La Cucina

Premier roman de Lily Prior.

« La ‘cucina’, c’est le coeur de la ‘fattoria’ et la toile de fond sur laquelle s’inscrit la mémoire de notre famille, les Fiore. » (p. 35) Rosa est la seule fille de la famille Fiore, installée depuis des générations dans le village de Castiglione, en Sicile. Née sur la table de la cucina familiale, entre une pâte prête à lever et des filets d’anchois, Rosa fait très vite de la cuisine son lieu d’élection. Réputée pour ses talents de cuisinière infatigable, Rosa puise réconfort et force dans la préparation de plats typiquement siciliens. Après la mort de Bartolomeo, son premier amour, elle quitte Castiglione pour Palerme. Pendant vingt-cinq, elle enterre sa nature ardente de femme gourmande entre les quatre murs d’un minable logement et les stricts rayonnages de la bibliothèque de la ville. Un matin, elle rencontre l’Inglese, un étranger aux manières délicieuses. Rosa redécouvre la vie et le plaisir auprès de lui. Mais en Sicile, la famille garde toujours un œil sur ses membres égarés, et la famiglia, c’est toujours un peu la Mafia.

Le prologue de cette puissante histoire est énigmatique. Paragraphe surgi de nulle part, on se doute qu’il faudra revenir en arrière pour comprendre ce qui a permis l’accomplissement de cette scène aux teintes orgiaques. Le lecteur devient immédiatement voyeur, introduit de force dans une intimité chaude et odorante. Rosa, narratrice éloquente et impudique, organise son récit et sa vie en quatre parties, en quatre saisons qui offrent chacune leurs délices gastronomiques et amoureuses.

Tout au long du roman, cuisine et violence vont de pair. Rosa se bat contre les ingrédients pour leur donner forme, elle cogne et pétrit la pâte avec rage. La scène de la mise à mort du cochon est une réussite du genre. Cette « catharsis culinaire » (p. 40) intervient à plusieurs reprises. A chaque perte intime, Rosa cuisine, et avec panache. L’abondance de plats qui sortent de sa cuisine est digne des orgies romaines. Comme partout, on mange pour noyer le chagrin, pour surmonter la perte et l’absence, pour continuer à vivre.

La cuisine est aussi sensualité. Au-delà de l’élémentaire besoin de se nourrir, la gastronomie ouvre les portes du plaisirs. Si Rosa initie l’Inglese aux plaisirs de la confection culinaire, celui-ci lui fait découvrir l’immensité des plaisirs physiques, bien au-delà de la simple fornication. « L’art amoureux et l’art culinaire se complètent admirablement. » (p. 142) Ode aux plaisirs de la chair et de la chère, le roman se savoure page après page. Suivre un cours de cuisine avec Rosa, c’est continuer le voyeurisme, s’immiscer dans ses pensées, pétrir le même pain qu’elle et respirer les mêmes arômes capiteux. Entre L’art d’aimer d’Ovide et L’art culinaire d’Apicius, le roman de Lily Prior est un traité d’érotisme et de gastronomie qui se nourrit de références antiques, tels les textes d’Archestratos ou d’Athenaeus.

La Sicile est terre de Mafia. L’Etna, volcan nourricier et meurtrier, est une métaphore brûlante de la famiglia et de sa toute puissance sur l’île, et même au-delà, jusqu’à Chicago, où a prospéré un des frères de Rosa. Si la Mafia a ses mensonges et ses secrets, les familles de paysans ont les leurs, tout aussi cruels et violents. J’ai particulièrement apprécié la finesse avec laquelle l’auteure a introduit la Mafia, sorte de super-personnage ou d’entité aux contours flous, au sein de son récit, sans en faire une vulgaire histoire de borsalino ou de tête de chevaux ensanglantées.

Randolph Hunt, ou l’Inglese, est un personnage complexe, tout en mystères et en secrets. Britannique mais non flegmatique, l’homme est gourmand de tout, avide d’apprendre et de prendre, mais rétif à partager. Son ventre proéminent mis à part, je me suis représenté le personnage sous les traits du plus scottish des espions de sa Majesté, j’ai nommé Sir Sean Connery, aux belles heures de ses jours matures, loin du glabre jeune premier qui séduisait Ursula Andress en maillot blanc.

Au sortir de cette plaisante et divertissante lecture, menée à toute allure, j’ai été prise d’une furieuse envie de fusilli, de spaghetti, de cannelloni, de ciabatta… Pas de doute, l’auteure s’y connait pour nous mettre l’eau à la bouche ! Voilà un texte chaud et savoureux !

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