de poche aux dimensions étonnantes, mais il fallait bien ça pour laisser toute leur place aux marges qui accueillent tant de croquis, de schémas et d’appareil métatextuel. L’ouvrage s’achève sur un entretien de Jean-Pierre Jeunet qui a adapté le roman au cinéma. Rien de tel pour me donner envie de voir le film !

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Billevesée du dimanche #95

Je cherchais une information autour du mot Post-it, à savoir si le nom de cet objet renvoie à l’action de poster quelque chose. Oui, je suis bilingue, ça crève les yeux. Bref, soit j’ai mal cherché, soit pas assez, mais je n’ai rien trouvé.

Donc, aujourd’hui, strict minimum, je copie/colle un morceau de l’article de Wikipédia. Voilà le genre de petites informations que j’aime beaucoup !

  • Il a été calculé qu’il faudrait 506 880 000 Post-it pour faire le tour du monde.
  • Les Français sont les premiers consommateurs au monde de blocs par an. (Et à moi seule, j’assure une belle proportion de cette consommation…)
  • En 1996, un technicien de l’aéroport de Las Vegas déposa un Post-it sur le nez de l’avion, lequel resta scotché jusqu’à sa destination, à Minneapolis, malgré la vitesse de 800 km/h et la température de -15°C.

Alors, billevesée ?

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Vent d’Est, vent d’Ouest

Roman de Pearl Buck.

Kwei-Lan a été élevée dans le respect des traditions chinoises. Fiancée depuis toujours à un homme qu’elle n’a jamais vu, elle se prépare vertueusement au mariage. Hélas, son futur époux a fait des études de médecine en Occident et il rejette les superstitions et les coutumes ancestrales. Dans les premiers temps du mariage, Kwei-Lan tente de séduire son époux en déployant l’éventail de ses charmes et de ses vertus, dans la pure tradition chinoise, mais c’est peine perdue. « Mon mari ne désire rien de moi. Il n’a besoin de rien que je puisse lui donner. » (p. 60) Se sentant désemparée et inutile, Kwei-Lan décide de s’intéresser à ce qui passionne son époux et de comprendre sa façon de penser. Par amour pour lui et pour lui plaire, elle accepte de débander ses pieds et de s’ouvrir un peu à ce qui vient de l’Occident, même s’il est lui difficile de le concilier avec son éducation orientale. Désormais, Kwei-Lan n’écoute plus la voix de sa mère, mais celle de son époux. « Mon mari est un sage. Il connaît toutes choses, et ne dit que ce qui est vrai. » (p. 96) Son mari la veut son égale, mais elle lui reste dévouée et fait de lui son seigneur, même si elle accepte de laisser derrière elle l’ancestrale soumission des épouses pour leur mari.

Quand enfin, ils ont un enfant, la jeune femme croit son bonheur complet. Mais c’est compter sans le retour de son frère. Lors de ses études à l’étranger, il a rencontré une Américaine et souhaite l’épouser, mais cela va radicalement à l’encontre des volontés de la mère de Kwei-Lan qui ne peut tolérer que son héritier s’unisse à une étrangère. « Serait-il donc permis à mon frère de tuer sa mère ? Il devrait savoir que les manières peu filiales d’Occident lui sont insupportables. C’est honteux qu’il oublie ainsi son devoir ! » (p. 142)

J’avais beaucoup aimé La mère de Pearl Buck : elle y peignait la vie traditionnelle d’une femme chinoise, entre mariage, enfants et soumission aux anciens et aux dieux. Dans Vent d’Est, vent d’Ouest, l’auteure montre l’ouverture de la Chine au monde et la rencontre entre Orient et Occident, le premier étant convaincu d’être supérieur au second. Les deux cultures s’entrechoquent et il ne tient qu’à leurs membres de savoir s’accommoder du changement. « Apprenez des étrangers ce qu’ils ont de bon, et laissez de côté ce qui ne convient pas. » (p. 110) Kwei-Lan s’adresse à quelqu’un qu’elle appelle « sa sœur » : impossible d’en savoir plus sur cette interlocutrice, mais il me semble que la narratrice s’adresse aux lectrices, tant ce qu’elle raconte touche surtout la condition féminine dans le monde entier. J’ai apprécié cette lecture à la fois touchante et pleine d’espoir.

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Le lapin exterminateur

Roman de Henri-Frédéric Blanc.

C’est le réveillon de Noël. Radock, ancien marin et pochard notoire, est expulsé de son domicile. Tout au long de la journée, il va errer dans Paris, chercher quelqu’un pour lui payer un verre, écouter des histoires étonnantes et rencontrer des personnages hauts en couleur.

Ce résumé vous paraît anormalement court par rapport à ce que j’ai l’habitude de produire ? C’est normal : ce roman est très difficilement racontable. C’est une suite de rencontres et de monologues aux allures de logorrhées. La langue est familière et joue abondamment avec l’oralité et l’argot, mais on ressent une aisance et une parfaite maîtrise des mots. Le ton est volontiers cynique, voire féroce et le narrateur s’en prend à l’économie, à l’art, à la société et égratigne à plusieurs reprises les esprits bien-pensants, petit-bourgeois et bourgeois bohème. Radock a un don pour faire parler les gens bornés qui se plaisent à exposer des raisonnements foireux dont ils ne démordront jamais. Ajoutez des noms d’oiseaux qui fusent si nombreux et si réguliers qu’on pourrait chanter une nouvelle chanson, dans le genre « Ouvrez, ouvrez la cage aux gros mots ». Cela dit, c’est normal, quand on s’appelle Radock et qu’on est un marin imbibé de whisky, il faut faire honneur à son homonyme de phylactères !

Vous voulez une réflexion bien sentie sur la soupe que les librairies nous vendent à toute force ? En voici une pas piquée des vers ! « Là, rayon littérature allégée : 0 % de matière grise, 0 % d’idées, 0 % d’esprit critique : des best-sellers dorés, brillants comme des boîtes de chocolats. Robinets de mots pour passer le temps, détendre le cerveau, aider les vieilles dames à digérer, entre la compote biologique et la tasse de tilleul. Piles babéliennes de merdo-littérature. Montagnes de non-livres se dressant avec majesté dans les plaines de la Bêtise. » (p. 34)

Votre truc à vous, c’est plutôt les dialogues loufoques et hilarants ? J’ai ce qu’il vous faut, ma bonne dame. Il y en a un peu plus que prévu, je vous le laisse, ça va de soi. « Verbeck. – Votre bêtise adjutantesque constituera toujours pour moi un inépuisable objet de fascination. / Ducruchet. – Dites donc… Vous insultez un ancien fonctionnaire… / Verbeck. – Non seulement je vous ai insulté, mais je récidive, je redonde et je réitère : vous êtes une patate tardive. » (p. 97)

Vous, je vous vois venir, vous cherchez à comprendre le pourquoi du comment du titre ! Voilà, voilà, ça vient, poussez pas derrière ! « Le lapin, c’est la Bête du Jugement dernier, le destructeur des mondes, l’animal final décrit dans l’Apocalypse de saint Jean : « Alors je vis la bête des bêtes se lever sur la terre et elle avait deux longues oreilles et agissait comme un dragon, et elle fit des prodiges d’horreur. » / Et pourquoi le saint Jean en question, il n’a pas écrit simplement « lapin » ? / En Palestine, on ne connaissait pas le lapin, il n’existait aucun mot pour le désigner. » (p. 119)

Ah, vous, vous aimez quand on est politiquement incorrect ! À la vôtre ! « La seule manière de rentabiliser le tiers-monde, c’est d’en faire une réserve gratuite d’images chocs ! » (p. 179)

Vous, vous préférez les auteurs maudits qui se tirent une balle dans le pied ? Asseyez-vous et profitez du spectacle. « Le lapin exterminateur, du Grand Méchant Blanc, le roman qui donne le coup de grâce à la littérature ! Déjà cinquante-huit lectures frappés de crise cardiaque, dont 46 en âge de reproduire ! » (p. 100)

Si vous aimez l’humour noir quand il visite le théâtre de l’absurde, il faut lire Le lapin exterminateur et vous en payer une bonne tranche. Si vous êtes shocking dès qu’on fait un pet plus haut que l’autre, passez votre chemin. Je ne me l’explique pas vraiment, mais j’ai fabuleusement aimé cette lecture !

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La case de l’oncle Tom

Roman de Harriet Beecher-Stowe.

Tom est un esclave travailleur, intelligent et honnête. « Mon âme ne vous appartient pas. Vous ne pourriez pas vous la payer. » (p. 134) Il est bien traité chez Mr Shelby, mais ce dernier, affrontant des revers financiers, est contraint de le vendre pour éponger ses dettes. Tom est séparé de sa femme et de ses enfants. Rapidement acheté par Mr Sainte-Clare, Tom n’est pas malheureux, même si sa famille lui manque. Il se prend d’affection pour la jeune Eva Sainte-Clare, une enfant douce et sensible à la condition des esclaves. « L’amitié de Tom et Eva grandissait toujours. Tom aimait Eva comme quelque chose de fragile et de divin. Il la contemplait avec tendresse et respect. » (p. 91) Hélas, il est dit que la vie de Tom ne sera que peine et déchirement. La liberté tant désirée lui échappe toujours et il désespère de trouver la paix. En parallèle, on suit le destin d’Elisa, George et Henry, une famille d’esclaves qui a choisi de fuir pour éviter d’être séparée.

Ce court roman déborde d’un manichéisme simple : les méchants esclavagistes et les esclaves perfides d’une part, les bons maîtres et les esclaves honnêtes d’autre part. « Il y a deux types de maîtres. Nous faisons partie des bons maîtres qui détestons être sévères. Il est donc plus difficile d’obtenir quelque chose, et il faut beaucoup de tact et de délicatesse. Alors, je préfère laisser les choses aller. Et je ne veux pas faire fouetter ces pauvres diables. » (p. 73) Plutôt que d’opposer les blancs aux noirs, Harriet Beecher-Stowe oppose les natures humaines, montrant qu’il y a des bonnes âmes dans toutes les cultures et toutes les populations. Sans faire aveu de culpabilité, l’auteure développe une réflexion sur l’esclavage et la libération des esclaves. « C’est absurde de parler du bonheur que peuvent connaître les esclaves. Travailler toute sa vie, du matin au soir, sous l’autorité d’un maître… et cela juste pour un peu de nourriture… C’est une honte. » (p. 76)

Voilà longtemps que je voulais lire ce classique de la littérature américaine et je suis ravie d’avoir enfin procédé à cette lecture. Elle est très accessible aux jeunes lecteurs et elle résonne en moi avec tous les textes sur l’esclavage et les noirs américains que j’ai déjà lus.

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Le portrait

Roman de Jean de Palacio.

Maurice Ghuilon poursuit un objectif obsédant : sauver de la disparition et de l’oubli les langues menacées. « Il était devenu chasseur de langage, idiomes singuliers, langues perdues ou en voie de disparition. Les langues l’intéressaient plus que les espèces. » (p. 21) Sa quête s’accompagne de la recherche incessante d’Élisabeth Wehland, une femme insaisissable dont il veut faire le personnage principal de son roman. Aidé par Françoise Grandterre, Maurice constate que le langage courant est malade : c’est une lèpre des livres qui se répand. « Les langues, comme les êtres, ont donc des maladies, une vieillesse, un déclin. » (p. 41) Les mots s’effacent des dictionnaires et les verbes perdent certains de leurs modes. « Comment désormais énoncer : ‘Être ou ne pas être ?’ faute d’infinitif ? La plus célèbre interrogation de la scène s’abolissait ainsi, et, avec elle, tout le théâtre. » (p. 27)

Maurice est incapable de vivre dans le monde actuel, lui qui trouve « que les voix disparues avaient un écho plus profond, peut-être, que les voix entendues. » (p. 19) Obsédé par les hapax et les mots disparus, il veut créer sa propre langue, langage exhumé du passé. « Maurice mourait successivement avec chaque langue disparue, renaissait avec chaque langue retrouvée. » (p. 98) Hélas, s’il est le seul à maîtriser ce langage fait de bric et de broc, cette langue nouvelle est également vouée à disparaître puisqu’elle n’est pas partagée. Le serpent se mord ainsi la queue et la disparition du langage va de pair avec la décadence effrénée du monde.

Jean de Palacio, dont j’ai déjà apprécié l’érudition dans son essai Figures et formes de la décadence, signe un court roman teinté de fantastique. Entre jeux de mots et réflexion sur le langage, il travaille la page pour la faire coïncider avec son propos, comme dans un calligramme privé de ses mots. J’ai vraiment aimé ce roman, sauf – et c’est un problème ! – le premier et les deux derniers chapitres qui renvoient directement au titre puisqu’il est question d’un énigmatique portrait d’homme qui fascine son acquéreuse. J’ai été incapable de faire le rapprochement entre ces chapitres et le reste du roman. Dommage !

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La lumière

Roman de Torgny Lindgren.

Jaspar part en ville chercher une femme : il ne l’a jamais vue, mais il sait parfaitement à quoi elle ressemble. Il sait qu’elle est faite pour lui. Hélas, il ne la trouve pas et il rentre bredouille à Kadis, son village. « Il pleura la femme qui n’existait pas, autant que si elle était morte plutôt que ne pas exister. » (p. 14) Il ramène de son vain voyage une lapine : la femelle est enceinte, grosse d’une portée qui s’annonce exceptionnellement nombreuse. Mais la lapine est également porteuse de la peste et sa venue à Kadis décime le village.

Une fois que la grande maladie a fini ses ravages, il ne reste que six personnes à Kadis : Borne, Bera, Ädla, Könik, Eira et Önde. « L’homme est une petite puce face à la grande maladie. » (p. 38) Les survivants explorent alors les bas-fonds de la nature humaine, comme si ne pas être morts leur donnait le droit de repousser les limites du possible. Ils dépouillent les défunts et s’approprient des héritages qui ne leur reviennent pas. Ils mentent, trompent et commettent les pires péchés, comme l’inceste ou la luxure. « Ce qui est honteux, c’est le mal. On reconnaît le mal à la honte. » (p. 124) Privés d’autorité morale, judiciaire ou religieuse, les survivants ne savent plus ce qu’est l’ordre et le calme, mais ils ne cessent pas de vouloir les trouver. « Si personne ne nous juge nous et tout ce qui s’est passé avec nous, alors nous allons nous enfoncer de plus en plus profondément dans l’absurdité et la perdition. » (p. 239)

Dans ce roman, le lapin est à la fois une figure haïe et providentielle. « J’observe les lapins. […] Ils sont en quelque sorte des créateurs, ils procréent sans cesse et évitent la mort. » (p. 79) C’est par cet animal que le mal arrive et que tout part à la dérive à Kadis. « Les lapins n’étaient sans doute pas responsables du désordre et de la confusion, mais ils les représentaient. » (p. 162) Comme il est propre à cette espèce animale, les lapins ne cessent de se reproduire. Peu importe que les humains tentent de les exterminer ou de les pourchasser, ils sont toujours là, démons et bons génies familiers. « Et je vois des lapins partout, dit Könik. / Oui, dit-elle. Il y a des lapins partout. » (p. 146) Et le lapin qui a présidé au commencement de l’histoire est encore là à la fin, comme dans une boucle qui lie les choses éternellement.

La lumière est un conte philosophique, cruel et violent, mais très poétique. Dans cette immense parabole, les damnés sont les vivants et leur rédemption n’est pas assurée. Rechercher la lumière n’est pas aisé et les survivants l’apprennent à leurs dépens en commettant toutes les erreurs possibles. J’ai plongé dans ce roman avec passion, éblouie par la plume riche et poétique de Torgny Lindgren, auteur qui m’était parfaitement inconnu. Moi qui suis d’ordinaire plutôt hermétique à la littérature nordique, je vais m’empresser de découvrir d’autres textes de ce superbe auteur.

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La promeneuse d’oiseaux

Roman de Didier Decoin.

En 1880 dans les états d’Alderney, petite île anglaise, Sarah McNeill a dix-neuf ans. Depuis l’enfance, elle est presque muette à cause d’un accident et elle estime qu’elle a bien peu de chances de trouver un époux. « Parce que vous croyez que la vie serait tellement plus belle si vous pouviez hurler ? Tenez, je peux hurler, moi […] et qu’est-ce que ça me rapporte ? Ça réveille les coqs et les chiens m’aboient au cul. » (p. 81) Un soir de bal, elle rencontre Gaudion, maraîcher breton en déroute sur les côtes d’Alderney. L’homme se plait à séduire l’innocente d’un seul baiser. Dès lors, Sarah est amoureuse et elle décide d’être aussi fidèle à Gaudion que le fut Lady Jane Franklin à son époux, capitaine disparu dans les mers boréales. Pendant des mois, elle attend le retour du maraîcher à Alderney, mais il devient évident qu’il ne reviendra pas. Cela ne suffit pas à décourager Sarah qui décide de quitter sa famille en catimini pour gagner Londres où elle suppose que Gaudion l’attend. Et peu importe tous ceux qui essaient de lui ouvrir les yeux. « Ce n’est pas pour vous chagriner, mademoiselle McNeill, mais les hommes libres, ça leur chante souvent de changer de port d’attache. Peut-être qu’il ne reviendra pas avant longtemps. Ou même jamais. » (p. 132) Après tout, puisque Sarah aime Gaudion, il est évident qu’elle doit en être aimée de retour.

À Londres, elle travaille pour Mortimer Pook, taxidermiste qui alimente les maisons riches en oiseaux empaillés. D’un bout à l’autre de la ville, Sarah livre les oiseaux et ne cesse de chercher Gaudion. « Puisque lady Jane avait financé cinquante-deux expéditions, Sarah décida qu’elle résisterait cinquante-deux fois à l’attirance qu’un homme, autre que Gaudion, pourrait exercer sur elle. À la cinquante-troisième occasion, elle céderait. » (p. 224) Pour payer ses recherches, Sarah commet de menus larcins dans les maisons riches où elle livre les oiseaux. Hélas, quand elle passe en Normandie où une fausse piste l’a envoyée, ses crimes la rattrapent. Et toujours pas de Gaudion. Faudra-t-il que tous les sacrifices de Sarah aient été vains ?

Sarah est un personnage fascinant. Elle n’est pas très instruite, mais elle est têtue et pleine de ressources quand il s’agit de l’homme qu’elle a choisi. Aiguillonnée par l’amour, elle est prête à tout pour retrouver Gaudion. « La beauté de Sarah n’était ni dans les traits de son visage, ni dans sa silhouette, elle était dans sa certitude de trouver Gaudion, et qu’ils s’aimeraient. » (p. 322) Mais l’imagination follement romantique de la jeune fille est cruelle puisque Sarah aime en vain un homme qui n’a jamais fait cas d’elle. Quant à la fin de l’histoire, elle est terriblement cynique et saupoudre de ridicule la quête éperdue d’une jeune ignorante amoureuse.

J’avais beaucoup aimé John l’enfer du même auteur. J’ai bien fait de suivre les conseils d’une copine lectrice en acquérant ce roman. D’aucuns le trouveront peut-être niais, mais l’histoire est charmante en dépit des douleurs qu’elle présente, avec un je-ne-sais-quoi de très poétique et de très doux.

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Billevesée du dimanche #94

Llanfairpwllgwyngyllgogerychwyrndrobwllllantysiliogogogoch. Oui, j’ai bien dit Llanfairpwllgwyngyllgogerychwyrndrobwllllantysiliogogogoch. Non, ce n’est pas une insulte du capitaine Haddock, ni une formule à la Supercalifragilisticexpialidocious, ni un éternuement.

Llanfairpwllgwyngyllgogerychwyrndrobwllllantysiliogogogoch, c’est le nom d’un village du Pays de Galles, pour de vrai. C’est le plus nom de ville le plus long en Europe, avec 58 caractères. Traduction pour ceux qui ne parlent pas gallois, ce nom signifie : L’église de sainte Marie dans le creux du noisetier blanc près d’un tourbillon rapide et l’église de saint Tysilio près de la grotte rouge. À ce niveau de détail, ce n’est plus un nom de ville, mais l’ancêtre du GPS !

Alors, billevesée ?

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Une étoile pour toi

Album jeunesse de Michel Gay et Josette Chicheportiche.

Blandine la petite lapine a donné une fête pour tous ses amis. Mais voilà le soir, il faut se séparer. Tous les amis rentrent chez eux pour se coucher. Blandine, elle, n’a pas du tout sommeil. Elle demande à Grand-Père Lapin pourquoi il fait nuit et pourquoi il faut se coucher. « Personne ne peut éteindre le soleil. Le soir, il disparaît simplement derrière la forêt, et la nuit tombe. » Cela ne suffit pas à Blandine. Alors, Grand-Père lui raconte que chaque enfant a une étoile qui veille sur lui quand il est couché. « Pour que ton étoile brille, il faut d’abord que tu dormes. » Enfin, Blandine est fatiguée et elle s’endort. Dans le jardin, Grand-Père regarde l’astre de Blandine. « Hum, elle est belle, l’étoile de ma petite-fille. Elle brille bien. » Et dans le ciel, toutes les étoiles des enfants dansent et illuminent la nuit.

Ce livre raconte une histoire tendre et douce et ce petit album est idéal pour accompagner le coucher des petits. Je ne suis jamais déçue avec les ouvrages de L’école des loisirs et je prends toujours autant de plaisir à les lire, peut-être plus que quand j’étais petite.

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Mon sourire pour guérir – Sauvée par un veilleur de vie

Témoignage de Sandra Dam-Maso. Écrit avec la collaboration de Sophie Adriansen.

Deux paragraphes de la quatrième de couverture résument très bien ce livre bouleversant.

À 27 ans, Sandra découvre qu’elle a une leucémie aigüe. Malgré les semaines d’isolement en chambre stérile, les chimiothérapies successives, la contrainte du port d’un masque, elle ne se laisse pas abattre, soutenue par ces proches et une équipe médicale admirative de sa bonne humeur. Sauvée grâce à un donneur de moelle osseuse compatible – un « veilleur de vie » –, elle vit désormais dans un corps qui n’est plus tout à fait le sien.

Sans se plaindre, ni aggraver la situation, mais sans rien enjoliver, Sandra raconte les séances de chimiothérapie, les semaines d’isolement en chambre stérile, les douleurs, les effets secondaires. « C’est fou comme la maladie, parfois, me fait faire des caprices d’enfants. » (p. 81) Dès l’annonce de la maladie, elle a fait le choix du courage et de l’optimisme. Pour botter les fesses à la saloperie qui court dans son sang, elle a pris le parti de lui sourire. Sourire, ça ne soigne pas, mais ça tient à distance le désespoir et ça donne une chance supplémentaire de guérir. « Ce n’est pas pour rien que je refuse la visite des gens tristes. » (p. 41) Aujourd’hui, Sandra est guérie grâce au don généreux et désintéressé d’un Italien anonyme. À sa manière, elle continue de se battre, plus contre la maladie, mais pour le don de moelle osseuse. Elle a créé l’association La chauve qui sourit qui percevra une partie des droits d’auteur de ce livre. Mais il ne s’agit pas que d’argent : il s’agit de sensibiliser les gens à la greffe de moelle osseuse et le témoignage de Sandra est un appel au don. « J’aimerais que tous ceux qui le liront aient le désir, en le refermant, de s’inscrire sur le registre. » (p. 130)

Depuis quelques mois, je suis inscrite sur la liste des donneurs de moelle osseuse. Cette démarche est simple, gratuite et anonyme. Pour moi, le sens de la vraie générosité, c’est être prêt à donner même si on n’est jamais compatible avec un malade, et donner sans jamais connaître son receveur, mais en sachant qu’on a peut-être sauvé une vie. J’ai lu ce témoignage la gorge nouée : j’ai l’âge de Sandra quand elle est tombée malade. Sans pathos, elle retrace son parcours de battante, avec les petites et les grandes peines de son calvaire. Soyons clairs, le style n’a rien d’exceptionnel, mais il n’est pas toujours besoin de poésie pour parler de cette chienne de vie et des beaux petits qu’elle peut donner.

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Le chat, tome 18 : La Bible selon le Chat

Bande dessinée de Philippe Geluck et de Dieu (co-scénariste).

Livre premier dans lequel Dieu va créer des tas de choses épatantes.

« Au commencement, il y avait les ténèbres… Et Dieu n’ayant pas encore créé la lampe torche, il éprouva quelques difficultés à trouver l’interrupteur… Et comme il s’était cogné, il appela ce jour ‘Le Big Bang’ et il se dit ‘Cela n’est pas bon’. » Oubliez votre catéchisme, voici la vraie parole de Dieu, telle que l’a entendue l’auteur. Commençons par la Genèse : autant vous le dire tout de suite, la création en 7 jours, c’est que des conneries ! Notre très Saint-Père étant un peu trop porté sur la bouteille, il s’est planté une ou deux fois, ou trois, avant de faire quelque chose de bien. Entre deux cuites, il s’attèle à la tâche et il peuple la terre et les cieux. « Et Dieu créa les oiseaux qui volent dans le ciel et il leur donna des noms d’oiseaux. Hirondelle, vautour, héron, mésange, pigeon, toucan, perdrix, albatros, mouette… Et dire que tout ça va nous chier dessus ! » Et n’oublions pas les relations troubles qu’il entretient avec la Mort (qui est blonde) et Pascal, un mouton qu’il aime sauter dans des parties endiablées… de saute-mouton !

Pauvre Seigneur, ce n’est vraiment pas une sinécure de créer la vie, mais rien n’empêche de le faire en rigolant. « Et celui-ci, nous l’appellerons ‘lapin’. Et il aimera les carottes et niquer. » En lisant l’évangile selon Geluck, on se signe en se marrant et on attend avec impatience le moment où Dieu va créer l’homme.

Livre second dans lequel Dieu va créer l’homme et la femme avec l’aide de son ami le mouton.

Avec son pote Pascal le mouton et après une sérieuse cuite, Dieu décide de créer un garde-chiourme pour maintenir l’ordre sur terre et parmi les créatures vivantes. Oui, Dieu a créé l’homme, mais ce n’est pas joli-joli, une sombre histoire de déni de grossesse. Dieu et Pascal se retrouvent donc comme deux couillons avec un môme à élever. Et ça promet… « Il faudrait faire voter une loi parce qu’il y a des gens qui vont nous dire qu’un enfant a besoin d’un papa et d’une maman et que ça va nuire à son épanouissement d’être élevé par deux mecs, dont un mouton. » Petite précision : si Adam ne doit pas manger de pommes, c’est parce qu’il est tombé dedans étant petit. Pauvre petit bonhomme, il grandit et il drague tout ce qui bouge. Il est grand temps de lui trouver une compagne. « Et le jour suivant, Dieu créa la femme et lui donna le nom d’Ève. / Dave ? / Non, Ève ! » Suit ce que l’on sait : Adam et Ève bouffent des pommes et sont éjectés du Paradis.

Désormais seul avec son mouton, Dieu observe les hommes se foutre sur la gueule. Un déluge plus tard, rien n’a changé et Dieu est fatigué de s’occuper de l’humanité. Il lui faut un peu d’aide sur terre, un porte-parole. L’histoire ne dit pas s’il est allé à la crèche, mais c’est Philippe Geluck qui est choisi. Amen, en vérité, je vous le dis : Dieu est humour et saint Geluck est son prophète. « Pour propager ma parole, tu publieras des albums de bande dessinée. »

L’Ancien Testament revu par le Chat, c’est désopilant, absurde et religieusement incorrect. Pour les fidèles du rire et de la rigolade, Geluck raconte la genèse de l’humour, des gags, des différents types de comique (de chute, de répétition, de répétition, de répétition, de situation, de mot, etc.) Les deux albums à l’italienne sont pieusement présentés dans un coffret où figure un divin chat qui reconnaîtra les siens. Alléluia, le Chat est vivant et l’humour n’a pas fini de ressusciter.

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Tom Pouce

Conte des frères Grimm. Texte adapté par Hélène Kérillis. Illustrations de Chiara Arsego.

Un couple de paysans se désespère de ne pas avoir d’enfant. Quand leur souhait est enfin exaucé, leur fils ne mesure qu’un pouce de haut, mais c’est assez pour ses parents fous de bonheur. Tom est un petit garçon intelligent et toujours prêt à rendre service. Sa petite taille attire l’attention de deux étrangers qui voudraient l’acheter pour l’exhiber dans des foires. « Vendre Tom ! dit le père indigné. Pas question, c’est mon fils ! » (p. 15) Le petit Tom décide malgré tout de suivre les étrangers et il va de mésaventures en mésaventures avant de retrouver son foyer et l’amour de ses parents.

J’aime beaucoup les contes et ceux collectés par les frères Grimm font partie de mes préférés. L’histoire de Tom Pouce offre une morale simple : ce n’est pas la taille d’un être qui compte, mais sa valeur et son intelligence. Les illustrations de Chiara Arsego sont vraiment très belles, douces et très riches. Ce court album est un très beau livre qui ravira les jeunes lecteurs.

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Le monde de Downton Abbey : Derrière les portes du manoir anglais

Livre de Jessica Fellowes. Photographies de Nick Briggs. À paraître le 11 octobre.

La série Downton Abbey, créée par Julian Fellowes, est selon moi une fiction historique parmi les plus réussies de ces dernières années. C’est donc avec un immense plaisir que j’ai retrouvé le Comte et Lady Grantham et toute la famille Crawley. « Downton Abbey résume toute la société anglaise. Le domaine a sa propre dynamique : pas de maître ni d’esclaves, mais un ordre établi dont l’harmonie dépend de la bonne volonté de chacun. » Entre les salles hautes et les salles basses du manoir, domestiques et aristocrates s’affairent au début du vingtième siècle. Tout commence avec le naufrage du Titanic qui remet en question le mariage de Mary, la fille aînée, et la transmission du domaine. L’arrivée de Matthew Crawley, lointain cousin, bouleverse les projets de la famille. Au-delà de l’intrigue intime et familiale, la série met en scène un début de siècle où tout change : le téléphone, l’électricité et l’automobile entrent dans toutes les maisons, les femmes réclament le droit de vote et la Première Guerre mondiale est sur le point d’éclater. La vie enclose et protégée de l’aristocratie anglaise touche à sa fin et doit composer avec la modernité. « Nous avons fait un rêve, ma chère, et maintenant il est terminé. Le monde vivait dans un rêve avant la guerre, mais il est réveillé et il lui a dit au revoir. Nous devons l’accepter. » (p. 263)

L’ouvrage de Jessica Fellowes est un très beau livre qui présente des anecdotes et des photos sur le tournage, mais également des documents d’archives et des témoignages historiques. Le chapitre consacré aux costumes est passionnant et donne envie de refaire sa garde-robe. Mon seul regret est qu’il n’y ait pas plus d’informations sur Violet, la comtesse douairière, incarnée par Maggie Smith. Ce personnage est un de mes préférés : j’aime le conservatisme entêté de cette vieille dame et son caractère bien trempé.

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Billevesée du dimanche #93

Je n’ai jamais eu de tirelire en forme de cochon : la mienne, c’était une tête de Bugs Bunny. Mais pourquoi les tirelires ont-elles la forme de dodus porcinets ?

Voici l’explication de Wikipédia :

En moyen anglais,, « pygg » était le nom d’une sorte d’argile utilisé dans la production de plusieurs objets, dont des bocaux et vases. On gardait souvent de l’argent dans des récipients de cuisine faits de ce genre d’argile, qui seront par la suite appelés « pygg jars ». Au 18e siècle, l’orthographe de « pygg » avait changé ainsi que le terme, devenant alors « pig bank ». « Pig » étant le mot pour « cochon » en anglais, le nouveau nom est à l’origine du style de la tirelire. « Piggy » est un diminutif de « pig ».

Le nom fut peut-être popularisé parce que les « piggy banks » sont surtout utilisés par les enfants, et le cochon est facile à créer avec de l’argile ; l’animal est également vu comme sympathique par les enfants. Une fois le nom associé à la forme et non à la matière de laquelle elle est faite, on commence à fabriquer les « piggy banks » de verre, de plâtre ou de plastique.

Selon une autre théorie, le nom « piggy bank » viendrait peut-être de l’agriculture. L’argent donné au « piggy bank » représenterait les vivres données par l’éleveur au cochon ; il dépense donc de l’argent, qu’il ne verra remboursé qu’une fois le cochon tué pour sa viande (représenté par le moment où l’enfant casse le « piggy bank »), que l’éleveur peut alors vendre.

Alors, billevesée ?

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Beloved

Roman de Toni Morrison.

Sethe est une ancienne esclave qui est hantée par le souvenir de son enfant morte, cette enfant dont elle a elle-même tranché la gorge. On dit que la maison qu’elle habite est hantée par la malédiction d’un bébé. « Pour un bébé, il est puissant le sort qu’elle jette, dit Denver. / Pas plus puissant que mon amour pour elle, répondit Sethe. » (p. 13) Au jour le jour, la mère assassine tente d’oublier son forfait et d’apaiser ses démons. « Pour Sethe, l’avenir reposait sur la possibilité de tenir le passé en respect. » (p. 65) Mais les souvenirs sont aussi collants que la mélasse et Sethe tente d’en protéger Denver, son autre fille, une enfant un peu sauvage.

Voilà que survient Beloved, une jeune fille qui porte une longue cicatrice autour du coup. Est-elle la réincarnation du bébé assassiné ? L’inconnue se rapproche de Sethe et s’accroche farouchement à elle. Pour Sethe, c’est certain, c’est son enfant qui l’a retrouvée. « Beloved, elle est ma fille. Elle est à moi. Voyez. Elle est revenue à moi de son plein gré et je n’ai rien besoin d’expliquer. » (p. 278) Hélas, il semble bien que Beloved n’incarne pas la rédemption tant espérée par Sethe, mais bien son châtiment fait de chair et de sang. « Denver croyait comprendre le lien qui existait entre sa mère et Beloved. Sethe essayait de se racheter pour la scie à main. Beloved la lui faisait payer. Mais il n’y aurait jamais de fin à cela, et voir sa mère diminuée lui faisait honte et la mettait en fureur. » (p. 345) Alors, Beloved est-elle bien ou mal nommée ?

Il s’en est fallu de peu que ce roman soit un véritable coup de cœur. D’abord totalement happée par l’écriture de Toni Morrison, si poétique et incantatoire, j’ai fini par en être écœurée. Les constants aller-retour entre passé et présent m’ont également perdue et la brouille volontairement entretenue dans la chronologie a eu raison de mon attention. J’ai fini ce roman en le survolant et je le déplore parce que j’avais vraiment envie d’y rester plongée. Mais j’ai manqué d’air, comme ce fut le cas avec Un don de la même auteure. Toutefois, j’ai très envie de voir le film avec Danny Glover et Oprah Winfrey.

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Le journal de Catherine

Bande dessinée de Cabu.

Au pensionnat des Oiseaux, institution religieuse pour jeunes filles, la jeune Catherine aimerait bien être ailleurs. Elle et les autres pensionnaires ne pensent qu’à ça. À quoi ? Mais à ça ! Aaaah, ça… Autrement dit, à quoi ressemble-t-il, ce fameux loup ? Le temps d’une semaine, Catherine cache un jeune marlou dans le pensionnaire, espérant en faire un homme meilleur. « Il a tant besoin de chaleur humaine. La panière à linge sale est sa cachette favorite. » Derrière les grilles du pensionnat, il y a tout un monde que les jeunes filles brûlent de découvrir. Quand Catherine rencontre un jeune séminariste un peu gauche, elle revisite le chemin de croix et il y a plus de stations couchées que dans mon souvenir. Et que dire des religieuses qui gèrent le pensionnat ! Les bonnes sœurs sont tout simplement dépassées par les facéties et les entourloupes des jeunes filles et sont bien incapables de tenir leurs ouailles.

J’ai découvert le trait de Cabu. Au premier regard, le dessin semble griffonné sur un coin de table, voire sur un coin de nappe, mais à y regarder de plus près, il y a une foule de détails. Le dessinateur porte un regard sans concession envers la religion bornée et conservatrice et il pratique un humour potache qui tache. Que pensez-vous d’« un prêtre-ouvrier qui passera bientôt prêtre-contremaitre » (p. 113) ? C’est une bande dessinée plutôt sympathique, mais qui a un peu vieilli. Elle se lit avec tendresse et nostalgie, mais elle ne me laissera pas un souvenir impérissable.

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