Marie-Louise Dallon a grandi dans la ferme de ses parents, avec sa sœur Letty et son frère James. Quand elle accepte la demande en mariage d’Elmer Quarry, qui dirige la boutique de draps de la ville, elle s’engage dans une union morne. « Elle s’était mariée moitié par impatience, moitié par ennui et elle avait été payée de retour, avec usure. » (p. 114) Le mariage est un échec et les époux cohabitent sans vraiment se rencontrer, sous l’œil aigre des sœurs d’Elmer, Rose et Mathilde, deux vieilles filles acariâtres qui n’ont jamais accepté l’union de leur frère avec cette fille trop jeune. La déception conjugale est mutuelle, mais les époux ne se haïssent pas. Ils se contentent de vivre côte à côte sans rien attendre. Et voilà que Marie-Louise renoue avec son cousin Robert, un jeune homme à la santé fragile. Une ancienne attirance renaît et devient une véritable affection. « C’est ainsi que son cousin lui a fait la cour, en la faisant accéder à l’univers d’un romancier : c’était la seule chose en leur pouvoir, lui, d’offrir, elle, de recevoir. Et pourtant la passion est née, seule forme de consommation de leur amour. » (p. 235) Hélas, cet éveil à la tendresse est de courte durée et Marie-Louise reste seule avec ses sentiments, prisonnière de son mariage et de l’attention suspicieuse de ses belles-sœurs. C’est dans un grenier qu’elle vit ses meilleures heures, entourée des souvenirs et des livres de son cousin.
Le lecteur découvre Marie-Louise des décennies après le début de son histoire, alors qu’elle vit dans un établissement de soin, traitée pour un mal que l’on suppose moins physique que mental. Solitaire et mutique, elle nourrit en elle le souvenir d’un amour non consommé, plus précieux que la parodie de mariage qu’elle a vécue. « Qu’elle et Robert se soient aimés était une chose, faire part de cet amour en était une autre. » (p. 131) Lourde d’un amour adultère et indicible, Marie-Louise souffre de cette affection secrète. Et, à l’instar des autres personnes, elle ne sait jamais se confier et avouer : dans l’Irlande des années 1960 peinte par William Trevor, dans cette petite ville sans agitation, on ne dit pas les choses tout haut, mais les rumeurs vont bon train et c’est dans le sous-texte qu’on apprend le plus de choses.
Fin et délicat, ce roman offre un émouvant portrait de femme porté par le style puissant de William Trevor. Qu’il me tarde de découvrir les autres textes de cet auteur irlandais !