« Je reprends la tâche dont je voudrais qu’elle ne soit jamais terminée comme si, me souvenant, j’étais toujours avec elle, vivante, radieuse, rieuse, jeune, et nous avons encore devant nous une éternité de cet étrange bonheur qui fut le nôtre. » (p. 218) Maria Concepcion, reine de France et d’Espagne, vient de s’éteindre. Son amant de toujours, Girolamo de los Lloros, prend la plume pour raconter ce que les chroniques ne savent pas. « Je ne suis point le héros de cette histoire, seulement l’historien. » (p. 14) Infante d’Espagne, Maria a été élevée par son père pour devenir reine. Mariée à Édouard, roi de France, elle prouve à l’Europe qu’une femme dument instruite a les épaules pour régner et s’imposer dans la politique des hommes. Si Maria Concepcion a aimé son époux, elle a aimé encore plus Girolamo, garçon châtré qu’elle a sauvé de la mort quand elle n’était elle-même qu’une enfant. Ces deux-là ont grandi comme des âmes sœurs, inséparables et fusionnels, si ce n’est dans leur chair. « Tu ne sauras jamais combien tu m’aimes et combien je t’aime. » (p. 222) Ces amants innocents et toujours purs ont vécu un amour impossible et parfait, car jamais entaché par les jeux de la chair. « Nous fûmes toujours chastes. Peut-être en a-t-elle souffert plus que moi. » (p. 292 & 293)
Que cette uchronie est belle ! L’autrice nous plonge dans un 17e siècle imaginaire. La Saint-Barthélemy a bien eu lieu, Henri IV a promulgué l’Édit de Nantes et les tensions entre communautés religieuses perdurent. Mais les monarques ne sont pas ceux de nos livres d’histoire. La Cour vit à Vaux-le-Roy, palais royal aux allures de dédale, avec des pièces murées et des portes secrètes. De guerres européennes en intrigues de cour, Maria Concepcion forge son destin de femme régnante et émancipée, inconditionnellement soutenue par Girolamo, son eunuque résolument fidèle et éperdu d’amour.
J’ai découvert Jacqueline Harpman avec Moi qui n’ai pas connu les hommes, roman qui m’a durablement marquée. Avec ce nouveau roman au titre magnifique, j’ai retrouvé la belle langue de l’autrice, soutenue mais jamais maniérée, et j’ai apprécié sa parfaite maîtrise de la conjugaison. Oui, la conjugaison et la concordance des temps, c’est une passion chez moi.