Roman d’Alexandre Jardin.
En fermant Fanfan, on quittait Alexandre Crusoé aux pieds de sa dulcinée, les derniers mots d’une demande en mariage sur les lèvres. L’éternel amoureux qui se vouait aux préludes interminables semblait enfin décidé à affronter l’usure de l’amour. Sa belle Fanfan était enfin à lui. On le retrouve quinze ans plus tard, indécrottable célibataire et toujours séparé de Fanfan. « Désormais, [il] ne [veut] plus être aimé toujours par toutes, mais tous les jours par la même. » (p. 13) Fanfan sort d’un deuxième mariage et ne croit plus aux grandes passions. À l’approche de la quarantaine, elle est une femme d’affaires accomplie, reconnue pour ses talents d’organisatrice de mariage. Alexandre, lui, est abonné aux romans niais et pris au « piège de l’autofiction » (p. 44). Son éditeur, Dizzy, sur le point de franchir les portes de l’Académie française, veut un nouveau texte, de la nouveauté, pour relancer la carrière de son poulain et, avantage collatéral, remplir ses caisses. Aidé de Darius Ponti, le metteur en scène du film Fanfan, il tente l’impossible pour remettre Alexandre sur les chemins de l’écriture et du succès. Mais les beaux projets des deux entremetteurs sont fortement menacés par les foudres de Faustine d’Ar Men, chroniqueuse télévisée, qui tire son plaisir dans la démolition d’artistes et d’existences. Allergique au bonheur et au mariage, Faustine, fausse meilleure amie de Fanfan, tente par tous les moyens de créer une crise systémique qui détruirait la vie et les projets de la belle amoureuse et de son éternel chevalier servant. Autrefois ennemi de la routine, Alexandre impose aujourd’hui la charentaise et la robe de chambre à fleurs en objets de désir suprêmes.
Un acte II bien peu palpitant. Fanfan m’avait semblé mièvre, j’aurais tout de même du m’en tenir à ce premier tome. Quinze ans après est une longue et poussive palidonie.« Alexandre souhaitait s’actualiser sans délai. Il voulait se montrer éloquent contre son éloquence de jadis. […] Il allait tenter d’écrire une œuvre à rebours. » (p. 75) S’il change de discours, il ne change pas de technique. Alexandre reste un gamin qui joue à être amoureux, qui s’amuse à inventer des stratagèmes pour séduire sa belle. Si ce genre de manœuvres peut séduire une lectrice de 15 ans, ça ne prend plus sur moi. Je dirai même que ça m’agace. Le revirement systématique du personnage me semble incohérent. L’argument de la maturité ne marche pas davantage. La parenthèse qui sépare les deux actes de la romance sent l’artificiel à plein nez, comme s’il était possible pour deux êtres de ne vivre qu’à peine pendant quinze ans.
Seul le personnage de Faustine, Merteuil des temps modernes et salope cathodique, m’a plu. « Faustine possédait les qualités d’un bacille de méchanceté. » (p. 22) Enfin du caractère ! Après deux tomes de guimauve sirupeuse et gluante, Faustine agit comme un coup de fouet revigorant. Je ne partage ses conceptions délétères de la vie et de l’amour, mais au moins, ce personnage semble vivre pour de vrai, agir enfin ! Il est certain qu’avec une amie pareille, on n’a pas besoin d’ennemis. Cette gourde de Fanfan met bien du temps à ouvrir les yeux sur le caractère de la plus belle garce du PAF !
L’autofiction est au centre de ce texte. Difficile de savoir si Alexandre Crusoé est un avatar de l’auteur, si Fanfan existe, si l’histoire elle-même est vraie. Des indices poussent à répondre par l’affirmative. Fanfan a pour grande amie Sophie Marceau qui l’a incarnée dans le film Fanfan, Dizzy est élu à l’Académie à la place de feu Jean d’Ormesson (faudra penser à le tenir au courant…) Des éléments du réel interviennent dans l’histoire plus profondément que les simples éléments nécessaire au réalisme. Mais si l’histoire est vraie, qui est Faustine? L’autofiction est elle-même sujet de ce livre, en plus de la romance. Le sarcasme tient lieu de langage puisque le narrateur dit du texte qu’il est « hautement commercial, archi-personnel et farci de dévoilements dissimulés » (p. 67) et qu’il ajoute que « Quinze ans après, ça pue la naphtaline cinématographique et le bégaiement commercial. » (p. 160) Sur le dernier point, ce n’est pas moi qui le contredirais !
Avec sa psychologie de magazines féminins et ses tentatives grotesques de réécriture du langage amoureux voire de réécriture de tout le langage pour le rendre amoureux, ce texte ne m’a pas convaincue. Sans être une pasionaria du travail des Immortels, il me semble qu’il ne faut pas faire n’importe quoi de la langue. Et il faut aussi arrêter de vouloir trouver la formule magique de l’amour réussi. Il n’y a pas de norme, il n’y a que des expériences particulières en la matière. Avec sa façon de dire qu’il connaît mieux l’amour que tout le monde, l’auteur m’ennuie et m’agace.