Sept saisons

Roman graphique de Ville Ranta.

Dans le village très septentrional d’Oulu, en Finlande, la vie se déroule au rythme des saisons. Ici, on dit qu’il y en a sept tant le temps varie au fil des mois. Hans Nyman est candidat au poste de doyen des pasteurs. Alors que la rigueur luthérienne pèse déjà sur les habitants, un nouveau pasteur prêche le piétisme, courant luthérien qui se réclame d’une plus grande foi personnelle et d’une plus grande moralité, souvent au détriment de la connaissance. « Il prêche contre l’éducation et le savoir ! D’après lui, l’inculture est une vertu chrétienne ! » (p. 102)

La jeune Maria Piponius, revenue de trois ans de voyage avec sa sœur et son beau-frère, est sensible à ce mouvement tandis qu’Hans, bien qu’habité de bonnes intentions et de nobles ambitions, ne peut s’empêcher de trousser sa servante chaque nuit dans la cuisine. Au village, les langues vont bon train et l’on se moque de ce pasteur dévoyé. Alors que l’ancienne domination russe se fait encore sentir, les hommes et les femmes d’Oulu tentent d’avancer vers le XXe siècle, au sein d’une Finlande qui se découvre une identité propre.

Je suis toujours en quête de beaux romans graphiques et de nouvelles expressions en bande dessinée. C’est avec un immense plaisir que j’ai parcouru les très belles pages de l’œuvre de Ville Ranta. Le dessin, composé d’aquarelles griffonnées, est extraordinaire dynamique et vivant. Les visages et les corps des personnages ne sont pas beaux, mais les paysages, les marines et les scènes de foule sont à couper le souffle. Ville Ranta est un aquarelliste qui a compris que le détail n’est pas important quand l’ensemble est cohérent. Entre douceur et sensualité, les images présentent des êtres en proie au doute sous des cieux dont les nuances sont extrêmement fidèles à la nature.

Il y a sept saisons, car le temps est, comme les hommes, intrinsèquement composite. Tenter de réduire l’un ou l’autre à une seule déclinaison ne peut que faire perdre du sens et amoindrir la réalité. Dans la vision luthérienne, l’homme n’est que pécheur, mais la nature l’a voulu gourmand, curieux et sensuel. Ville Ranta dépeint de nombreux désirs refoulés et cachés qui explosent dans des pulsions parfois condamnables, mais impossibles à contenir.

Sans porter de jugement, l’œuvre présente une certaine société finlandaise, à la fois géographiquement isolée et intellectuellement enclavée dans des dogmes stricts et archaïques. « Que dit donc la Bible ? / Que si la femme veut augmenter son savoir, c’est à son mari qu’elle doit d’adresser. » (p. 34) Mais il ne s’agit pas uniquement de religion : il y a toute une morale à l’œuvre qui voudrait tenir les êtres dans sa main et balayer toute velléité d’indépendance. À Oulu, certains jours ne voient jamais la nuit et certaines nuits ne voient jamais le jour, mais il était tant que l’obscurantisme recule.

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