Numéro 8 de la revue Billebaude, publiée par la Fondation François Sommer.
« Est-il une farce, avec ses déboulés soudains, ou un fléau, au vu de ses talents de rongeur ? Est-il une proie ou un jouet ? Est-il fait pour les garennes des bois ou pour le clapier de la fermière ? Tout cela à la fois. Il a même fallu que les filles de Playboy, en se parant de ses oreilles et de son surnom, lui donnent une dimension de symbole érotique… Quel autre animal de la Création peut se flatter d’avoir à son palmarès une telle gamme d’attributs ? Aucun. » (p. 1)
Museaux de lapins, par Sinje Dillenkofer
Le lapin. Qui ne sait pas mon affection pour ce petit animal ? Lui qui échappe aux modes de gestion de l’homme, soit qu’il prolifère de façon incontrôlable, soit qu’il s’avère impossible à réinsérer dans un milieu déserté, il pose de nombreuses questions. Quoi ? Une si petite bête, sans défense face aux prédateurs animaux et humains, la voilà capable de s’imposer en trop ou en creux . « Il n’est pas nécessaire d’étudier un animal prestigieux pour arriver à des conclusions intéressantes. Passons plutôt par un chemin souterrain, labyrinthique, celui qui est emprunté par le lapin. » (p. 8) Par sa présence ou son absence, il bouleverse les écosystèmes. Des garennes sauvages, puis artificielles, au clapier et aux batteries d’élevage, le lapin a longtemps été le gibier facile, la viande commune des foyers français. Mais ce plat populaire l’est de moins en moins et le lapin sort du répertoire alimentaire, comme le cheval en son temps, pour devenir un animal de compagnie. Mangeriez-vous du chien ou du chat ? Alors, pourquoi manger du lapin ? « L’homme se confronte à sa propre dualité : à la fois protecteur et chasseur, attendri et affamé. On admire le lapin parce qu’il s’enfuit, mais il nous énerve parce qu’il nous échappe. » (p. 57)
En région parisienne, il est partout, dans les trames grises et les emprises routières, ferroviaires et aéroportuaires. « À partir des Monts Gardés, la piste du lapin francilien se déploie et croise le chemin de chasseurs, d’agriculteurs, de gestionnaires, de promeneurs et de scientifiques. » (p. 36) Et que dire de l’Australie où il a été implanté par quelques Britanniques en mal de chasse ? Voilà notre petit lagomorphe comme chez lui, croissant et se multipliant, comme s’il répondait à une injonction divine. Hélas, mauvais calcul des hommes : impossible de maîtriser la prolifération de Jeannot Lapin ! Mais l’humain, persuadé d’être toujours le plus malin, reproduit des expériences à base de virus, notamment la myxomatose. Là encore, très mauvais calcul. « Personne ne maîtrise les armes biologiques, c’est du vivant qui s’étend, qui peut évoluer, devenir plus virulent, passer à une autre espèce, revenir sur l’attaquant. » (p. 44)
Pauvre petit lapin : chassé, massacré, dépecé, tu n’as pas la belle vie. Sauf quand tu deviens jouet ou peluche. Là, tu es adoré, câliné et autrement malmené, tripoté à l’excès par des petites mains voraces de tendresse. « Le statut de l’animal est devenu ambivalent : doudou, gibier, animal de batterie, on ne sait plus très bien à quelle sauce le manger. » (p. 46) Et dans l’imaginaire de Margery Williams et de Komako Sakaï, Le lapin en peluche revient à la vie : retour au vivant et à la nature. La boucle est bouclée.
Moi qui déteste les centres commerciaux, j’irais bien faire un tour autour de celui-là…
Nourrie d’une bibliographie, d’une iconographie et d’une filmographie importantes, cette revue est passionnante, bien qu’il y ait des photos insoutenables de dépeçage ou de massacre. Mon petit cœur de lapinophile a eu du mal à les regarder. J’ai cependant passé un excellent moment avec le numéro 8 (mon chiffre fétiche) d’une revue intelligente dont je vais consulter les archives et attendre les prochaines publications avec intérêt.