Roman historique de Marguerite Yourcenar. Lettre Y du challenge ABC critiques de Babelio.
Ce qui commence comme une lettre à un jeune ami devient rapidement le récit d’une vie. L’empereur romain Hadrien, fils de Trajan, livre sous la plume de Marguerite Yourcenar ses mémoires et une certaine philosophie. Se dévoile un vieil homme malade au crépuscule de son existence. « Il est difficile de rester empereur en présence d’un médecin, et difficile aussi de garder sa qualité d’homme. » (p. 11) S’il est empereur, Hadrien n’en est pas moins humble et c’est sans aménité qu’il considère son existence : « quand je considère ma vie, je suis épouvanté de la trouver informe. » (p. 41)
Il revient sur sa jeunesse, ses études et ses années de soldat et de magistrat. On découvre alors chez l’homme un goût pour les plaisirs simples et un certain dénuement. Loin du faste qui illustra ses prédécesseurs, Hadrien se veut l’empereur de la simplicité et de la paix. « Je m’efforce que mon attitude soit aussi éloignée de la froide supériorité du philosophe que de l’arrogance du César. » (p. 64) Attaché à la Grèce et particulièrement à Athènes, il n’a de cesse d’introduire une élégante modestie dans toute chose. « La paix était mon but, mais point du tout mon idole : le mot même idéal me déplairait comme trop éloigné du réel. » (p. 144) Plutôt que conquérir et dévaster, Hadrien se veut bâtisseur : sous ses ordres s’érigent temples et villes, pour la grande gloire de l’empire romain.
Hadrien était aussi homme et soumis aux passions. Son bel amour est un jeune homme, presqu’un enfant. Antinoüs est grec et incarne l’idéal amoureux de l’empereur. « Je n’ai été maître absolu qu’une seule fois et que d’un seul être. » (p. 226) L’empereur se révèle alors sensuel et sensible. Sous ses mots, la simplicité exulte et le raffinement amoureux n’est jamais si précieux que quand il s’accompagne d’un éternel attachement.
Ses derniers mots sont courageux : « Tâchons d’entrer dans la mort les yeux ouverts. » (p. 423) Ils sont aussi prophétiques : sous la plume de Marguerite Yourcenar, l’homme restera vivant pour longtemps. Qu’il est bon d’écouter cet empereur et de suivre sa pensée sage. Tiré d’un oubli de pierre et de poussière, exhumé des manuels et des fresques, Hadrien resplendit une nouvelle fois. Et avec lui, c’est l’empire romain qui se relève un instant de ses ruines, c’est une civilisation qui redresse la tête face au temps et qui clame qu’elle n’est pas perdue.