Recueil de nouvelles de Marguerite Yourcenar.
Comment Wang-Fô fut sauvé –
Wang-Fô, accompagné de son disciple Ling, sillonne les routes du royaume de Han. Arrêté par le Fils du Ciel, empereur tout puissant, il est accusé d’avoir mystifié la réalité en peignant des toiles d’une beauté telle qu’elle a illusionné le monarque et l’a rendu amer, avide de ce qu’il ne pourrait jamais voir ni avoir. Pour se sauver de la condamnation à mort qui pèse sur ses vieilles épaules, Wang-Fô doit faire de la peinture le plus puissant des charmes.
Première nouvelle du recueil, ce récit m’a toujours fait frissonner. Je doute toutefois que ce soit un texte accessible à des élèves de primaire. La langue est riche, savamment tournée et ornementée, ciselée comme une chinoiserie. Mais le message est intéressant à travailler pour éveiller la sensibilité artistique des jeunes enfants. La question de savoir si l’art est menteur est finement posée. L’empereur déplore la laideur et l’inachevé de l’univers : « Le monde n’est qu’un amas de taches confuses, jetées sur le vide par un peintre insensé, sans cesse effacées par nos larmes. » (p. 21) Ou alors, si l’art n’est pas menteur, est-ce lui qui crée le monde? Qui doit son existence à l’autre ? L’art est-il au service de la réalité, ou est-ce le contraire ?
Le sourire de Marko – Marko Kraliévitch, un chrétien en guerre contre la domination islamique dans le Monténégro antique, est soumis aux pires tortures. La seule qui manque de le faire plier est la plus douce des douleurs, le désir.
Le lait de la mort – À Raguse, trois frères tentent d’ériger une tour pour surveiller et prévenir les invasions barbares. Mais l’édifice s’effondre sans cesse. Il leur faut offrir aux pierres un corps vivant qui les soutiendra jusqu’au jugement dernier. Les trois frères décident de laisser le sort choisir laquelle de leurs épouses sera la sacrifiée. C’est la meilleure d’entre elles que le destin désigne. Mais la mort ne peut rien contre l’amour d’une mère et le lait coule d’outre-tombe.
Le dernier amour du prince Genghi – Genghi le resplendissant, au soir de sa vie, quitte son palais pour un ermitage dans la montagne. Lassé des apparats de la cour, il se recueille à la lecture des Écritures. Une concubine oubliée, la Dame-du-village-des-fleurs-qui-tombent, va retrouver son amant et devient la dernière de ses compagnes. Mais les souvenirs de Genghi sont incomplets, et il ne reconnaît pas son dernier amour.
L’homme qui a aimé les Néreides – Panegyotis, un jeune homme promis à un riche avenir, s’est laissé charmer par les Néreides. La raison lui a échappé après l’éblouissement charnel que lui ont procuré les étreintes magiques de ces créatures enchantées.
Notre-Dame-des-Hirondelles – L’anachorète Thérapion s’est établi sur les rives du Céphise. Il lutte contre les pratiques païennes des habitants. Les principales victimes de sa rage chrétienne sont les nymphes. Il les accule à la montagne, les privant de leurs repaires naturels et des offrandes des paysans. Recluses dans une grotte, elles n’osent traverser la chapelle que Thérapion a construite à flan de montagne. Une étrange visite dévoile au zélé moine la nature céleste des nymphes.
La veuve Aphrodissia – Aphrodissia, la veuve du pope assassiné par Kostis le Rouge, a plus d’un secret à dissimuler. Sa liaison coupable, ses trahisons envers son époux et son village, sa peur de la solitude sont autant de vérités inavouables qu’elle emportera dans l’au-delà.
Kâli décapitée – Kâli, pur joyau du ciel d’Indra, est décapitée d’un jet de foudre par des dieux jaloux. Contrits, ses assassins retrouvent sa tête et la déposent sur un corps qu’ils croient être le sien. Hélas, l’esprit de Kâli est désormais posé sur le corps souillé d’une femme sans vertu. Sur son passage, mort et désolation vont de pair avec éblouissement sensuel et terreur divine.
La fin de Marko Kraliévitch – Le héros chrétien trouve la mort dans un singulier combat face à un vieillard inébranlable.
La tristesse de Cornélius Berg – Ancien disciple de Rembrandt, connu pour son talent de portraitiste et de peintre paysagiste, Cornélius Berg n’est plus qu’un vieillard rongé par l’alcool, les souvenirs et les regrets. Son talent s’est envolé, et une certitude s’impose, « Dieu est le peintre de l’univers ». (p. 142) Que peut l’homme face à une telle évidence?
Ce recueil enferme des trésors de poésie. L’auteure alimente des mythologies millénaires avec des textes dignes des plus belles légendes du monde. Des rives de la Méditerranée aux contreforts des Balkans, l’Orient est un vaste continent chatoyant comme une étoffe damassée, brillant comme les huiles précieuses qui dorent les corps des femmes. À chaque page, il fait chaud, les odeurs lourdes des épices se déploient sous les ramures des oliviers et des cyprès.